Le vote des Libanais à l’étranger risque d’être tranchant.
Rabha Allam,
Chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram
Les Libanais sont sur le point d’élire un nouveau parlement, une première depuis 2009. Effectivement, le parlement avait prolongé 2 fois son mandat. La seule fois où ce scénario a eu lieu était en 1972, le mandat du parlement avait alors été prolongé jusqu’en 1992 à cause de la guerre civile. Si ce scénario s’est répété avec ce parlement, c’est que la classe politique au Liban reconnaît implicitement que la guerre en Syrie est aussi une « guerre » au Liban. Et il y a eu un différend entre les 2 alliances principales, celle du 14 Mars, dirigée par le courant du Futur de Saad Hariri, et celle du 8 Mars, dirigée par le Hezbollah et le courant patriotique libre. Hezbollah, allié de Téhéran, s’est militairement engagé dans la guerre en Syrie. Quant au courant du Futur, proche de l’Arabie saoudite, il a soutenu les groupes de l’opposition syrienne.
Ainsi, la décision d’organiser un scrutin parlementaire au Liban est un indice signalant que la guerre en Syrie est en quelque sorte achevée, avec la victoire du camp iranien. Or, la fin de la guerre en Syrie avait déjà été traduite sur la scène libanaise en octobre 2016, lorsqu’un accord historique avait été conclu entre le courant du Futur et le Courant patriotique libre. Conformément à cet accord, Michel Aoun avait été élu président de la République et Saad Al-Hariri chef du premier gouvernement de la nouvelle ère présidentielle. Cet accord a permis la reprise de la vie politique au Liban avec l’insistance à effectuer des élections parlementaires. Et ce, après avoir passé avec succès en 2017 un examen difficile concernant la promulgation de la loi électorale.
Alliances insolites
Ces élections portent certaines caractéristiques importantes qui pourraient influencer les résultats. Premièrement, la promulgation de la nouvelle loi électorale qui stipule le scrutin proportionnel et les listes fermées et qui a obligé presque toutes les forces politiques à tisser leurs coalitions électorales sur des bases locales. Par exemple, le courant de Hariri, qui a choisi pour sa campagne politique le principe de l’animosité envers l’agenda régional du Hezbollah, s’est effectivement allié avec l’allié le plus proche du Hezbollah qui est le Courant national libre, et ce, dans plusieurs circonscriptions, dont la plus importante est celle de Beyrouth. Et en contrepartie, il a renoncé à sa coalition traditionnelle avec le parti des Forces libanaises et le parti des Phalanges libanaises qui constituent ensemble deux piliers importants du courant du 14 Mars. Les grandes coalitions qui étaient basées sur les relations avec l’étranger n’existent plus au profit des comptes électoraux locaux. Cependant, l’agenda politique étranger reste présent dans le discours électoral populaire en ce qui concerne l’animosité envers Israël et l’Iran.
La deuxième caractéristique importante est l’existence de listes qui représentent la société civile qui a composé, seule ou en s’alliant avec des forces politiques traditionnelles, comme le Parti communiste, le parti des Phalanges et celui des Forces libanaises, 28 listes d’un total de 77 qui se disputent 15 circonscriptions sur toute la superficie du Liban. Le mouvement civil qui s’est déclenché avec le mécontentement causé par la crise des déchets, pendant l’été 2015, a donné naissance à des coalitions capables de disputer les sièges du parlement après avoir prouvé leur popularité pendant les élections municipales il y a 2 ans. Et bien que ces listes n’aient pas toutes les mêmes chances dans toutes les circonscriptions, de nouvelles figures qui n’appartiennent pas à la classe politique traditionnelle peuvent tout de même remporter des sièges au parlement.
Plus de représentation pour les minorités
La quatrième caractéristique concerne le vote préférentiel : Il augmente les chances des listes issues de la société civile, puisque ce mécanisme pourrait donner plus de chances pour la représentation des minorités électorales. La cinquième caractéristique est très positive, puisque les Libanais résidant à l’étranger ont obtenu le droit de voter à travers les ambassades et les consulats libanais dans 40 Etats autour du monde. C’est à partir des prochaines élections parlementaires que 6 sièges supplémentaires seront consacrés à la représentation des expatriés.
Ce point suscite en même temps une large polémique à la suite des critiques adressées au ministre libanais des Affaires étrangères, Gebran Bassil, qui s’attribue cette réalisation et qui l’a exploitée dans sa propagande électorale en particulier pendant ses tournées à l’étranger. Il est prévu que le vote des Libanais à l’étranger soit tranchant en ce qui concerne l’introduction de nouvelles figures au parlement, en se basant sur la supposition selon laquelle les citoyens qui auraient quitté le pays pour vivre à l’étranger ne sont pas satisfaits de la couche politique au pouvoir. La sixième caractéristique concerne la dissidence de figures éminentes des grands partis avec lesquelles ils disputeront cette fois les sièges. Le courant qui affronte le plus cette problématique est le courant de Hariri dont s’est séparé l’exministre de la Justice, Achraf Rifi, qui a formé une liste à Tripoli. Et il avait réussi à vaincre la liste de Hariri dans les dernières élections municipales.
Quant à la septième caractéristique, elle concerne le fait qu’un nombre de candidats aux élections législatives ont hérité des postes politiques de leurs pères. Un phénomène qui n’est pas nouveau dans la vie politique libanaise, et puisque les dernières élections avaient été tenues il y a 9 ans, la transmission héréditaire est très évidente. Par exemple, Walid Joumblatt, le leader du Parti progressiste, octroie son siège à son fils Taymour, Soleimane Frangié, le leader des Bigades Marada, octroie son poste à son fils Tonny et Feissal Karamé hérite du poste de son père qui est mort il y a 3 ans.
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