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Législatives libanaises : Des enjeux internes et régionaux

Aliaa Al-Korachi, Jeudi, 03 mai 2018

Neuf ans après les dernières législatives, les Libanais se rendent aux urnes le 6 mai pour élire leur nouveau parlement. Si la tenue de ces élections est un défi en soi, l'équilibre des forces qui en sortira serait déterminant tant sur le plan intérieur que régional.

Législatives libanaises : Des enjeux internes et régionaux
(Photo : AFP)

Finalement, « le train électoral a démarré », a déclaré le président libanais, Michel Aoun, avant de s’adresser aux Libanais, qui devront élire, le 6 mai, leur nouveau parlement — une première depuis 2009 — et de les exhorter à s’éloigner « de la mobilisation sectaire » et de « l’incitation à la violence ». Les Libanais à l’étranger ont déjà voté, la semaine dernière, du 27 au 29 avril, pour la première fois de leur histoire. Ces élections législatives devraient ainsi accomplir les institutions dans un pays qui a été miné au cours des dernières années par des crises politiques à répétition opposant les deux principaux courants, celui du 14 Mars dirigé par le Courant du Futur de Saad Hariri et celui du 8 Mars dirigé par le Hezbollah.

En fait, les 128 parlementaires avaient prorogé à trois reprises leur mandat, en imputant à chaque fois le report soit à des menaces sécuritaires, soit faute d’entente sur un mode électoral. Le 31 octobre 2016, et après deux ans et demi de vacance à la présidence, Michel Aoun accédait au pouvoir après une entente historique entre deux de ses adversaires politiques : Samir Geagea et Saad Hariri. Ce dernier est redevenu, selon ce compromis, le chef d’un gouvernement d’union nationale.

Le confessionnalisme, encore et toujours

Mais une fois le président Aoun nommé, les différends ont vite surgi entre les forces politiques sous l’hémicycle, cette fois-ci autour de la réforme de la loi électorale. A l’issue de six mois de tiraillements, où chacune des parties politiques libanaises s’efforçait à faire passer des textes de loi qui lui assurent la plus grande représentativité sous la coupole, une nouvelle loi électorale basée sur « la proportionnelle » a finalement été adoptée le 16 juin 2017, pour abolir définitivement le système « majoritaire » simple, en vigueur depuis 1943.

Selon Sameh Rached, spécialiste des affaires régionales au CEPS d’Al-Ahram, la nouvelle loi électorale consacre davantage la logique communautaire au Liban où les trois plus hautes fonctions de l’Etat sont ainsi attribuées aux trois confessions majoritaires : un chrétien maronite au poste de président, un musulman sunnite au poste de premier ministre et un musulman chiite à la tête du parlement. « Ces nouvelles règles de vote ont consolidé la base du confessionnalisme comme un déterminant fondamental de vote, soit en redessinant les circonscriptions électorales ou la répartition communautaire des sièges sous l’hémicycle, ou de la population sur le territoire libanais. Un confessionnalisme qui trouve également des échos dans l’entourage régional direct du Liban », ajoute-t-il.

Selon Mohamad Badreddine, ancien ambassadeur égyptien au Liban, « ces élections revêtent une très grande importance, puisqu’elles vont révéler les nouveaux défis et le volume réel des rapports de force sous l’hémicycle après l’arrivée de Michel Aoun au pouvoir », avant d’ajouter : « Les législatives libanaises vont également refléter les équilibres régionaux, puisque le pays du Cèdre est connu depuis longtemps comme le baromètre de la région qui a témoigné, au cours des dernières années, d’une montée de l’Iran et de son bras libanais, le Hezbollah ». La question qui se pose alors, selon Badreddine : « Est-ce que l’issue de ces élections maintiendra toujours l’équilibre politique actuel au Liban, qui a produit le règlement politique récent et qui a engendré aussi la loi électorale elle-même ? Ou bien ces élections aboutiront à établir un nouveau rapport de forces sous l’hémicycle et une nouvelle majorité parlementaire, autre que celle présidée par Saad Hariri ? ».

Pour le diplomate, « ces élections seront le premier test de cette loi ». Selon Sameh Rached, la nouvelle loi électorale a été taillée sur mesure pour la classe politique actuelle et exclut « tout changement radical dans la composition parlementaire au Liban », assure-t-il. Bien au contraire, « les législatives pourraient renforcer la légitimité des rapports de force établis, rendant ainsi difficile de briser la bipolarité politique de deux groupes qui ont divisé en deux le paysage politique au Liban : 8 et 14 Mars. Les facteurs du changement sont compensés par d’autres éléments de stabilité. Par exemple, si le Courant du Futur a perdu une partie de sa popularité en raison du mauvais bilan économique du gouvernement, il bénéficierait de l’autre côté de la fragmentation et de l’incohérence des autres forces. Et de la crainte qui gagne du terrain au Liban des répercussions de l’intervention de l’Iran et du Hezbollah en Syrie ».

Un face-à-face électoral féroce

Pourtant, la donne est différente sur le terrain, comme l’indique Mona Salmane, chercheuse à la faculté de sciences politiques à l’Université du Caire, qui pense que le face-à-face électoral entre les deux camps du 8 et 14 Mars démontre que la bataille des sièges du parlement n’est pas du tout facile, et « qu’il n’y a pas de résultats garantis dans ces élections ». « La ferveur et la mobilisation électorales qui animent la scène confirment que les enjeux électoraux sont de taille pour chaque camp », précise-t-elle. Chaque groupe tente de renchérir sur son adversaire.

« Depuis 1992, on a laissé un camp, le nôtre, s’occuper de la résistance, et le Courant du Futur gérer les finances du pays. Si nous devions faire un bilan de notre action, nous pourrions dire que nous avons protégé le Liban et imposé un rapport de force avec l’ennemi. Et vous, Courant du Futur, quel bilan avez-vous à présenter ? Aucun, vous avez échoué », a ainsi affirmé Hassan Nasrallah, dans un discours télévisé retransmis lors d’un meeting électoral à Tyr, au Sud-Liban. C’est aussi au Sud-Liban, fief électoral des candidats du Hezbollah, que Hariri a effectué, la semaine dernière, une tournée électorale, « une première d’un dirigeant sunnite », dit Mona, avant d’ajouter que « Hariri, après avoir suspendu sa démission et organisé deux conférences pour soutenir l’économie à Paris et en Italie, tente de se représenter en tant qu’un nouveau leader politique national, et ne porte pas seulement le label sunnite ». Salmane explique : « L’enjeu est aussi de taille pour le Hezbollah, puisque si ce mouvement n’a pas pu parvenir à obtenir le tiers bloquant, comme il l’avait fait au cours du parlement sortant. Cela signifie que l’Iran a perdu son influence au Liban ».

La distribution des portefeuilles, un casse-tête

Si la tenue des législatives était un défi en soi, d’autres grands défis ne tarderaient pas à apparaître, une fois les députés élus, comme l’estime Salmane. Les nouveaux membres devront élire, premièrement, un nouveau président du parlement, avec qui ils devraient ensuite s’entendre autour du choix du premier ministre qui devrait, à son tour, former le gouvernement. Si le choix de Nabih Berri, comme étant le président du parlement, et de Saad Hariri, une figure sunnite consensuelle, pour le poste du chef du gouvernement, « est presque déjà tranché par toutes les forces, l’étape la plus difficile qui pourrait durer des mois sera celle du partage des portefeuilles ministériels », estime Salmane.

Selon Badreddine, ce sont les résultats des élections qui détermineront effectivement la nature des défis postélectoraux. « Si les élections mènent à un équilibre des forces égal ou similaire à celui du parlement sortant, c’est-à-dire une majorité qui s’oppose au rôle iranien dans la région et une minorité qui le soutient, mais qui jouit d’un tiers bloquant, il est certain que le processus politique au Liban se poursuivra toujours avec la même lenteur », explique Badreddine. Avis partagé par Rached, qui estime que la formation du nouveau gouvernement sera la nouvelle problématique du pays du Cèdre. « Le nouveau gouvernement sera un gouvernement de coalition, et non pas un gouvernement majoritaire. C’est-à-dire qu’il n’y aura pas de prédominance d’une orientation politique particulière, notamment en ce qui concerne les politiques étrangères.

Officiellement, la politique libanaise confirmera toujours l’adoption d’une politique de distanciation, tandis que sur le terrain, l’intervention du Hezbollah se renforcera davantage en Syrie », dit Rached, avant de conclure que « dans l’ensemble, le Liban, avant les élections, ne sera pas très différent du Liban après les élections, sauf se diriger vers plus de confessionnalisme. Mais la chose la plus importante dans les élections c’est que le nouveau parlement devrait être une station pour garantir une certaine stabilité interne jusqu’à l'élection présidentielle, prévue en 2022. Cela ne se produira pas si les crises régionales qui touchent le Liban prennent d’autres tournures fondamentales qui pourraient battre de nouveau les cartes dans la région, et par conséquent, dans le pays du Cèdre ».

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