Plusieurs scènes se succèdent : une dizaine de couveuses s’alignent dans un hôpital où les pleurs des nouveaux-nés se font entendre, des enfants apprenant leurs leçons à la maison, un quai de métro bondé de gens, etc. Le noir règne brutalement avant que les bougies ne deviennent le maître des lieux. Mais la lumière revient. Des cheminées à gaz, des parcs éoliens et des panneaux solaires photovoltaïques poussent comme des champignons. En fait, ces scènes font partie d’un documentaire intitulé
Des Soleils qui ne se couchent pas, présenté par le ministre de l’Electricité, Mohamad Chaker, mardi 24 juillet, lors de la cérémonie d’inauguration, retransmise en direct, d’un nombre de projets nationaux dans le secteur de l’électricité et des énergies renouvelables, en présence du président Abdel-Fattah Al-Sissi. Ce documentaire résume, en 12 minutes comme le précise le ministre, «
les efforts déployés au cours des quatre dernières années, dans le but de moderniser et de développer le secteur électrique, tant dans les domaines de la production, du transport et de la distribution de l’électricité que dans la diversification des ressources d’énergie ».
« Je n’accepte pas les solutions médianes. Ce qui a été réalisé au cours des 4 dernières années dans le secteur de l’électricité est sans précédent », a déclaré le président avant de donner le coup d’envoi pour que le courant passe dans les trois méga-centrales électriques construites par la société allemande Siemens avec un partenariat égyptien. Le coût de la construction de ces centrales, situées à Kafr Al-Cheikh et à Béni-Soueif, ainsi que dans la Nouvelle Capitale administrative de l’Egypte est estimé à 6 milliards d’euros. A travers une vidéoconférence, le président a également inauguré d’autres projets qui, en fait, offrent tout un bouquet énergétique : énergie éolienne, solaire, charbon propre et hydro-électrique (voir page 3). Sur la mer Rouge, un gigantesque parc éolien à Gabal Al-Zeit a été inauguré. Il s’agit de la plus grande station de production d’électricité éolienne en Afrique et au Moyen-Orient. La première centrale du complexe solaire de Benban est désormais raccordée au réseau électrique national, avec une capacité projetée de 525 MW (voir reportage page 4). Le ministre de l’Electricité, Mohamad Chaker, a également signalé, lors de la cérémonie, que d’autres grands projets des centrales électriques sont également en cours, dont les plus importantes sont celles d’Al-Hamraweine, qui devrait produire l’électricité à partir du charbon propre avec une capacité de 6 000 MW, et la station de transfert d’énergie par pompage hydraulique de Ataqa, avec une capacité de 2 400 MW.
Cette cérémonie a été, en fait, une occasion pour étaler le bilan des 4 années de travail du ministre de l’Electricité, Mohamad Chaker, maintenu toujours à son poste, comme le président l’a affirmé lors de la conférence : il a refusé de le remplacer en dépit des réclamations répétitives pour « tenter de calmer la grogne populaire que l’Egypte a confrontée depuis 2013 à cause de la pénurie de l’électricité ».
Production : Du déclin à la stabilité
Mais comment a-t-on pu parvenir à combler un déficit de production d’électricité atteignant 6 000 MW en août 2014, pour avoir actuellement une capacité « de surplus de production d’électricité de 25 % », soit 10 000 MW, après le raccordement de ces 3 centrales électriques au réseau ? « L’Egypte a investi 515 milliards de L.E. dans des projets énergétiques depuis 2014 », a dévoilé Chaker. En fait, le déficit de production n’était pas le seul défi qu’avait confronté le secteur de l’électricité depuis 2014, mais il y en avait 3 autres, comme l’a précisé le ministre dans son discours : la dépendance au gaz naturel et aux produits pétroliers pour le fonctionnement des centrales, le gel des programmes de maintenance du réseau électrique ainsi que les attaques terroristes qu’ont subies les installations électriques.
Selon Magdi Sobhi, expert économique à Al-Ahram, la vraie réalisation ne réside pas seulement dans la construction de ces méga-centrales, mais plutôt dans « la décision politique » d’en finir avec la crise qui a causé la fermeture de beaucoup d’usines et la fuite des investissements, en allouant des sommes énormes pour la construction de ces centrales.
Amr Chawqi, expert en électricité et en énergie, estime, lui, qu’il faut aujourd’hui bien décrypter les chiffres records de ces centrales qui « ne sont pas du tout des chiffres traditionnels ». « Ces 3 centrales devraient fournir 14 400 MW au réseau électrique égyptien. Ce qui correspond à environ 50 % du potentiel électrique existant dans le réseau électrique actuel. Ce qui est une production sans précédent », explique Chawqi. Ces centrales, construites selon la technologie à gaz combinée, devraient également « économiser 1,3 milliard de dollars par an », dit Chawqi.Avant d’ajouter : « Le jour de l’inauguration a été le grand test de l’efficacité du réseau pendant les heures de pointe. Ce jour-là, le réseau électrique a dépassé, pour la première fois pendant l’été, le taux de charge maximal, enregistrant 30 900 MW sans aucune réduction des charges ».
Mais au-delà des chiffres, la clé de la réussite réside dans la stratégie elle-même, comme l’estime l’expert. Pour faire face à la crise, le gouvernement s’activait dans deux sphères en parallèle. Un plan d’urgence a démarré le 15 décembre 2014 pour injecter 3 632 MW dans le réseau avant la fin de l’été 2015, avec un coût de 2,6 milliards de L.E. « Ce plan a été réalisé avec succès dans seulement 8 mois et demi. Le phénomène des coupures est presque terminé, alors que la défaillance dont souffrent les réseaux de transfert et de distribution persiste toujours. Cela constituait un défi majeur. D’où la nécessité de la mise en place d’une stratégie durable à long terme qui ne vise pas seulement à multiplier les centrales, mais à moderniser tous les types de réseaux du secteur d’électricité qui devraient prendre fin en 2019 », explique Chawqi.
La transition énergétique en marche
Augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique, constitué autrefois de 90 % de gaz naturel, est également au centre de cette stratégie énergétique. Cette dernière vise à produire 20 % d’énergie renouvelable à l’horizon 2020 et 42 % à l’horizon 2035. Au cours de la conférence, Chaker a déclaré que l’Egypte pourrait produire 90 000 MW d’électricité à partir des sources renouvelables comme le soleil et le vent.
« La carte énergétique est en pleine mutation en Egypte qui a fait de grands pas dans les deux domaines en parallèle : éolien et solaire. Elle offre, en outre, de nombreuses possibilités d’investissement dans ce secteur, en adoptant une loi permettant au secteur privé d’installer des centrales solaires selon un système nommé de tarifs de rachat garantis qui lui facilitera la revente de la production au gouvernement et son injection par la suite dans le réseau électrique national », comme l’explique Al-Saïd Hégazi, vice-président de la commission parlementaire de l’énergie et de l’environnement.
La mise en oeuvre du plus grand complexe de centrales solaires de Benban fait partie des projets de tarifs de rachat garantis, gérés par l’Organisme de l’énergie nouvelle et renouvelable (voir entretien page 5). Ce projet d’énergie solaire est réalisé par 32 entreprises et un consortium de 9 banques mondiales qui investissent pour la première fois dans le secteur des énergies renouvelables en Egypte, avec des investissements atteignant 1,9 milliard de dollars. Le bouquet énergétique comprend également le nucléaire. L’Egypte ambitionne de générer 10 % de son énergie grâce au nucléaire d’ici 2026, et compte porter la production à 50 % d’ici 2050.
Un pôle d’électricité régional
Mais à quoi sert ce surplus de 25 % ? Le ministre de l’Electricité a estimé que « ce surplus de la production contribuera à sécuriser les besoins futurs en électricité et permettra l’exportation d’une partie vers les pays voisins ». En fait, l’Egypte jouit d’un emplacement idéal entre les trois continents : l’Afrique, l’Asie et l’Europe. « L’Egypte multiplie actuellement les projets régionaux d’interconnexion électrique. Cette dynamique s’inscrit dans le plan de l’Egypte de devenir un centre régional d’énergie. Les projets d’interconnexion électrique assurent en outre une gestion économique optimale de l’énergie électrique disponible tout au long de l’année », dit Al-Saïd Hégazi. L’Egypte a déjà des connexions électriques avec la Jordanie et la Libye. Le président, lors de sa visite au Soudan la semaine dernière, a déclaré vouloir activer le projet d’interconnexion entre les deux pays. Un autre grand projet de raccordement d’électricité entre l’Egypte et l’Arabie saoudite est en cours. Celui-ci vise à échanger 3 000 MW en période de pointe grâce à un câble sous-marin de 16 km de longueur à travers la mer Rouge avec une capacité de 500 KV. La première phase du projet devrait être lancée en 2021. « Une fois ce projet mis en route, l’Egypte intégrera le réseau régional qui existe depuis 2009 et qui englobe le Koweït, l’Arabie saoudite et Bahreïn », explique Hégazi. Une ligne d’interconnexion électrique devrait également relier l’Egypte, Chypre et la Grèce, par une capacité de 2 000 MW, avec un coût de 4 milliards de dollars. « Cette ligne a une importance très stratégique pour l’Egypte puisqu’elle lui permettra de se connecter au réseau électrique européen », conclut Chawqi.
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