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Mohamad Abdel-Qader : La scène politique turque est assez brouillée 

Samar Al-Gamal, Mercredi, 20 juin 2018

Mohamad Abdel-Qader, chercheur et rédacteur en chef de la revue spécialisée Questions turques, estime que même si l’appareil de l’Etat est entièrement sous contrôle du parti d’Erdogan, le double scrutin de la semaine prochaine peut créer une surprise.

Mohamad Abdel-Qader

Al-Ahram Hebdo : Les Turcs votent un double scrutin décisif. Quelle est la particularité de ces élections ?

Mohamad Abdel-Qader : Erdogan contrôle actuellement toutes les institutions de l’Etat. Qu’il s’agisse de la justice, de l’exécutif ou du législatif. Le tout à travers des amendements législatifs et constitutionnels. Il a ainsi changé la Constitution en avril 2017 en se procurant toutes les prérogatives exécutives du premier ministre. En même temps, Erdogan fait face à des défis politiques liés à l’opposition qui vient de former un nouveau parti, Al-Kheir, et des défis économiques sur fond de la détérioration de la situation économique. D’où le choix de ces élections anticipées. Il a pensé que le moment était opportun pour tenir un scrutin présidentiel anticipé au lieu d’attendre novembre 2019 pour se procurer davantage de pouvoirs avant que ces défis ne s’aggravent et sa popularité ne baisse.

— Mais les sondages placent la cote de popularité d’Erdogan et de son parti sous la barre des 50 % ...

— Il reste pourtant en tête de course. Mais s’il n’y a pas de fraudes massives, Erdogan aura du mal à remporter le premier tour de la présidentielle. Il a face à lui quatre autres candidats, ce qui va disperser considérablement les votes. Et au deuxième tour, si l’opposition décide de se rallier derrière Muharrem Ince, il pourra se présenter comme rival de poids face au président turc. Car Muharrem Ince, du Parti républicain du peuple, est un modéré, appartenant à un parti laïque, mais qui n’est pas hostile à la religion et qui adopte un discours modéré envers les minorités kurdes.

— Muharrem Ince a-t-il vraiment une chance devant Erdogan dont le parti a gagné toutes les élections depuis 2001 ?

— La scène en Turquie est assez brouillée. Nous travaillons tous sur des probabilités et selon ma propre estimation, si toute l’opposition se rallie face à Erdogan et en l’absence de fraude, Ince pourra provoquer une surprise. Lorsque la cote de popularité d’Erdogan était à son plus haut niveau, il avait remporté le scrutin à seulement 52 %. En 2015, le Parti de la justice et du développement (AKP) n’a pas réussi à obtenir la majorité absolue au parlement et entre le scrutin cette fois-ci dans le cadre d’une coalition. Cela reflète certes des points de faiblesse qui laissent prévoir des surprises sur la scène politique turque pour la première fois depuis 16 ans.

Mais les risques de fraude pèsent sur ce scrutin aux côtés du contrôle des médias et de la mobilisation populaire avec un discours qui parle de complots interne et externe en présentant la Turquie comme si elle allait en guerre contre tout le monde.

— Pourquoi ces craintes de fraude électorale ?

— La scène turque est assez confuse et les risques de fraude sont importants à cause notamment d’une nouvelle loi électorale permettant de rendre valide les bulletins de vote qui ne sont pas estampillés par la commission électorale. Cette loi permet de même de fusionner des bureaux de vote pour raisons de sécurité.

— Quels sont alors les enjeux de l’après-scrutin ?

— L’AKP a un projet politique qui veut changer la face politique de la Turquie et qui voudrait la transformer en un pays à deux parties politiques à l’instar du système aux Etats-Unis, et c’est sur cette base que pèse l’idée de coalition récente. Tous les partis sont désormais en coalition dans deux principales formations : l’AKP et les radicaux nationalistes d’un côté, et l’opposition de l’autre dans la Coalition du peuple, et probablement elles partageront de moitié les sièges du parlement.

— Une opposition avec la moitié des sièges, est-ce que ce serait une avancée importante ?

— L’affaire ne se mesure malheureusement pas avec ce calcul. En fonction des amendements menés en avril 2017, le rôle du parlement a été fortement marginalisé. Le parlement ne forme plus le gouvernement ni approuve le budget. Le président peut même le dissoudre et appeler à des législatives anticipées s’il le veut. Alors que le parlement a besoin d’au moins les deux tiers des députés pour destituer le président ou exiger une présidentielle anticipée.

L’opposition ne pourra pas obtenir ce nombre requis de sièges et le président dominera la scène politique. Il dirigera le gouvernement avec la disparition du poste de premier ministre, nommera les ministres et approuvera le budget. Nous devrons aussi nous attendre à des amendements législatifs encore plus importants.

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