La culture du riz consomme, à elle seule, 9 milliards de m3 d’eau.
(Photo : Mohamad Moustapha)
Assurer la production des denrées de base et rationaliser l’usage de l’eau, tel est le dilemme de l’agriculture en Egypte. Jusqu’ici le ministère de l’Agriculture prenait des mesures dans l’objectif de «
réduire le gaspillage de l’eau d’irrigation ». Mais l’amendement cette semaine de la loi sur l’agriculture, qui date de 1966, a donné le droit au ministre de l’Agriculture, en concertation avec le ministre de l’Irrigation, d’interdire dans certaines zones la culture des denrées alimentaires qui consomment beaucoup d’eau. Le gouvernement vise, notamment, à faire passer la superficie de riziculture de 1,1 million à 724 200
feddans au cours de 2018. Pour cette saison, seuls 9 gouvernorats seront autorisés à cultiver le riz, à savoir Alexandrie, Ismaïliya, Damiette, Kafr Al-Cheikh, Gharbiya et Béheira.
Cette mesure a soulevé un grand débat autour de ses éventuelles conséquences sur l’approvisionnement en riz, le risque de provoquer une flambée du prix de cette denrée de base et d’amener l’Egypte, naguère un grand exportateur de riz, à l’importer. Au centre du débat également : les moyens de faire respecter cette loi par les paysans.
« C’est une décision très importante, il n’y avait pas d’autres choix », estime Gamal Siyam, professeur d’économie agricole à l’Université du Caire. « Avec une démographie galopante, des ressources en eau qui s’amenuisent, et une superficie agricole limitée seulement à 7,5 millions de feddans, il devient impératif de s’interroger sur la façon d’adapter le système agricole à la disponibilité de l’eau », explique-t-il.
Réforme des politiques agricoles
Les ressources hydriques de l’Egypte se situent à près de 60 milliards de m3 dont plus de 85 % sont destinés à l’agriculture. Le reste se répartit entre l’eau potable (10%), l’industrie et les services (5%). La culture du riz consomme à elle seule 9 milliards de m3.
Les précédentes tentatives de l’Etat pour réduire la superficie rizicole n’avaient pas abouti et la culture de cette denrée poursuivait son expansion. Les responsables espèrent que ces nouvelles restrictions économiseront environ 4 milliards de m3 d’eau par an.
Pour Hicham Al-Hossari, vice-président de la commission parlementaire de l’agriculture, cet amendement législatif est « une première étape vers une véritable réforme des politiques agricoles ». « Une nouvelle carte agricole est actuellement en gestation, en fonction des quantités d’eau d’irrigation et de la nature des terrains en question. Une fois la carte établie, les deux ministères concernés devront la soumettre au parlement », déclare-t-il. Le député exclut que la loi pourrait provoquer des pénuries des denrées concernées par l’interdiction, puisque celle-ci ne sera pas permanente. Selon lui, il s’agirait plutôt de restaurer en quelque sorte l’ancien système de rotation agricole qui consiste à ne pas cultiver, deux années de suite, deux plantes de la même famille sur la même parcelle de terrain. Un retour donc aux années 1960 et 1970, quand l’Etat contrôlait la planification de la production agricole.
Alternative difficile
Fournir aux agriculteurs des alternatives rentables pour les encourager à respecter les nouveaux amendements de la loi est actuellement le grand défi pour le gouvernement. « La réduction de deux tiers des superficies cultivées en riz, principale culture d’été qui représente une importante valeur commerciale, a profondément inquiété les agriculteurs qui craignent de se retrouver obligés de se tourner vers des cultures de moindre rentabilité », dit Abbas Chéraqi, expert en hydraulique agricole. Il pense qu’à moins d’offrir des alternatives satisfaisantes aux agriculteurs, l’application de cette décision ne serait pas facile. « Le coton et le maïs, ces deux produits agricoles que leur propose le gouvernement, ne réaliseront même pas la moitié des profits du riz », fait-il remarquer.
Pour le spécialiste, les agriculteurs se trouvent face à des options aussi difficiles les unes que les autres: s’abstenir de cultiver la terre, ou cultiver le riz en violation de la loi et encourir six mois de prison, peine prévue par la loi amendée, ou enfin se résigner à cultiver des denrées qui ne sont pas rentables. « Dans ce dernier cas, la perte ne concerne pas que les paysans, puisque ces cultures sont à faible rendement économique », note Chéraqi. Et d’ajouter: « Avant d’imposer des restrictions, il est nécessaire de mettre en place une approche économique de la gestion de l’eau, c’est-à-dire essayer d’orienter les quantités d’eau économisées vers d’autres cultures plus économes en eau, mais aussi plus rentables, comme les légumes et les fruits, de sorte que l’excédent de leur exportation couvre l’importation du riz ».
« A ce jour, l’importation du riz n’est pas envisagée », affirme Ragab Chéhata, chef du département du riz à la Chambre de l’industrie des céréales. L’Egypte produit environ 4,5 millions de tonnes de riz par an, et en consomme 3,5 millions. « Il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Le gouvernement dispose d’un stock de plus d’un million de tonnes de riz pour la saison actuelle. C’est l’annonce de la réduction de la superficie de la riziculture qui a poussé les citoyens à acheter de grandes quantités de riz, entraînant ainsi une hausse de 20% de son prix », dit Chéhata.
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