Une fois de plus, l’armée est invitée à prendre position dans un débat qui anime actuellement la scène politique. Des voix s’élèvent pour appeler l’armée à publier un communiqué clair concernant le projet de « l’axe de développement du Canal de Suez », soulignant s’il nuit ou non à la sécurité nationale du pays. La région qui doit abriter ce projet est, à l’origine, l’un des théâtres d’opérations des forces armées. Ce qui lui donne le plein droit d’imposer des conditions sur un tel projet. De même, la loi exige que tout entrepreneur doit obtenir l’approbation du ministère de la Défense pour un projet dans le Sinaï ou dans toute autre région stratégique.
Pour paraître rassurants, des responsables du gouvernement tiennent, pour leur part, à assurer que « la loi du projet se prépare en coordination totale avec l’armée ». Mais l’armée reste jusque-là réservée à cet égard.
Selon Abdel-Moneim Saïd, ex-président de la Chambre des opérations des forces armées, l’armée aura certainement le dernier mot sur ce projet. « L’armée ne s’opposera jamais à un projet de développement. Mais les détails du projet restent vagues. Le gouvernement a seulement indiqué l’emplacement du projet sans donner de détails sur sa nature », indique-t-il.
Si, pour des économistes, ce projet pourrait être rentable du point de vue économique, pour beaucoup d’experts militaires, des risques ne doivent pas être écartés. Un tel projet présentera un facteur de pression et une charge sur les forces armées dans l’accomplissement de leurs tâches de protection du Canal de Suez. Saïd explique que l’emplacement du projet pourrait entraver la fluidité du déplacement des forces armées et le transfert des unités de l’armée par le Canal de Suez.
La crainte prend de l’ampleur avec cette conception ambiguë de « région indépendante » qui échappe à tout contrôle des institutions de l’Etat, ce qui affaiblira aussi l’influence de l’armée dans cette région.
Pour l’analyste militaire Qadri Saïd, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, sécuriser la navigation sur le Canal de Suez, axe majeur du trafic maritime mondial, est un autre défi. Il explique que, techniquement, toute activité économique doit être loin du Canal, en raison des travaux d’élargissement et d’approfondissement du Canal de Suez entrepris par les forces armées. De plus, les projets qui auront lieu dans cette région seront toujours en danger en cas de guerre.
60 % du capital
Trois conditions principales posées par l’armée pour donner son aval au projet ont circulé dans les médias données par des soi-disant « sources militaires ». La première est que, pour des considérations militaires, ce projet doit se situer au moins à une distance de 5 km de la rive est du Canal. La part égyptienne dans chaque projet ne doit pas être inférieure à 60 % du capital, et le nombre des membres égyptiens dans chaque conseil d’administration de toute entreprise ne doit pas être inférieur à 50 %, autre condition, dit-on, posée par l’armée. La troisième serait de déterminer la nationalité des compagnies étrangères et interdire aux sociétés israéliennes de participer à ce projet. De plus, l’interdiction de la vente des terrains et l’allocation des terrains en usufruit figurent toujours parmi les conditions de l’armée. Selon Mahmoud Qatari, expert militaire, ces conditions ne sont que des « restrictions » qui reflètent le manque de confiance de l’armée envers les intentions du régime actuel, et la crainte que ce projet ne puisse toucher à la souveraineté de l’Egypte.
Point de discorde
C’est peut-être vrai. Des rumeurs couraient qu’un point de discorde existait entre l’armée et le comité ministériel chargé du projet, autour d’une revendication de la part de l’armée lui accordant, à elle seule, le droit d’octroyer des licences aux sociétés égyptiennes et étrangères, afin de préserver la sécurité nationale dans la région. « La loi ne doit pas ignorer ce point très important, sinon on sera exposé à ce que des compagnies israéliennes s’installent dans les territoires sous couvert de compagnies privées », avertit Qatari.
Mais l’affaire n’est pas vue du même oeil par tous. Pour l’expert militaire Adel Soliman, donner à l’armée le droit de délivrer des permis, c’est la pousser à se mêler d’affaires civiles qui, au contraire, ne feront qu’abaisser la valeur de l’armée. L’armée est plus préoccupée par le fait que les exigences de défense soient toujours assurées. Selon lui, le projet ne porte aucune atteinte à la sécurité nationale de l’Egypte, et l’armée ne le permettra jamais, quels que soient les profits.
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