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Comment l’imbroglio syrien profite à Israël

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 16 avril 2018

En détournant l'attention de la question palestinienne, le conflit syrien profite à Israël. Mais la montée du rôle régional de l'Iran en rapport avec ce conflit inquiète plus que tout Tel-Aviv.

Comment l’imbroglio syrien profite à Israël
Un char israélien stationné près de la frontière syrienne, sur les hauteurs du Golan. (Photo : Reuters)

« Des frappes justifiées » . C’est en ces termes qu’Israël s’est brièvement félicité des frappes aériennes occidentales contre la Syrie, avant d’imposer un état d’alerte maximal tout au long de ses frontières nord avec la Syrie et le Liban, et de décréter la fermeture jusqu’à la fin du mois d’avril, d’une partie de l’espace aérien au-dessus des hauteurs du Golan. Sur Twitter, Yoav Gallant, membre du cabinet de sécurité du premier ministre, Benyamin Netanyahu, a déclaré que ces frappes sont un « signal important » envoyé à l’axe du mal qui opère sur la scène syrienne : le régime lui-même, l’Iran et le Hezbollah libanais.

En fait, depuis un certain temps, Téhéran et Tel-Aviv s’échangent des menaces, notamment après la frappe aérienne de grande envergure qui a visé, le 9 avril dernier, une base aérienne syrienne de Tiyas, ou T4, située près de la ville de Homs, qui a affecté 12 cibles iraniennes et syriennes et a causé la mort d’au moins 14 combattants, dont 7 Iraniens. « Israël a commis une erreur historique en menant un raid contre une base aérienne militaire en Syrie, qui place lEtat hébreu en combat direct avec lIran », a menacé Hassan Nasrallah, chef du mouvement chiite libanais Hezbollah, à la veille des frappes américaines. Quant à Israël, il a menacé de « continuer àagir contre une implantation militaire de lIran en Syrie qui constitue une menace pour la sécuritédIsraël. Notre frontière nord ne peut devenir une aire de jeu pour Bachar Al-Assad », a prévenu Gilad Erdan, ministre de la Sécurité intérieure et membre du cabinet de sécurité.

Selon Nourhan Al-Cheikh, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, « pour Israël, laffaire des frappes américaines nest pas terminée. Tel-Aviv attend avec anxiétéles répercussions des frappes, tout en craignant quelles ne soient exploitées par Téhéran pour réaliser ses menaces », avant d’ajouter : « Tel-Aviv était peut-être le premier àconnaître lheure zéro des frappes. Cest une tradition américaine. Washington est habituéàinformer Israël de tous les détails avant de mener ses frappes militaires dans la région ». Selon Nasr Salem, expert stratégique, Israël a été même impliqué dans ces frappes d’une manière indirecte, car les frappes du T4 n’étaient qu’un prélude pour les frappes américaines. « Cette frappe contre le T4 est nommée militairement une frappe de détection qui a permis àTel-Aviv de dessiner une carte électronique de la Syrie avant de livrer ces informations aux forces tripartites. Cest la frappe israélienne qui a préparéles frappes occidentales ».

Quant à l’opération militaire menée par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, elle était de portée limitée et décevante pour Israël, comme l’explique Amr Abdel- Aty, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram : « Mener des frappes pour affaiblir la Syrie et la faire sortir de l’équation régionale est un gain pour lEtat hébreu, mais cette fois-ci, ce n’était pas un gros gain, puisque, dun côté, ces frappes nont cibléaucune présence iranienne en Syrie, et de lautre, du point de vue stratégique, elles ont démontréque la Russie et lIran restent les acteurs principaux sur la scène syrienne ».

Tout bénéfice

Toutefois, les bénéfices engendrés par Israël de ces frappes, comme l’estime Nourhan Al-Cheikh, sont hors des territoires syriens. « Cette opération militaire a réussi àdétourner relativement les projecteurs des médias des crimes de guerre qui sont perpétrés sur les territoires palestiniens, notamment àGaza, oùles marches du retour se poursuivent pour la troisième semaine consécutive, pendant trois vendredis sanglants qui ont causéla mort dune trentaine de Palestiniens », indique-t-elle. Ces marches devront se poursuivre jusqu’au 15 mai prochain, 70e anniversaire de la Nakba, date également citée pour un éventuel transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem (voir page 7).

« Israël a exploitélatmosphère de guerre que les Etats-Unis et ses alliés tentent de produire dans la région, pour réprimer les manifestations àGaza, et mener en parallèle des frappes aériennes sur des positions du Hamas cette fois-ci dans la profondeur de Gaza comme une tentative de changer l’équation militaire sur le terrain et fragiliser les capacités du Hamas », poursuitelle. Une tactique que Salem qualifie « dune confrontation entre deux guerres », qui consiste à affaiblir les capacités de l’ennemi en se préparant à une éventuelle guerre. C’est la même stratégie adoptée par Israël en menant ses frappes continuelles, et « avec liberté», dans le ciel syrien contre des cibles iraniennes.

En fait, concernant la cause palestinienne, Israël a toujours profité « gratuitement » du chaos qui ravage la région, sans même essayer de prendre l’initiative, explique Nourhan Al-Cheikh. D’abord, avec le déclenchement du Printemps arabe, suivi par des conflits civils sans issue, ensuite avec le déclin de deux grandes armées arabes, syrienne et iraqienne, qui représentaient un jour une menace pour l’Etat hébreu. Et finalement, avec l’accession au pouvoir d’une Administration américaine plus que jamais pro-israélienne. Cette Administration essaye aujourd’hui d’imposer un marché conformément aux conditions israéliennes, et d’imposer « un fait accompli » sur le terrain, détruisant la perspective de deux Etats. « Israël a même réussi àchanger l’équation régionale. Elle nest plus le premier ennemi de la région, mais cest lIran », dit Nourhan.

Lombre de lIran

En ce qui concerne la Syrie, selon Mohamad Khamis Gomaa, spécialiste au CEPS, c’est le changement de la réalité sur le terrain qui a commencé à inquiéter Israël. « Les frontières nord dIsraël avec la Syrie étaient jusqu’àlannée dernière relativement calmes, puisque àlintérieur de la Syrie, la guerre civile fait rage, et les groupes terroristes dominent la scène. Le changement d’équilibre des forces en faveur de Bachar, et ses alliés lIran et le Hezbollah, après lintervention russe en Syrie, ainsi que le règlement politique du conflit qui se profilait àlhorizon, renforçant davantage la présence iranienne àDamas. Tous ces incidents ont obligéTel- Aviv àchanger de stratégie » de confrontation en Syrie, comme l’explique Gomaa. « Au début de la crise syrienne, lintervention israélienne était au minimum. Ce que lon peut décrire par une stratégie sélective ou intervention limitée, avant de multiplier ses frappes aériennes dune façon continuelle pour endiguer les menaces qui proviennent du front nord », poursuit ce dernier. En fait, depuis 2013, Israël a effectué des centaines de frappes aériennes présumées en Syrie contre des convois et des dépôts de stockage qui devaient atteindre le Hezbollah au Liban (voir fiche page 6).

« Le discours stratégique des militaires israéliens au cours de la dernière année a également changé, en donnant une nouvelle définition àla nature des défis provenant du front nord dIsraël », poursuit Khamis, avant d’ajouter que « ce nouveau discours a effacéle point de démarcation dessinéentre lhégémonie iranienne au Liban, en soutenant le Hezbollah, et son hégémonie en Syrie, pour les encercler dans un seul théâtre dopérations, et une seule stratégie de confrontation ».

Selon Tel-Aviv, la Syrie et le Liban constituent « un front uni » menaçant. Dans un communiqué publié en octobre dernier, le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, a déclaré que « lors de la prochaine guerre au nord du pays, le Liban ne constituera pas le seul front. Il ny a désormais plus quun seul front nord composédu Liban, de la Syrie, du Hezbollah, du régime de Bachar Al-Assad et de tous ceux qui aident son régime ». Les frappes américaines sont terminées et Israël s’inquiète aujourd’hui de deux choses. « Le retrait américain rapide » de la Syrie que la Maison Blanche vient de confirmer lundi dernier en appelant au « retrait des forces américaines de la Syrie le plus tôt possible » va fragiliser Israël en laissant le champ libre à la Russie et à l’Iran, selon Abdel-Aty.

La seconde crainte, selon Nourhan, c’est l’évolution du système de défense syrien après l’annonce du ministre russe de la Défense, le lendemain des frappes américaines, « d’étudier loption de doter la Syrie de système avancéde défense de missiles antiaériens S-300 ». Les relations entre Israël et la Russie se sont tendues après les frappes de T4. Le Kremlin a dénoncé, pour la première fois, cette frappe alors que ses précédentes passaient toujours en coordination avec la Russie. « Les missiles S-300 existent toujours en Syrie, mais ils sont sous le contrôle des militaires russes. Larmée syrienne, une fois dotée de ces missiles, la libertéde mouvement dIsraël dans le ciel de la Syrie va être certainement restreinte », conclut l’analyste.

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