C’est le 8 octobre 2017 que le rêve a commencé. En marquant un penalty à la 96
e minute face au Congo (2-1), Mohamad Salah a qualifié l’Egypte pour sa première Coupe du monde depuis 28 ans. Cette nuit-là, les Egyptiens ont commencé à rêver grand : ne pas faire simplement acte de présence dans l’élite mondiale, mais avoir un grand impact et se qualifier pour le second tour. Pourquoi pas, puisqu’on a Salah, le phénomène de la planète foot cette saison. Mais en Russie, les Egyptiens se sont heurtés à la cruelle réalité : une élimination au premier tour sur un bilan honteux de trois défaites dans des matchs sans panache. Cela n’a peut-être ni l’ampleur de «
l’apocalypse » de l’Italie, non qualifiée pour le Mondial pour la première fois depuis 1958, ni du séisme de l’élimination de l’Allemagne, tenante du titre, au premier tour, mais pour un peuple dont le foot est la seconde religion, cette élimination est terrible.
Les Egyptiens ont demandé des comptes à la Fédération Egyptienne de Football (FEF) et réclamé le scalp du sélectionneur Hector Cuper. La commission de la jeunesse et des sports au sein du parlement a ouvert une enquête concernant les irrégularités supposées de la FEF durant le voyage, et les troubles concernant l’organisation et l’hébergement de l’équipe à Grozny, capitale de la Tchétchénie. « C’est un scandale. Je ne parle pas seulement du niveau médiocre de l’équipe lors du Mondial, mais aussi de la fédération, qui a été impliquée dans de nombreux problèmes et n’a pas pu créer un bon environnement pour l’équipe. Ils sont tous responsables et chacun doit assumer sa responsabilité », a déclaré Khaled Bayoumi, analyste sportif.
C’est le revers de la médaille : la déception est à la hauteur de l’espoir. Selon l’économiste égyptien Mohamad Al-Erian, c’est là la première leçon à tirer du Mondial. « Il faut savoir gérer ses attentes. Le parcours à la Coupe du monde était dominé par l’éclat de Mohamad Salah, meilleur joueur du Championnat anglais, qui est devenu une idole pour des millions d’Egyptiens. Et bien qu’il ait été blessé en finale de la Ligue des champions, les Egyptiens sont restés optimistes — en fait, trop optimistes — et se sont retrouvés bien plus déçus que ce qu’ils auraient dû l’être. Une telle déception peut provoquer des attentes d’excès de correction dans la direction opposée », a-t-il écrit dans un article intitulé « Quatre leçons de l’expérience de l’Egypte en Coupe du monde », publié sur le site de Project Syndicate jeudi dernier.
Pour amortir la colère du public, la FEF a remercié l’entraîneur argentin Hector Cuper qui est arrivé en fin de contrat après trois ans et demi en charge de la sélection (voir encadré page 3), alors qu’elle avait annoncé avant le Mondial avoir trouvé un accord avec lui pour un prolongement. « Je m’excuse auprès du public égyptien pour les mauvaises performances de l’équipe. Cuper est un très bon entraîneur, mais il a eu beaucoup de malchance lors de ce Mondial. Il est arrivé en fin de contrat et on le remercie pour son travail avec nous au cours des trois dernières années. En tant que fédération, on a fait tout ce qu’on devait faire. On a organisé une bonne préparation pour la sélection et fourni tous les fonds nécessaires pour cette équipe. Nous avons réalisé beaucoup de choses positives et bien sûr il y avait des choses négatives, mais il est très étrange qu’on parle uniquement des points négatifs », a dit Hany Abo Rida, président de la FEF, lors d’une conférence de presse le mercredi 27 juin.
Une équipe de talents
Mais a-t-on vraiment besoin d’écrire une nouvelle histoire ? Une réforme totale, avec un nouveau sélectionneur, de nouveaux joueurs et de nouvelles têtes aux postes de dirigeants ? Peut-être pas. L’environnement du septuple champion d’Afrique a été remodelé au cours des dernières années. L’ossature de l’équipe est composée de joueurs évoluant dans de grands clubs européens et disposant d’une nouvelle culture professionnelle et disciplinaire, contrairement aux anciennes générations évoluant au niveau local. « Cette génération mérite un grand respect et a su réaliser ce qu’aucune génération au cours des trois dernières décennies n’avait pu faire. Il faut protéger ces joueurs et pas les massacrer. C’est le noyau autour duquel on doit bâtir, notre objectif n’étant désormais plus de nous qualifier pour la Coupe du monde après de longues années d’absence, mais de continuer à nous qualifier et de chercher à progresser », a dit l’ancienne gloire de l’Egypte Mohamad Abou-Treika, suite à la déconfiture des Pharaons.
L’équipe égyptienne n’a jamais manqué de génies et cette génération perpétue la tradition. En effet, Salah est au coeur d’une équipe pleine de talents prometteurs. C’est vrai que la moyenne d’âge de l’équipe est de 29 ans, mais plusieurs de ses éléments essentiels ont 25 ans ou moins, à savoir Mohamad Al-Nenni (25 ans, Arsenal), Ramadan Sobhi (21 ans, Huddersfield Town), Mahmoud Hassan « Trezeguet » (23 ans, Kasimpasa), Amr Warda (24 ans, PAOK), Mahmoud Abdel-Moneim « Kahraba » (24 ans, Ittihad Jeddah), sans compter Salah (26 ans, Liverpool) et Ahmad Hégazi (27 ans, West Brom), les deux éléments inspirateurs du groupe.
Les dernières sorties de l’équipe ont levé le voile sur certaines lacunes, notamment aux postes des défenseurs des couloirs occupés par Ahmad Fathi (34 ans) et Mohamad Abdel-Chafi (33 ans) et de l’attaquant de pointe, où Marwan Mohsen a été presque invisible. De même, l’équipe a manqué de variété et d’imagination, car le jeu était toujours concentré sur Salah, même quand celui-ci n’était pas en bonne forme, comme lors de la Coupe du monde. Il a toujours fallu un coup d’éclair de la flèche de Liverpool ou un arrêt spectaculaire du mythique gardien Essam Al-Hadari (45 ans) pour sauver la situation. La place de finaliste en Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2017 et la première qualification pour la Coupe du monde depuis 1990 ont masqué les mauvaises performances et fait taire les critiques pour une période de temps.
Le spectacle avant tout
L’Egypte n’est pas une grande nation de foot à l’échelle mondiale et ne s’est qualifiée pour la Coupe du monde que pour la troisième fois de son histoire (1934, 1990 et 2018), mais en guise de « consolation », toutes ses équipes répondaient à un même principe : présenter un spectacle de qualité. Pour un public qui adore le football esthétique du Brésil et de l’Argentine et méprise le football allemand en dépit de son efficacité, il était difficile d’apprécier les méthodes défensives de Cuper. Ce n’est pas l’Egypte qu’il connaît et qu’il désire, surtout qu’il a encore en mémoire les prouesses de la génération dorée emmenée par l’emblématique Abou-Treika, triple champion d’Afrique en 2006, 2008 et 2010, bien que celle-ci n’ait pas réussi à s’illustrer parmi l’élite mondiale. « La stratégie de Cuper et certains de ses choix n’ont pas convaincu. Il est responsable de cet échec. La fédération doit bien choisir son successeur en fonction de ce qui convient à notre jeu et aux ambitions du public », ajoute Bayoumi.
Les dirigeants ont appris la leçon. Abo Rida a annoncé que le nouvel entraîneur de la sélection serait un technicien étranger et qu’il y avait plusieurs candidats. Le président de la FEF a accordé une attention particulière au Français Hervé Renard, champion d’Afrique avec la Zambie en 2012 et la Côte d’Ivoire en 2015, et qui a réalisé une performance impressionnante avec le Maroc en Russie. « Renard a un accord avec le Maroc pour renouveler son contrat jusqu’en 2022. Mais s’il quitte son poste, nous le contacterons immédiatement », a précisé Abo Rida.
Après la tempête vient donc le temps du renouveau pour l’Egypte, qui devra vite panser ses plaies avant de reprendre la route des matchs de qualification de la CAN 2019 en septembre prochain.
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