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Les risques de la politique isolationniste de Trump

Mardi, 15 mai 2018

En claquant la porte à l’accord sur le nucléaire iranien, mais aussi à plusieurs autres traités multilatéraux, Washington endosse de plus en plus le rôle d’un acteur unilatéral. De quoi provoquer, à terme, un certain recul de ce rôle sur l’échelle mondiale.

Les risques de la politique isolationniste de Trump
Des manifestants protestent devant la Maison Blanche après le retrait de Trump de l’accord sur le nucléaire iranien. (Photo : AfP)
Spécialiste des affaires américaines à Al-Ahram

Durant sa campagne électorale, Donald Trump avait promis de se retirer de l’accord nucléaire entre l’Iran et le Groupe des 5+1. Chose dite chose faite. Le 8 mai dernier, Trump a annoncé son retrait de l’accord et a signé un décret présidentiel qui réimpose au régime iranien des sanctions rigoristes. Une décision qui va à l’encontre de la position des alliés européens des Etats-Unis, mais aussi d’un certain nombre de responsables au sein de l’Administration américaine ainsi que de membres des partis républicain et démocrate. En fait, la décision de Trump s’inscrit dans la même lignée de la politique qu’il adopte depuis son entrée à la Maison Blanche: se retirer tout bonnement d’accords internationaux, comme l’accord de Paris pour le climat, ou encore le traité de libre-échange transpacifique. Chaque fois, Trump n’a pas de vision claire de l’après-retrait.

Cette fois-ci, la décision américaine aura certainement des répercussions négatives internes tant au niveau de la relation entre les institutions américaines de prise de décision que sur la position et l’image des Etats-Unis sur le plan international. Ce retrait pourrait également jeter ses ombres sur la région du Proche-Orient et provoquer davantage de distensions dans les relations entre Washington et ses alliés européens.

Le retrait américain du plan commun d’action risque d’accroître les tensions entre les pôles de l’Administration américaine, en particulier entre deux courants principaux. Le premier est représenté par le président Trump, son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, et son conseiller pour la sécurité nationale, John Botton, qui soutiennent la décision du président américain. Et le deuxième courant est dirigé par le secrétaire à la défense, James Mattis, le chef d’état-major des armées des Etats-Unis, le général Joseph Dunford, ainsi qu’un nombre de responsables au Secrétariat d’Etat américain et des membres des partis républicain et démocrate au Congrès américain. Ces derniers estiment que la décision unilatérale de se retirer de l’accord nucléaire mènera à l’isolement de Washington au niveau international. Ils estiment aussi que les Etats-Unis n’auront plus aucune influence sur le programme nucléaire iranien, ce qui pourrait renforcer les tentatives de Téhéran de posséder l’arme nucléaire.

La position du second courant est renforcée par des rapports du Secrétariat d’Etat, du Pentagone, du service de renseignements américain et de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) selon lesquels l’Iran respecterait ses engagements conformément au plan commun d’action, qui impose des restrictions aux activités nucléaires iraniennes. Le Congrès américain sera une scène de ce conflit, surtout si les Républicains perdent la majorité aux élections de mi-mandat prévues pour novembre prochain. Le président américain aura donc besoin d’une législation pour imposer encore plus de sanctions à l’Iran et aux Etats qui coopèrent avec lui.

L’effet de la décision pourrait aussi toucher l’économie américaine. Les nouvelles sanctions américaines vont viser le secteur du pétrole. Ce qui peut provoquer une hausse des cours mondiaux du pétrole à cause de la baisse de l’offre iranienne.

Vision étroite

La décision de Trump va avoir des répercussions sur la crédibilité et sur l’influence des Etats-Unis autant auprès de ses alliés que de ses ennemis. Washington apparaît donc maintenant comme étant la partie irresponsable qui détruit les accords, alors que dans l’autre côté, Téhéran tient à ses engagements, comme le prouvent à la fois les rapports américains et internationaux.

Les évolutions ne sont donc pas au profit des Etats-Unis. Ce retrait dévoile clairement le recul du rôle américain dans un ordre mondial qui témoigne la montée en puissance d’autres forces concurrentes comme la Chine et la Russie, ou d’alliés comme la France et l’Allemagne qui commencent à remplacer Washington dans la sauvegarde de la stabilité et de la sécurité mondiales.

Le retrait risque de menacer la sécurité et la stabilité dans la région du Proche-Orient: imposer de nouveau des sanctions strictes au régime iranien peut pousser ce dernier à relancer l’enrichissement d’uranium, reprendre ses activités nucléaires avec pour objectif final de se doter de la bombe atomique. Tout cela pourrait menacer les tentatives internationales de non-prolifération des armes nucléaires au Proche-Orient, enflammer les crises qui existent déjà dans la région, en particulier le conflit entre l’Iran et Israël, ou les guerres par procuration entre Téhéran et Riyad.

Pour ce qui est des relations américano-européennes, la décision de Trump n’est, en fait, qu’un nouveau point de désaccord. Avant la déclaration américaine, les Européens avaient tenté de convaincre le président américain de poursuivre le plan d’action commun, en vain. En effet, les Européens craignent que les sanctions américaines contre l’Iran n’affectent les compagnies européennes ayant conclu des contrats avec l’Iran, en plus de la menace des intérêts commerciaux irano-européens qui ont connu des étapes d’évolution très importantes après la signature de l’accord nucléaire.

A l’intérieur de l’Iran, la décision américaine pourrait également affaiblir la force du courant réformiste qui appelle à plus d’ouverture vers les Etats-Unis, et renforcer par contre la puissance du courant radical qui appelle sans cesse à ne pas avoir confiance en Washington « le grand diable ». Il est donc fort probable dans les jours à venir que le régime iranien adopte des politiques plus radicales sur les plans interne et externe. Tout cela va profiter au courant radical qui augmente ses chances auprès du peuple iranien, en plus de ses chances de remporter les prochaines élections parlementaires et présidentielle.

En conclusion, la décision unilatérale du président Trump vise à réaliser des gains personnels étroits, comme le fait de se débarrasser de l’héritage de son prédécesseur, Barack Obama, et de tenir à ses promesses électorales d’éliminer les accords internationaux pour en négocier d’autres qui réaliseraient plus de bénéfices. Mais jusqu’à maintenant, Trump a échoué à réaliser cet objectif. Et les politiques du président américain vont négativement influencer le rôle des Etats-Unis, alors que l’ordre mondial est actuellement en phase d’évolution importante.

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