Al-Ahram Hebdo : Pourquoi Donald Trump estime-t-il que l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) va à l’encontre des intérêts des Etats-Unis ?
Ahmed El Safty : Avant qu’il ne devienne président des Etats-Unis, Donald Trump disait déjà que l’OMC était un désastre pour les Etats-Unis. Il est d’avis que les accords multilatéraux de l’organisation internationale ne sont pas à l’avantage d’un pays si fort que le sien dans les négociations commerciales, et estime en revanche que des facteurs tels que le poids relatif de l’Etat, sa force commerciale et sa capacité à influencer les marchés doivent être pris en considération dans les négociations commerciales. Il est aussi d’avis que le grand déficit commercial des Etats-Unis n’est pas le résultat de facteurs locaux, comme le taux d’épargne ou la consommation, mais de facteurs extérieurs, soit plus précisément que le pays a de mauvais accords commerciaux. Par exemple, les Etats-Unis n’imposent pas de tarifs douaniers sur les automobiles européennes, mais en Europe, des tarifs sont imposés sur les importations d’automobiles américaines. Or, la situation est inversée pour les camions. Autre exemple, la Chine a obtenu des avantages lors de son adhésion à l’OMC et, en plus, exige que les investisseurs étrangers lui dévoilent leur technologie s’ils veulent investir en Chine, ce qui, selon Trump, ne respecte pas les droits de propriété intellectuelle et porte atteinte aux intérêts américains. Trump veut réduire le déficit commercial chronique des Etats-Unis, surtout avec la Chine, et estime que cela ne doit pas se faire selon les règles de l’OMC, mais selon des accords bilatéraux, où la force des Etats-Unis peut lui apporter plus d’avantages qu’en négociant au sein de l’OMC. En tant que négociateur, lancer des menaces en soi peut mener à un meilleur résultat que de se retirer réellement de l’OMC. Cela constitue probablement sa stratégie actuelle.
— Est-il possible que les Etats-Unis se retirent de l’OMC et quelles sont les chances du président d’avoir l’approbation des deux Chambres du Congrès ?
— Théoriquement, Trump peut se retirer de l’OMC, surtout après les élections de mi-mandat du Congrès en novembre 2018, où il est prévu que les Républicains dominent les deux Chambres du Congrès, qui vont donc plutôt soutenir les politiques de Trump pour ne pas affecter leur popularité, fondée sur la sienne. Mais il y aura de grands différends sur cette affaire compliquée. Je dis compliquée, car d’autre part, ce sont surtout les Démocrates qui soutiennent les politiques qui renforcent la protection des intérêts américains dans les accords multilatéraux et la hausse du taux d’emploi et de l’investissement. Certaines idées avancées par Trump peuvent être davantage acceptées par les Démocrates que les Républicains, qui sont pour moins d’intervention étatique sur le marché. Donc, en théorie, il est possible de se retirer, mais en pratique c’est un processus compliqué, vu que le président américain ne peut pas prendre une telle décision tout seul.
— Au cas où les Etats-Unis ne parviendraient pas à un arrangement satisfaisant avec la Chine et l’Union européenne, quel serait l’effet d’une OMC sans Etats-Unis sur le commerce international ?
— Les règles de l’OMC organisant le commerce international sont respectées au niveau mondial par tous les pays membres. Au cas où un pays imposerait des tarifs sans raison, les autres pays ont le droit d’imposer des tarifs équivalents pour compenser leurs pertes. Si les Etats-Unis quittent l’OMC et que la guerre commerciale s’accélère, les Etats-Unis imposeront des tarifs, la Chine va riposter et ainsi de suite. Or, la Chine exporte aux Etats-Unis plus qu’elle n’en importe, et au bout d’un moment, le pays asiatique ne trouvera plus de produits sur lesquels imposer des tarifs. Hypothétiquement, la sortie des Etats-Unis de l’OMC constituerait le pic de la guerre commerciale. En tout cas, le commerce international se rétrécirait.
— Quel en serait l’effet sur l’Egypte ?
— L’OMC offre un système international qui fixe les règles du commerce, les droits et les obligations de chaque pays. Si ce système sans les Etats-Unis s’effondre, nous aurons recours aux accords bilatéraux, qui ne sont pas dans l’intérêt des pays comme l’Egypte, car le pouvoir de négociation des petits pays est faible, vu leur poids relatif limité dans le commerce et l’économie mondiale. Des pays comme l’Egypte peuvent devenir les victimes de la guerre commerciale. Par exemple, si les Etats-Unis imposent des taxes élevées sur les importations d’un certain produit, des pays comme le Canada et le Mexique, en tant que pays voisins ayant d’autres intérêts en commun avec les Etats-Unis, peuvent négocier leur exemption des taxes. Mais les petits pays ne peuvent pas offrir grand-chose en échange d’exemptions. En outre, la conséquence évidente d’une guerre commerciale serait la baisse du volume du commerce international, ce qui affecterait le programme de réforme économique de l’Egypte, qui vise à devenir une économie d’exportation, ce qui est très difficile dans une guerre commerciale mondiale. En outre, les revenus du Canal de Suez baisseraient, vu que la navigation dans le canal est liée au volume du commerce international.
— Des entreprises aux Etats-Unis se sont prononcées contre Trump dans cette guerre commerciale. Quel est l’effet de l’imposition de tarifs sur les importations sur l’économie américaine elle-même ?
— Les Etats-Unis ont commencé par imposer des taxes sur les importations d’acier, qui est une matière première. Normalement, la protection vise le produit final, car autrement, on augmente ses propres coûts de production. Ce problème a été évoqué même par les supporteurs de Donald Trump— l’effet sur l’industrie américaine. En plus de la hausse du coût de production pour les entreprises américaines, la réaction des autres pays peut porter atteinte à l’économie américaine. Quels sont les produits imposés? A titre d’exemple, Trump a souvent dit que les motocycles Harley Davidson étaient un symbole de l’excellence de l’industrie américaine. Cette entreprise a été la première à être soumise à des taxes en « contre-attaque » par l’Union européenne. En conséquence, l’entreprise a dit qu’elle pourrait transférer une partie de sa production en Europe. De même, une partie importante de la production de BMW se trouve aux Etats-Unis, alors que la Chine est l’un de leurs principaux marchés. L’entreprise a dès lors menacé de réduire sa production aux Etats-Unis, ce qui affecterait l’emploi. En outre, des pays comme la Chine peuvent augmenter les barrières non tarifaires en prolongeant la période d’attente des produits américains dans les ports ou en augmentant les procédures d’examen de ces produits. La guerre commerciale pourrait en outre affecter les consommateurs américains, en plus de changer les décisions d’investissement de certaines entreprises, qui pourraient transférer leurs affaires en fonction de leurs intérêts.
Lien court: