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Si les cinq autres pays continuent de suivre l’accord, l’Iran restera dans ce compromis en dépit de la volonté des Etats-unis de ne plus faire partie de l’accord », a immédiatement annoncé le président iranien, Hassan Rohani, peu après la décision de Donald Trump de se retirer du
Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), signé à Vienne en juillet 2015, négocié entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne et qui gèle jusqu’en 2025 le programme nucléaire iranien. La décision de Donald Trump pourrait avoir des effets désastreux sur une région extrêmement instable, selon les analystes. C’était déjà une promesse électorale de Trump, hanté par la destruction de l’héritage de son prédécesseur Barack Obama, de rendre caduc cet accord, «
le pire jamais signé par les Etats-Unis ». Les sanctions imposées par le Congrès américain à Téhéran devraient reprendre et même s’élargir à d’autres secteurs outre le pétrole, comme le secteur financier et le commerce maritime. Mais selon John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale américaine, les entreprises bénéficieront d’une période de transition de 90 à 180 jours pour ajuster leur situation. Washington espère que ce délai mettra sous pression les Iraniens et les Européens pour rédiger un nouveau texte.
La Maison Blanche n’était pas la seule à fixer un délai. L’Iran vient aussi d’en fixer un. « Les Européens ont entre 45 et 60 jours pour donner les garanties nécessaires afin d’assurer les intérêts de l’Iran et de compenser les dommages causés par la sortie des Etats-Unis », a déclaré Abbas Araghchi, vice-ministre iranien des Affaires étrangères, lors d’une réunion de la commission des affaires étrangères du parlement iranien. « Si les Européens ne donnent pas de garanties, il reviendra aux responsables du pays de prendre les décisions qui s’imposent », a-t-il ajouté. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, est, lui, parti en tournée diplomatique marathon dans cinq puissances signataires de l’accord et qui avaient vivement dénoncé la décision américaine.
Il s’est ainsi rendu à Pékin, puis à Moscou, et était attendu mardi à Bruxelles où, jusqu’à l’impression du journal, il devrait rencontrer ses homologues français, allemand et britannique. Zarif espère décrocher des garanties et « un cadre futur clair » qui préservent les intérêts de Téhéran et qui sauvent cet accord. « L’objectif final de tous ces pourparlers, c’est d’obtenir des assurances que les intérêts du peuple iranien, garantis par l’accord, seront défendus », a déclaré M. Zarif au début de l’entretien à Moscou avec son homologue Sergeui Lavrov. « Nous sommes prêts pour toutes les options (...) », avait-il affirmé auparavant, à Pékin, lors d’une rencontre avec son homologue chinois, Wang Yi.
Quelles options pour l’Iran ?
Que va faire concrètement Téhéran ? « L’Iran est-il tombé dans le piège syrien ? », se demande le politologue Mohamad Saïd Idris. Il fait référence ici aux affrontements, aujourd’hui directs, entre Israël et l’Iran sur le territoire syrien et se demande si le retrait américain de l’accord n’est qu’un prélude à une guerre. « L’escalade contre Téhéran n’émane pas du vide. Il y a eu d’abord une escalade sur le terrain et une expansion de l’influence militaire américaine en Syrie. Le but était apparemment de piéger l’Iran », explique-t-il. Ces derniers mois, Téhéran et Tel-Aviv s’affrontaient directement en Syrie. Le 9 avril, au moins 14 combattants, dont 7 Iraniens, avaient été tués dans la frappe contre la base militaire T4 à Homs imputée à Israël. En février, l’armée israélienne avait visé ce même aérodrome militaire en affirmant qu’un drone avait été envoyé par l’Iran au-dessus de son territoire depuis ce lieu. Israël avait perdu un chasseur F-16 dans les combats. Et la semaine dernière, Israël a mené des raids contre des cibles iraniennes en Syrie faisant 11 morts, alors que des roquettes ont été tirées depuis la Syrie vers Israël dans la nuit du 9 mai. « L’entité israélienne a révélé, à travers cette attaque, qu’elle était une entité agressive qui doit être confrontée », a expliqué un haut responsable du parlement iranien, Alaeddin Boroujerdi. « Tout site où il y a une tentative iranienne de s’implanter militairement en Syrie sera attaqué », a déclaré de son côté le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman. « La rivalité régionale entre Téhéran et Tel-Aviv s’enflammera sur les scènes voisines de la Syrie et du Liban, ce qui ouvrira la voie à d’importantes perspectives de guerre dans les prochaines semaines. En bref, la région est prête pour un été chaud après que Trump s’est retiré de l’accord nucléaire », écrit le chercheur spécialiste des affaires iraniennes Moustapha Al-Labbad, dans son article hebdomadaire au quotidien koweïtien Al-Qabas. On ignore s’il y a un lien direct entre l’annonce du retrait de l’accord nucléaire et les nouvelles frappes israéliennes, mais Israël avait usé de toutes les pressions et plaidoyers possibles auprès de Trump pour démanteler l’accord. En visite la semaine dernière à Washington, Lieberman avait déclaré qu’Israël « a trois problèmes: l’Iran, l’Iran et l’Iran ». Entendu devant le Congrès quelques jours auparavant, son homologue américain, James Mattis, annonçait qu’une confrontation militaire entre Téhéran et Tel-Aviv était de plus en plus probable. Même si les analystes estiment que ni l’une ni l’autre partie ne voulait de guerre, qui pourrait rapidement dégénérer en conflit à l’échelle régionale, le risque d’une guerre plus large ne peut être exclu surtout que Trump n’a pas évoqué de stratégie alternative une fois Téhéran affranchi de ses contraintes nucléaires. Avant de partir en tournée, Zarif avait en effet affirmé que Téhéran se préparait à reprendre « l’enrichissement industriel d’uranium sans aucune restriction » à moins que l’Europe ne fournisse de solides garanties pour maintenir les relations commerciales avec l’Iran. Les Européens peuvent-ils adopter une ligne dure avec Trump sur fond de tensions déjà sur le commerce transatlantique? Une option peu probable. Aussi bien les Iraniens que les Européens risquent gros. La Russie apparaît comme l’acteur-clé dans cette équation. Le président russe, Vladimir Poutine, a ainsi multiplié les déclarations sur le dossier iranien en s’entretenant avec la chancelière allemande, Angela Merkel, attendue le 18 mai à Sotchi, dans le sud de la Russie, pour une rencontre avec Poutine, tandis que le président français, Emmanuel Macron, doit se rendre à Saint-Pétersbourg fin mai.
« En tendant le piège aux Iraniens, Washington ciblait aussi la Russie », croit Idris. La Maison Blanche cherche, selon lui, à imposer une nouvelle réalité politique et militaire dans la région où les Américains auront la haute main. Le retrait américain de l’accord a d’ailleurs entraîné un rapprochement entre Moscou et les Européens, en dépit des tensions autour du dossier syrien ou encore à cause de l’empoisonnement de l’ex-espion Sergueï Skripal en Angleterre.
L’Iran, qui a retrouvé sa place dans « l’axe du mal » relégué à l’histoire depuis le départ de Geroge Bush, dispose d’une marge de manoeuvre assez restreinte et compte certes sur la Russie, mais aussi sur une influence régionale accrue en dépit des contre-mesures israéliennes mais aussi saoudiennes. Les partis politiques soutenus par l’Iran au Liban et en Iraq et les rebelles au Yémen qui tirent des missiles balistiques contre Riyad montent désormais en flèche.
L’Iran a construit ce qu’il appelle un « axe de résistance », qui s’étend de l’Iraq au Liban en passant par la Syrie. Les forces iraniennes ou les milices alliées se trouvent maintenant aux portes d’Israël et de l’Arabie saoudite. Trump a-t-il piégé l’Iran ou c’est bien l’Iran qui a piégé Israël en le poussant à entrer dans une confrontation directe avec son ennemi juré et cette fois-ci sans procuration ?
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