« L’Iraq respectera les nouvelles sanctions américaines contre l’Iran », c’est ce que le premier ministre iraqien, Haïder Al-Abadi, a déclaré après l’entrée en vigueur des sanctions, mardi dernier. « Nous ne sommes pas favorables aux sanctions américaines contre l’Iran, mais nous les respecterons au nom de la défense des intérêts de notre peuple », a-t-il dit. S’alignant ouvertement sur la position américaine alors que d’autres pays voisins, comme la Syrie et la Turquie, ont annoncé leur soutien à l’Iran au même titre que la Chine, l’Inde et la Russie, et au moment où certains pays arabes ont gardé le silence comme le Qatar, la déclaration du premier ministre a provoqué beaucoup de remous en Iraq. Les milices et les partis chiites se sont précipités pour rejeter la décision du gouvernement en assurant que « défendre l’Iran est un devoir religieux ». D’autres déclarations officielles faites par des responsables iraqiens s’opposent aux déclarations d’Al-Abadi, conçues comme une manoeuvre politique pour gagner le soutien de Washington, afin de rester à la tête du gouvernement pour un autre mandat. « Nous n’allons pas oublier l’attitude honorable de notre voisin, l’Iran, qui était à nos côtés lors des crises », affirme le ministère iraqien des Affaires étrangères. Le porte-parole du gouvernement iraqien, Saad Al-Hadissi, quant à lui, après avoir déclaré que « l’Iraq va abandonner le dollar dans les transactions avec l’Iran en raison des sanctions américaines », a dévoilé que « le gouvernement entend créer un mécanisme alternatif pour renforcer les relations commerciales entre les deux pays, afin de réduire l’impact des sanctions ». Quant au président iraqien, Fouad Massoum, il a avoué, à la veille des sanctions, qu’« il sera très difficile pour l’Iraq de respecter les sanctions américaines imposées à l’Iran ».
Selon Mona Salmane, chercheuse dans les affaires régionales à Al-Ahram, « la confusion gagne actuellement du terrain en Iraq, un pays où les Etats-Unis et l’Iran partagent l’influence ». L’Iraq se trouve entre deux feux. D’un côté, Bagdad est l’allié de Washington dans sa guerre contre Daech. De l’autre, respecter les sanctions américaines contre Téhéran n’est pas une décision facile dans un pays où les partis chiites au pouvoir ont des liens très étroits avec l’Iran. « En riposte aux sanctions américaines, l’Iran pourrait alimenter les tensions à l’intérieur de l’Iraq qui sévissent ces jours-ci dans le sud du pays avec des protestations contre la pénurie d’eau et d’électricité », précise-t-elle.
Perdre le marché iraqien
Au-delà des craintes politiques et sécuritaires, tous les indicateurs montrent que l’économie iraqienne encaissera le coup le plus dur après l’entrée en vigueur du blocage des transactions financières et des importations de matières premières d’origine iranienne. L’Iraq est le deuxième importateur de produits iraniens, et a versé en 2017 plus 6 milliards de dollars pour importer des produits variés d’Iran. Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays dépasse les 12 milliards de dollars par an. Environ 3 millions de pèlerins iraniens se rendent chaque année dans les lieux sacrés du chiisme à Najaf et à Karbala. Selon des estimations, chaque visiteur dépenserait plus de 1 000 dollars, une grande somme dont l’Iraq pourrait maintenant être privé.
Contrebande et marché noir
La question qui s’impose est de savoir si l’Iraq peut respecter les sanctions américaines. Mona Salmane pense que « l’annonce officielle d’appliquer les sanctions n’empêchera pas la contrebande entre les deux pays. Il y a plusieurs moyens pour contourner facilement les sanctions ». Et d’ajouter : « L’Iran et l’Iraq partagent une longue frontière de plus de 1 400 km. Celle-ci est incontrôlable, notamment dans la zone dite du triangle qui relie la Turquie à l’Iran et à l’Iraq, et qui a une longue histoire en matière de contrebande. Cette contrebande aura pour conséquence l’expansion du marché noir et l’afflux de travailleurs iraniens vers l’Iraq ».
La question qui se pose pour l’Iraq dans les jours à venir n’est pas seulement qui sera le prochain premier ministre, mais comment se positionner face à ce bras de fer entre Téhéran et Washington ?
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