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Entre Washington et Moscou, de nouvelles règles du jeu

Samar Al-Gamal, Mardi, 17 juillet 2018

Trump et Poutine se sont retrouvés en sommet à Helsinki. L’occasion de se rapprocher en dépit des contentieux innombrables entre Washington et Moscou. La Russie est pourtant encore loin de céder sa place d’« ennemi stratégique » des Américains.

Entre Washington et Moscou, de nouvelles règles du jeu
(Photo : AFP)

« Nos relations avec la Russie n’ont JAMAIS été aussi mauvaises, à cause d’années de stupidité de la part des Etats-Unis et maintenant d’une chasse aux sorcières », a tweeté Donald Trump peu avant une rencontre qui s’est longuement fait attendre avec Vladimir Poutine à Helsinki. Par la chasse aux sorcières, il faisait référence à l’enquête menée par le FBI sur une prétendue ingérence russe dans la présidentielle américaine de 2016. Avant d’arriver dans la capitale finlandaise, le président américain s’en était pris, à Bruxelles, aux membres de l’Alliance atlantique, en particulier à l’Allemagne. « Nous protégeons l’Allemagne, la France et tout le monde et nous payons beaucoup d’argent pour ça... Nous sommes censés vous défendre contre la Russie, alors pourquoi payez-vous des milliards de dollars à la Russie pour l’énergie! En fait, l’Allemagne est captive de la Russie... », a lancé Trump en allusion à la construction du gazoduc nord Stream 2 destiné à relier la Russie et l’Allemagne.

C’est entre ces deux déclarations qu’il faudrait peut-être voir la tendance de Trump en matière de politique étrangère. Aux yeux de Trump, l’Europe, alliée traditionnelle des Etats-Unis et la Russie, traditionnellement aussi l’ennemi juré, ne le sont plus, ils auraient échangé de place. « C’est sa logique en tant qu’homme d’affaires qu’il a du mal à dissimuler face à son amateurisme politique », estime Atef Saadawi, spécialiste des affaires américaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Mais le Trump qui croit en le Poutine fort, et qui l’assimile plutôt à « un concurrent » et non pas « un adversaire », cède de temps à autre « aux très fortes pressions de l’Etat profond américain, la CIA et le Congrès surtout qui voient d’un très mauvais oeil ce concert de louanges avec la Russie », ajoute le chercheur au CEPS. Aux yeux des institutions américaines, Moscou, de l’héritage de la Guerre froide, doit maintenir la place de l’ennemi stratégique. Et sous pression de cet Etat profond, Trump affiche occasionnellement son animosité aux Russes. C’est son poste qui est aujourd’hui sur la sellette. Ses revirements dans le cadre de la même visite ne s’expliquent-il pas ainsi? La Russie, l’Union européenne et la Chine sont « des ennemis » des Etats-Unis, affirme-t-il dans une interview à la chaîne américaine CBS, la veille de sa rencontre bilatérale avec le président russe.

« Rétablir le bon niveau de la confiance »

Outre l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur la campagne électorale de Donald Trump, la tension avec la Russie trouve ses bases ailleurs: la péninsule de Crimée, annexée par Moscou en 2014, l’aide accrue des Etats-Unis à l’Ukraine contre le soutien accordé par Moscou aux séparatistes et, dans la foulée, la poursuite de la politique des sanctions punitives américaines anti-russes. Le traité de réduction des armements signé par les deux pays qui s’accusent de le violer est un autre dossier chaud, alors que la crise syrienne, qui était jusqu’alors un sujet de discorde, peut d’ailleurs rallier les deux dirigeants avec un nouveau plan américain qui mettrait l’Iran de côté et sécuriserait la frontière israélienne.

« Il n’y a pas d’accord concret entre les forces armées américaines et russes en Syrie, mais il y a une bonne coopération, bien meilleure que celle entre les leaders politiques », a indiqué le président américain lors d’une conférence de presse avec son homologue russe. Ce dernier a, de son côté, reconnu que les relations russo-américaines traversent une période difficile. « Ces difficultés n’ont pas de raisons objectives. La Guerre froide est bientôt finie. Et la confrontation idéologique aiguë est restée dans le passé. Dans le monde, l’état des choses a radicalement changé », a-t-il dit, ajoutant qu’un travail est fait pour « rétablir le bon niveau de la confiance » entre les deux pays.

« A première vue, certains peuvent croire que les résultats les plus importants du sommet c’est leur succès à restaurer l’ordre mondial bipolaire qui a gouverné le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la chute de l’Union soviétique. Mais nous ne pouvons pas si facilement accepter cet espoir », indique le politologue Mohamad Saïd Idriss. Il estime que « les résultats du sommet ne se sont pas encore manifestés, même si la volonté de Trump de réintégrer la Russie dans le G7 pourrait servir de justification pour cette idée ». La ruée de Trump pour coordonner avec la Russie, dit-il, a atteint un tel degré que Trump estime que la résolution de la question de la Crimée n’est plus une condition pour l’amélioration des relations avec Moscou, il n’a même pas exclu de reconnaître l’annexion de la Crimée à la Russie. Cette théorie est renforcée, selon Idriss, par les frictions commerciales montantes entre l’Europe et Trump. Ce dernier préfère désormais signer des accords bilatéraux avec chaque Etat membre plutôt que de faire affaire avec Bruxelles.

Il a encore haussé le ton avant d’arriver au sommet de l’Otan (voir page 3), en qualifiant l’organisation transatlantique « d’obsolète » et exigeant des alliés européens et du Canada qu’ils augmentent leurs dépenses de défense afin de les porter à au moins 4% de leur PIB.

Changement des rôles

Ce n’est pas la première fois que le président américain fustige l’Union Européenne (UE), vis-à-vis de laquelle les Etats-Unis ont affiché un déficit commercial de 146 milliards de dollars en 2016 (118 milliards d’euros). Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a dû répliquer. « Cher président Trump, l’Amérique n’aura pas de meilleur allié que l’Europe », a lancé l’ancien premier ministre polonais. « Chère Amérique, considérez mieux vos alliés, après tout, vous n’en avez pas tant que ça. Et, chère Europe, dépensez plus pour votre défense, parce que tout le monde respecte un allié bien préparé et équipé », a dit Tusk. C’est ce que pense Saadawi, qui ne croit pas à un changement radical des rôles. « La forme classique des relations Amérique-Europe se maintiendra, seule sa gestion pourrait passer à la modification. Les deux puissances ont intérêt à maintenir cette alliance historique au détriment de Moscou », explique-t-il.

Sur le front russo-chinois, Moscou comme Pékin reconnaissent être soumis à une sorte de classification américaine comme « première source de menace », comme le confirme la nouvelle « Stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis », et la guerre commerciale actuelle lancée par l’Amérique contre la Russie et la Chine est l’une des premières conséquences de cette stratégie. La prise de conscience de cette hostilité impose, selon Idriss, à la Russie et la Chine « le maintien des bases solides de leur coopération et leurs accords bilatéraux signés lors du sommet de Poutine avec le président chinois à Pékin le mois dernier, comme étant une immunité à toutes les tentatives américaines de démanteler leur alliance. Ce contexte écarte toute chance pour le sommet d’Helsinki de ressusciter le système bipolaire face à une ambition d’un système multipolaire ».

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