Al-Ahram Hebdo : Après le retrait américain de l’accord sur le nucléaire, Téhéran a favorisé la diplomatie et Javad Zarif a entamé une tournée pour sauver l’accord. Téhéran va-t-il continuer dans cette ligne ?
Mohammed Mohsen Abo El-Nour : L’Iran vit aujourd’hui ses jours les plus difficiles. La décision de Trump a porté un coup mortel à l’accord et à toutes les ambitions iraniennes. Sur le plan politique, elle a avorté le rêve de Téhéran de devenir une superpuissance régionale. Sur le plan économique, c’est un coup dur à l’économie iranienne déjà en grave difficulté. Dos au mur, Téhéran ne va jamais escalader ni penser à enrichir l’uranium à 20 % pour ne pas perdre ses alliés européens, russes et chinois. Le président Hassan Rohani a affirmé cette semaine à son homologue français, Emmanuel Macron, qu’il ferait tout pour rester dans l’accord. Il est désormais clair que l’Iran a opté pour l’apaisement, en choisissant une nouvelle formule (4+1), excluant les Etats-Unis. C’est dans ce contexte que s’inscrit la tournée du ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, à Pékin, Moscou et Bruxelles pour tenter de sauver l’accord.
— Et quelle sera la marge de manoeuvre des Européens ?
— Les Européens sont entre le marteau et l’enclume. Ils ont affirmé leur engagement à respecter le pacte, et ils sont dans une situation critique, car ils ont dépensé des sommes énormes en Iran et Trump a promis de dures sanctions à toute société européenne investissant en Iran. Ces sociétés risquent donc de perdre des sommes faramineuses si elles continuent de coopérer avec l’Iran. On peut dire que Washington a gagné le jeu, il a mis les Européens devant un choix critique : « Vous devez choisir entre les Etats-Unis et l’Iran ». Il est largement prévisible que les Européens optent pour leurs intérêts avec le camp américain et délaissent l’Iran, de quoi damner la République islamique à l’isolement sur la scène internationale et à la faillite de son économie.
— Cela veut-il dire que Donald Trump a réussi à « déchirer » le pacte comme il l’avait promis pendant sa campagne électorale ?
— Bien sûr que oui. Pas d’accord sans les Etats-Unis. Un accord sans les Etats-Unis est invalide et vidé de son sens pour l’Iran et pour l’Europe à la fois. Juste après la décision de Trump, le marché mondial du pétrole et les cours de pétrole ont été largement affectés, de quoi prouver que les Etats-Unis restent la première superpuissance de la planète. Désormais, les sociétés européennes ne pourront pas investir en Iran et même les banques européennes ne pourront plus travailler avec les banques iraniennes, autrement, elles seront sanctionnées par Washington. N’oublions pas qu’en 2016, après la signature de l’accord, la banque française BNP Paribas a tenté de conclure une affaire avec la Banque Centrale d’Iran, mais a été sanctionnée par le Trésor américain et obligée de payer10 milliards de dollars.
— Les Européens et les Américains partagent la même inquiétude quant à d’autres sujets qui ne sont pas inclus dans l’accord, tels le développement des missiles balistiques et surtout l’hégémonie iranienne croissante dans la région. Comment réduire l’influence iranienne qui s’est accrue dans la région après 2015 ?
— En fait, le ton des Européens a changé ces derniers mois : ils partagent l’inquiétude des Américains en ce qui concerne l’action déstabilisatrice de l’Iran dans la région. Depuis 2015, le paysage politique a complètement changé au Moyen-Orient. Grâce à l’accord, l’Iran a récupéré des milliards de dollars gelés dans les banques occidentales et s’en est servi pour augmenter son influence dans la région : Syrie, Yémen, sud de Gaza ... Il va sans dire que cette action déstabilisatrice de l’Iran au Moyen-Orient inquiète l’Occident et surtout les Etats- Unis. Je pense que les Européens vont saisir l’occasion de ces récentes évolutions pour faire pression sur les Iraniens et modifier le pacte en y ajoutant une clause qui interdit à la République islamique de s’ingérer dans les différends régionaux. Entre le marteau et l’enclume, l’Iran n’aura pas de choix : il va accepter cette modification, sinon, il se trouvera de nouveau confiné à l’isolement, à la chute de son économie et peut-être aussi à une frappe militaire de la part des Etats-Unis et d’Israël.
— Après les dernières frappes israéliennes en Syrie, la tension entre Israël et l’Iran a-t-elle atteint son comble ou peut-elle aller plus loin ?
— La récente escalade militaire entre l’Iran et Israël est sans précédent. Le Golan — occupé par Israël depuis 1967 — est désormais le terrain de grave confrontation entre les deux pays. Je pense que la tension va s’y accroître les jours à venir, car l’Iran ne va pas céder facilement face à Israël en Syrie pour redorer son blason devant ses alliés, son peuple et l’opposition iranienne. Dans cette ambiance tendue, il ne faut jamais éliminer le scénario d’une frappe israélienne ou même américaine directe contre l’Iran, mais pas dans le plus proche avenir. Si l’Iran poursuit l’enrichissement de l’uranium à 20 %, ce sera un grave faux pas stratégique qui entraînerait une frappe militaire inévitable contre ses installations nucléaires. Téhéran doit se déployer à éviter ce scénario cauchemardesque.
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