« Le continent de demain », «
L’avenir du monde se joue en Afrique », «
Le futur géant du XXIe siècle » ou «
La locomotive de l’économie mondiale », autant d’expressions qui sont aujourd’hui utilisées pour désigner l’Afrique. Il y a une décennie, l’image du continent noir était tout autre. Guerres, famines, coups d’Etat, misère, sous-développement, etc. Ce sont des clichés sombres de l’Afrique que les médias occidentaux ont fait circuler pendant plusieurs décennies, se contentant de voir uniquement leurs anciennes colonies à travers un prisme de problèmes.
Aujourd’hui, le point de vue a changé. Les stéréotypes du continent ancrés dans les mémoires s’effacent peu à peu. Selon Ramadan Qorani, expert des affaires africaines, « l’image de l’Afrique n’est plus celle de l’Afrique à l’époque de la création de l’Organisation de l’unité africaine, en 1963. Il s’agit maintenant d’une autre Afrique, complètement différente ». Un avis que partage Rawya Tawfiq, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, qui pense que l’« émergence africaine » gagne actuellement du terrain. La politologue rappelle que dans les années 1990, un des grands économistes a titré son ouvrage, abordant le développement en Afrique, Africa : The Bottom billion (Afrique, le milliard le pus pauvre de l’humanité).
La vision est tout à fait différente aujourd’hui. Le continent africain compte actuellement les économies aux plus forts taux de croissance. Les chiffres le prouvent bien. Six des 10 pays à la plus forte croissance en 2018 sont africains. Selon un rapport récemment publié par la Banque Africaine de Développement (BAD) et consacré aux perspectives économiques en Afrique pour 2018, « la reprise de la croissance dans le continent a été plus rapide que prévu ». « Les chocs au niveau mondial et intérieur de 2016 ont ralenti le rythme de la croissance en Afrique, mais l’année 2017 a déjà été marquée par des signes de reprise. L’augmentation de la production réelle a été de 3,6% en 2017, contre 2,2% en 2016, et devrait s’accélérer pour atteindre 4,1% en 2018 et 2019 », peut-on lire dans le rapport.
Selon Rawya Tawfiq, il suffit de visiter les capitales africaines pour voir la différence. « Le continent est actuellement un chantier de méga-projets d’infrastructures, de chemins de fer, de barrages, de centrales d’énergie. Les projets d’intégration régionale, notamment en Afrique de l’Est, avancent avec un rythme accéléré, pour répondre au défi de l’explosion démographique du continent », déclare la politologue. Actuellement de 1,2 milliard de personnes, la population d’Afrique devrait doubler d’ici à 2050, pour représenter le quart des habitants de la planète. Il s’agit d’une population jeune, puisque 60% sont âgés de moins de 20 ans. « La montée en puissance de la classe moyenne, qui regroupe aujourd’hui environ le quart de la population du continent, est un élément de puissance pour le développement du continent », indique Rawya Tawfik. Selon une étude conjointe de la Banque africaine de développement et de l’OCDE, publiée en mai 2017, « 350 millions d’Africains font partie de la classe moyenne ». Le boom technologique est lui aussi en marche sur le continent. « Le secteur des télécommunications, moteur du développement, est en pleine expansion », estime Rawya Tawfik. Le continent comptera 660 millions d’habitants équipés d’un « téléphone intelligent » en 2020, soit le double par rapport à 2016.
Importance stratégique multidimensionnelle
Après des décennies de marginalisation économique et de déclassement géopolitique, aujourd’hui, « la course pour sceller des partenariats stratégiques avec le continent s’accélère de plus en plus », explique Qorani. « L’Afrique compte aujourd’hui 8 partenariats stratégiques portant sur différents domaines avec la Ligue arabe, l’Union européenne, Les Etats-Unis, le Japon, la Chine, la Corée, le Brésil et l’Inde », dit Qorani, avant d’ajouter: « Ces partenariats marquent l’importance géostratégique du continent comme acteur de premier plan à l’échelle mondiale ».
Le continent tire aussi sa force de « la puissance de son bloc électoral » dans les institutions internationales, estime Qorani. « Après l’indépendance des 55 Etats, qui représentent le tiers des pays membres des Nations-Unies, la voix du continent est devenue plus forte. D’autant plus que le continent bénéficie d’un avantage important : le vote collectif guidé souvent par des recommandations émises par l’Union africaine », ajoute-t-il. Le candidat de l’Union africaine, l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, a ainsi été désigné directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en septembre dernier, devenant le premier Africain à décrocher ce poste dans l’histoire de l’organisation.
Défis internes et externes
Malgré toutes ces évolutions positives, les défis tant internes qu’externes ne manquent pas. Selon Qorani, le plus grand défi qu’affronte actuellement le continent, « c’est le défi du terrorisme. Un phénomène nouveau, absent dans les années 1990 ». Et il ajoute : « Aujourd’hui, une longue ceinture de groupes terroristes encercle tout le continent: Al-Chabab Al-Moudjahidine à l’est, Jeich Al-Islam dans le sud, Boko Haram à l’ouest du continent et Al-Qaëda et Daech en Afrique du Nord. Sans oublier les groupes armés qui pullulent dans la région du Sahel, au centre du continent. Le danger de ces groupes réside dans le fait qu’en dépit de leurs différences idéologiques, il existe une certaine coopération logistique entre eux ».
Les défis socioéconomiques ne manquent pas non plus. Le taux de croissance et le niveau de vie des Africains ne suivent pas la même tendance. Sur le milliard d’habitants que compte le continent, près de 400 millions sont considérés comme pauvres, vivant avec moins de 2 dollars par jour. Et près de 160 millions de personnes sont analphabètes. Selon le rapport de la BAD, « les taux de croissance élevés qui ont récemment été enregistrés en Afrique ne se sont pas accompagnés de taux élevés de croissance de l’emploi, qui reste inférieur de 1,4 point de pourcentage à la croissance économique moyenne. L’absence de croissance de l’emploi a freiné la réduction de la pauvreté ». Selon les économistes, le modèle de la croissance africaine, qui repose sur le secteur pétrolier, souffre d’une faiblesse structurelle. L’industrie est globalement très peu développée et l’essentiel de la richesse provient de l’exploitation de ressources naturelles africaines.
Selon Rawya Tawfiq, plusieurs défis se dressent devantl’émergence africaine. « Il est vrai que l’image de l’Afrique a beaucoup changé, mais l’essentiel est de savoir sous quel angle on va aborder ce changement. Le concept même du modèle de développement africain doit être révisé. L’émergence ne devrait pas être mesurée uniquement sur la base du taux de croissance, qui devrait, lui, être suivi de politiques sociales pour faire face à la pauvreté et au chômage », explique la politologue. L’Ethiopie en est le grand exemple. Ce pays, qui connaît un taux de croissance élevé de 8%, a été récemment secoué par les manifestations des Oromos, qui protestaient contre une répartition injuste de la richesse. Par ailleurs, la course à la location de terres agricoles en Afrique par certains pays et investisseurs privés, comme l’explique Rawya, a causé en 2008 une grave crise alimentaire sur le continent, engendrant une hausse des prix des produits de première nécessité. En fait, le continent comprend 60 % des surfaces cultivables mondiales. La fuite des profits des investissements en dehors du continent est une autre entrave pour le développement de l’Afrique.
Et le néocolonialisme ?
« Une nouvelle vague colonialiste frappe le continent. Celle-ci change de forme, puisqu’elle est plutôt d’ordre économique, mais ajoute de nouveaux protagonistes sur la scène », dit Rawya Tawfiq. Pour décrocher la plus grande part d’investissements dans les pays africains, la compétition se joue actuellement entre les puissances coloniales traditionnelles: la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les puissances qui y défendent actuellement leurs intérêts, comme les Etats-Unis, la Chine et l’Inde, et les puissances émergentes, à savoir la Turquie et l’Iran. Le taux d’investissements directs étrangers a grimpé de 33 milliards de dollars en 2002 à 180 milliards fin 2017. La Chine occupe la place du premier investisseur étranger en Afrique. « Une ceinture, une route » ou « Les routes de la soie », ce projet, initié par la Chine en 2013, vise à relier les continents et devrait dessiner une nouvelle carte de l’Afrique et la faire sortir de son isolement commercial (voir page 7). Toutefois, on ne doit pas négliger l’impact négatif du rôle chinois sur le continent : l’importation, par les commerçants chinois, de produits à bas prix et de mauvaise qualité en Afrique a beaucoup nui aux industries nationales du continent africain. Ainsi, au Nigeria et au Sénégal, certaines usines textiles ont dû fermer leurs portes en raison de leur incapacité à concurrencer les produits chinois.
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