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Palestine, l’espoir brisé

Abir Taleb avec agences, Mercredi, 09 mai 2018

Alors que l’on commémore le 70e anniversaire de la Nakba, les Palestiniens continuent de réclamer leurs droits fondamentaux, dont la création d’un Etat souverain. Sans trop y croire. Dossier.

Palestine, l’espoir brisé
(Photo : AP)

La nakba, c’était il y a 70 ans. Les Arabes vivaient (ou croyaient alors vivre) la pire des catastrophes qu’ils aient connues dans l’Histoire moderne: la perte de la Palestine, l’expulsion de près d’un million de Palestiniens de leurs terres, et la création, sur les terres palestiniennes, de l’Etat d’Israël. Depuis, ils n’ont pas été au bout de leur peine. De la Nakba de 1948, on est passé à la Naksa de 1967 (la défaite des Arabes face à Israël et la perte de plus larges territoires). Depuis, au fil des ans, les Palestiniens ont revu leurs ambitions à la baisse. Plus question aujourd’hui de revenir à la Palestine historique.

Au maximum, les Palestiniens rêvent d’établir leur Etat sur les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale. Cela paraissait presque à portée de main il y a 25 ans, lors de la signature des Accords d’Oslo (13 septembre 1993) et du lancement du processus de paix israélo-palestinien, devant aboutir, à terme, à la solution à deux Etats. Cela paraît de moins en moins réalisable. Certains parlent aujourd’hui de blocage du processus de paix, d’autres d’échec cuisant, irrévocable. « La situation est très dangereuse. La commémoration de la Nakba intervient dans un contexte plus que critique. D’un côté, Israël est clairement contre toute issue politique, fait tout pour empêcher la solution à deux Etats, les Etats-Unis aussi. De l’autre, les Palestiniens sont divisés, et les Arabes le sont aussi, et sont davantage préoccupés par leurs crises internes et plus faibles que jamais », estime Dr Abdelalim Mohamed, spécialiste du dossier israélo-palestinien au Centre des Etudes Politiques et Stragétique (CEPS) d’Al-Ahram.

Cette année, en effet, la détresse et le désespoir des Palestiniens ont pris une nouvelle ampleur face à l’absence totale d’optique. « Car Israël a tué la solution à deux Etats, il n’en veut tout simplement pas. Or, le paradoxe est que la solution à deux Etats reste celle préconisée par la communauté internationale et reste la seule possible. Mais sur le terrain, concrètement parlant, son application est de moins en moins possible », dit Mohamed.

Cela veut-il dire qu’Oslo, c’est terminé ? Oui, répond l’analyste, et confirme l’ancien ambassadeur palestinien en Egypte, Barakat Al-Farra. Le premier pense que « nous sommes entrés dans une nouvelle étape, puisque seule la première étape de ce plan de paix a été appliquée ». Le deuxième que « plus rien n’en reste aujourd’hui, puisqu’Israël l’a torpillé. Même les régions qui sont passées sous autonomie palestinienne restent dans les faits sous occupation israélienne ». D’où la décision du Conseil National Palestinien (CNP), parlement de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), rendue publique le 4 mai, que la période de transition prévue par les accords d’Oslo n’est plus valide. Faut-il en effet rappeler que cette période intérimaire d’« autonomie » palestinienne devait prendre fin le 4 mai 1999, et que le 5 mai 1999, l’ancien président palestinien devait théoriquement proclamer la naissance de l’Etat palestinien ?

Bataille mémorielle

C’est dans ce contexte que les Palestiniens ont entamé leur « Grande marche du retour ». Une bataille davantage mémorielle, en l’absence d’espoir qu’elle aboutisse à du concret. Le mouvement a commencé le 30 mars dernier, à l’occasion de la Journée de la Terre, et doit se poursuivre jusqu’à la Nakba, avec des rassemblements tous les vendredis à la frontière entre la bande de Gaza et Israël. Depuis, une cinquantaine de Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens.

Cette grande marche s’ancre dans la question du retour des réfugiés, alors que 1,3 million sur les 2 millions de Gazaouis sont des réfugiés, et alors que les Palestiniens n’ont pas vu leurs aspirations nationales et étatiques se réaliser et que le territoire qu’ils contrôlent n’a cessé de se réduire comme peau de chagrin depuis le plan de partage des Nations-Unies de novembre 1947.

Car la Nakba renvoie surtout au « droit au retour » des réfugiés palestiniens. Un droit « politique », voire symbolique, tant il paraît peu vraisemblable que des millions de personnes, en majorité des descendants des réfugiés de 1848, rentrent chez eux. Invraisembable peut-être, mais toujours réclamé par les descendants de quelque 800000 Palestiniens (ou ceux encore en vie) ayant fui leur terre en 1948 et qui attendent encore l’application de la résolution 194, votée le 11 décembre 1948, par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations-Unies. Un droit sur lequel les historiens sont sans ambiguïté, puisque tous s’accordent à dire que le peuple palestinien a été chassé de sa terre, qu’il ait préféré fuir de lui-même pour se protéger ou qu’il y ait été forcé.

Tout converge donc vers les 14 et 15 mai (le 14, la commémoration de la création d’Israël, le 15, celui de la Nakba. Ces jours-là, les manifestations de masse des Palestiniens, le long de la clôture de Gaza, devraient atteindre leur apogée. En même temps, les habitants de Cisjordanie devraient eux aussi descendre massivement dans les rues. Une façon de rappeler au monde qu’ils existent, que leur cause n’est pas morte, et que leurs revendications, avec en tête vivre en paix dans un Etat souverain, sont toujours sans réponse.

Si ces célébrations annuelles se passent toujours sous tension, la situation est tout autre cette année: c’est à cette date que l’Administration du président américain, Donald Trump, entend inaugurer la nouvelle ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Une nouvelle catastrophe. Un nouveau coup fatal pour un processus de paix déjà agonisant. « Comment voulez-vous, dans une telle conjoncture, cette décision sur Jérusalem, une intransigeance de la part des Israéliens qui dédaignent toute relance de la paix, un alignement total des Etats-Unis sur Israël, qu’il y ait un quelconque horizon pour la paix ? », s’interroge l’ancien ambassadeur palestinien en Egypte, Barakat Al-Farra. « Pourtant, nous, les Palestiniens, nous insistons à continuer à réclamer, par tous les moyens pacifiques, la totalité de nos droits, et ce, malgré la complexité et les défis de la situation actuelle », ajoute-t-il.

Et les défis, il y en a. A commencer par la position des Etats-Unis de Donald Trump. Ils reconnaissent Jérusalem comme capitale d’Israël, entendent y transférer leur ambassade et parlent d’un nouveau plan de paix. Selon un haut responsable de la Maison Blanche récemment cité par Reuters, la présidence américaine a presque achevé le plan de paix israélo-palestinien, mais elle peine toujours à se décider sur quelques-unes de ses modalités et sur le calendrier de son officialisation. Le projet américain de relance du processus de paix a pour l’heure de grandes chances de demeurer dans les tiroirs. Pas de quoi se presser, estiment les observateurs: « Même si les détails n’ont pas toujours été rendus publics, ce qui est sûr, c’est que ce marché du siècle n’a rien d’équitable, qu’il est dans l’intérêt d’Israël, et que les Palestiniens n’auront que des miettes », affirme Abdelalim Mohamed.

En effet, sans entrer dans les détails de ce plan, le responsable de la Maison Blanche a confirmé que Washington ne s’engagera pas à faire aboutir à tout prix la solution à deux Etats, l’une des principales revendications palestiniennes, mais encouragera la solution qui sera retenue par les deux camps. Ou plutôt par un seul.

La Nakba, ce n’est pas seulement la catastrophe de 1948, mais c’est un processus qui continue encore...

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