Depuis 1959 et jusqu’à nos jours, le quota de l’Egypte dans les eaux du Nil n’a pas changé. A l’époque, le traité de partage des eaux du Nil, signé entre Le Caire et Khartoum à l’occasion de la construction du Haut-Barrage d’Assouan, attribuait à l’Egypte les deux tiers du débit du fleuve, estimés à la hauteur d’Assouan à 74 milliards de m3, soit 55,5 milliards de m3, et au Soudan 18,5 milliards de m3. Avec une population de 25 millions d’habitants à l’époque, la part d’eau de chaque individu dépassait les 2 000 m3 par an. En 2018, avec une population frôlant les 100 millions d’habitants, une superficie agricole de plus de 8,7 millions de
feddans et un quota toujours identique, cette part est devenue inférieure à 600 m3, et ce, même si nous y ajoutons les autres ressources en eau.
Selon le président du secteur de l’irrigation au ministère de l’Irrigation et des Ressources hydriques, Abdel-Latif Khaled, les ressources hydriques de l’Egypte atteignent près de 60 milliards de m3/an après avoir ajouté les eaux souterraines et les eaux de pluie, alors que notre utilisation atteint près de 80 milliards de m3/an. « Ce déficit est essentiellement couvert par le recyclage des eaux agricoles usées, qui est devenu une partie principale de la balance hydrique du pays », ajoute-t-il.
Bien que le quota égyptien des eaux du Nil soit aujourd’hui inférieur aux besoins, il est remis en question par les pays en amont. En mai 2010, cinq des dix pays du bassin du Nil ont rejeté la domination de l’Egypte et du Soudan sur le débit du Nil. Ils ont contesté les traités de 1929 et de 1959, signés au temps de la colonisation, et ont décidé de signer entre eux un accord-cadre de coopération « pour un partage équitable des eaux ». Il s’agit de l’accord d’Entebbe, signé par l’Ouganda, l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda et la République démocratique du Congo, bientôt rejoints par le Burundi et le Soudan du Sud. Bien que cet accord soit toujours jugé non légitime par l’Egypte, la menace pèse sur le pays, surtout qu’il abolit le droit de veto que possédait l’Egypte sur tout projet concernant le fleuve qu’elle jugerait préjudiciable à ses intérêts.
Un an plus tard, en mai 2011, l’Ethiopie a entamé, sans aucun préavis, la construction du plus grand barrage hydroélectrique du continent sur le cours du Nil Bleu, qui fournit 59 % des eaux du Nil. Depuis cette date, Addis-Abeba joue sur le facteur temps et avance à pas de géant dans la construction de son projet, se souciant peu des craintes du Caire et de Khartoum. Pour que le débit du Nil, et par conséquent la part de l’Egypte, ne soit pas affecté, l’Egypte réclame que le remplissage du réservoir du lac, dont la capacité s’élève à 67 milliards de m3/an, se fasse sur 9 ans, alors que l’Ethiopie insiste pour que ce délai n’excède pas 7 ans, afin de pouvoir profiter le plus vite possible de la génération d’électricité. Or, dans ce cas, la part de l’Egypte diminuerait de 12 milliards de m3/an pendant les années de remplissage.
Une véritable catastrophe, qui n’empêche toutefois pas l’Ethiopie de faire la sourde oreille. La visite éclair du premier ministre éthiopien en Egypte en janvier dernier a même accru les préoccupations de l’Egypte, suite à la décision éthiopienne de refuser tout arbitrage de la Banque mondiale dans le différend qui oppose les deux pays au sujet du barrage.
Face à ces défis, une meilleure gestion des ressources hydriques se révèle une nécessité, mais aussi la recherche de solutions nouvelles. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a déclaré en janvier dernier : « Nous ne pouvons permettre un problème d’eau en Egypte, en tant qu’Etat, en tant que gouvernement et en tant que dirigeants. L’Etat ne tente pas seulement de préserver sa part d’eau, mais aussi de maximiser l’exploitation de chaque goutte d’eau ».
Le président inaugurait alors la plus grande station de dessalement au Moyen-Orient, Al-Yousr, installée à Hurghada. Avec une capacité de production de 180 000 m3 par jour, cette station vient répondre aux besoins de la ville, qui souffre depuis sa création d’une pénurie d’eau. « L’objectif est de produire 700 000 m3/ jour dans un délai de 3 ans. Il y a 25 ans, notre production ne dépassait pas les 20 000 à 30 000 m3/jour. Aujourd’hui, les nouvelles régions de l’axe du Canal de Suez, de Galala et de Alamein comptent entièrement sur le dessalement de l’eau grâce à la construction de stations de dessalement dans ces trois régions », précise Dr Hossam Chawqi, professeur de chimie de l’eau et directeur du Centre Al-Tamayouz Al-Masry pour les recherches en matière de dessalement des eaux.
Repenser les politiques hydriques
Cependant, le plus grand utilisateur d’eau est le secteur agricole. « 85 % des ressources hydriques de l’Egypte sont allouées à l’agriculture, 10 % à l’eau potable et 5 % à l’industrie et aux services. Par un simple calcul, on peut déduire que la rationalisation de la consommation de l’eau potable que nous réclamons jour et nuit ne représente rien face à la rationalisation de l’utilisation de l’eau dans l’agriculture », explique Abbas Chiraqi, directeur du département des ressources naturelles à l’Institut des recherches africaines de l’Université du Caire.
Pour atteindre cet objectif de rationalisation, le ministère de l’Irrigation et des Ressources hydriques, en coopération avec le ministère de l’Agriculture, a décidé de réduire la superficie des cultures de riz de 1,1 million de feddans l’année dernière à 724 200 feddans cette année et de limiter la plantation de cette denrée aux gouvernorats de Basse-Egypte, qui bénéficient d’une abondance d’eau.
« Il est indispensable de repenser toutes les politiques hydriques du pays. Il suffit que 75 % des ressources hydriques soient destinées à l’agriculture pour pouvoir consacrer 15 % de l’eau à l’industrie et aux services. En effet, le rendement de l’eau dans ces secteurs est bien plus important que son rendement dans l’agriculture. Une partie de ces revenus pourra alors être consacrée à l’importation de produits agricoles. Il faut aussi réviser les politiques agricoles du pays. Pourquoi planter du blé, du riz et du maïs, dont les prix sont extrêmement bas et qui consomment d’énormes quantités d’eau, alors que nous pouvons planter des fruits et des légumes qui peuvent être exportés à des prix élevés ? », explique Chiraqi.
Et d’ajouter que la majorité des pays du Golfe ne souffrent pas de pénurie d’eau, bien que la part de l’individu en eau ne dépasse pas les 10 m3/an dans un pays comme le Koweït. Cependant, cette quantité concerne exclusivement l’eau potable, l’industrie et les services, alors que les denrées agricoles sont entièrement importées. « La part de l’individu en eau par an en Egypte est aujourd’hui de 560 m3. Ce chiffre peut être largement suffisant. Il suffit de savoir comment le gérer », conclut Chiraqi, tout en pointant du doigt la surconsommation irresponsable de certains Egyptiens aisés, qui continuent d’arroser leurs jardins et à remplir leurs piscines avec de l’eau potable sans aucun scrupule.
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