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Yémen : Quel scénario dans le Sud?

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 06 février 2018

Les récents affrontements qui ont opposé à Aden, capitale provisoire du Yémen, les Sudistes séparatistes aux forces gouvernementales, tous deux pourtant alliés dans la guerre contre les Houthis, révèlent une importante évolution des rapports de force sur le terrain.

Yémen  : Quel scénario dans le Sud  ?
Les affrontements à Aden ont fait au moins 38 morts et 222 blessés. (Photo : AFP)

« Toutes les présences militaires ont été totalement retirées des rues de la ville d’Aden, où la vie est revenue à la normale ». C’est ce qu’a affirmé le ministère yéménite de l’Intérieur dans un communiqué publié jeudi dernier, au lendemain d’un cessez-le-feu qui a mis fin à trois jours d’affrontements sanglants entre les forces séparatistes du sud et les forces gouvernementales, faisant au moins 38 morts et 222 blessés. Les armes se sont tues, mais la tension persiste toujours à Aden, cette ville où le gouvernement a pris refuge depuis la prise de Sanaa en septembre 2014 par les Houthis, et qui a été considérée comme étant la ville la plus sûre dans ce pays déchiré depuis trois ans par un conflit armé engendrant la « pire crise humanitaire de la planète », selon l’Onu.

Tout a commencé le 28 janvier, date de la fin de l’ultimatum d’une semaine donné par les séparatistes au président Hadi exigeant le départ du premier ministre, Ahmed ben Dagher, et réclament des « changements au gouvernement », accusé de corruption. L’ultimatum a expiré sans réponse et les deux alliés dans la guerre contre les Houthis, un ennemi commun, se sont trouvés face à face. Des combats ont éclaté à travers toute la ville, et après trois jours de combats, les séparatistes se sont emparés de la quasi-totalité d’Aden, avant d’encercler les entrées du dernier symbole du pouvoir, le palais présidentiel d’Al-Maachiq, où siège le gouvernement. Une délégation formée de militaires saoudiens et émiratis, les deux principaux pays de la coalition arabe qui combattent les Houthis depuis mars 2015, a été vite dépêchée à Aden pour tenter de calmer le jeu et a finalement réussi à parvenir à une trêve, en soulignant « la nécessité de recentrer les efforts sur les lignes de front contre les Houthis », comme a annoncé l’agence officielle émiratie WAM.

Malek Awni, spécialiste des affaires régionales et directeur en chef de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya (politique internationale), estime que malgré le calme qui règne, la prudence est toujours de mise dans le Sud. « Les informations qui proviennent sont contradictoires », dit le spécialiste. Alors que les séparatistes affirment que leurs manifestations étaient au départ pacifiques et qu’ils se sont trouvés obligés de porter les armes face à la violence des forces gouvernementales, le gouvernement de Hadi, lui, dénonce « un coup d’Etat » et « des actes terroristes ». « Il s’agit d’une pause temporaire et tactique. Les affrontements pourraient se renouveler dans n’importe quel moment », dit Awni. Avis partagé par Mona Salmane, chercheuse à la faculté de sciences politiques de l’Université du Caire, qui pense que le paysage sécuritaire et politique ne sera plus jamais comme avant. « Les voix sécessionnistes se font de plus en plus entendre », dit Salmane, avant d’ajouter: « Si on aboutit à un règlement politique à même de contenir vite la révolte des Sudistes, cette alliance de circonstance entre Sudistes-Hadi risque aujourd’hui d’avoir le même sort que celle entre les Houthis et Saleh ».

Une réunification fragile

En fait, « l’élément déclencheur » de la tension entre ces deux alliés date d’avril 2017, comme l’explique la chercheuse, quand le président Hadi a décidé de limoger le gouverneur d’Aden, Aidarous Al-Zoubaidi, l’une des figures éminentes du « mouvement du Sud ». Ce dernier a formé un mois plus tard le Conseil de Transition du Sud (CTS), autorité parallèle dominée par des grands symboles du mouvement du Sud, créée en 2007. Hissant le drapeau sécessionniste à étoile rouge de l’ancien Yémen du Sud, le CTS a réclamé, en octobre 2017, la tenue d’un référendum sur l’indépendance du Sud du Yémen. A rappeler que le Yémen du Sud était un Etat indépendant depuis sa création en 1967 jusqu’à sa fusion avec le Nord en 1990, sous la présidence du nordiste Ali Abdallah Saleh.

Toutefois, le chemin n’était pas du tout pavé pour une union solide entre le Nord et le Sud, et les voix séparatistes ne se sont jamais tues (voir page 3). « La création de ce conseil, qui a orchestré le face-à-face avec les forces gouvernementales, a ravivé une autre fois avec force les aspirations indépendantistes qui avaient été reportées, comme les Sudistes eux-mêmes l’affirment, jusqu’à la fin de la guerre contre les Houthis », dit Mona. Et d’ajouter : « Cette escalade intervient dans un contexte de blocus politique et de la montée en puissance des Houthis dans le nord et le centre du Yémen. Le CTS, isolé jusqu’alors sur la scène politique, trouve dans ce contexte une grande opportunité de réaliser des gains politiques ou militaires ou même séparatistes ».

Si aujourd’hui les réclamations des Sudistes pour l’indépendance ne cessent de croître, elles sont, cette fois-ci, fortifiées par « un pouvoir militaire non négligeable sur le terrain que ces affrontements ont démontré », explique Awni. « Ces affrontements ont été révélateurs d’une nouvelle réalité qui s’impose dans le Sud. L’utilisation d’armes lourdes par les séparatistes dans les affrontements indique qu’il y a un changement dans l’équilibre des forces sur le terrain. Le CTS possède une force militaire considérable qui n’a pas été encore épuisée dans les combats avec les Houthis. Celle-ci pourrait changer la donne à n’importe quel moment sur le terrain en menaçant l’unité de l’Etat yéménite ».

Sur la scène politique, Mona Salmane pense que le CTS est devenu désormais un acteur politique incontournable dans les négociations, puisque « l’un des scénarios possibles est que la coalition arabe exerce des pressions pour un changement du gouvernement, en donnant plus de portefeuilles aux Sudistes dans le nouveau cabinet, et ce, pour contenir la crise et éviter la reprise des affrontements militaires ».

Les Houthis, grands gagnants

Autre point important, l’impact négatif de ces derniers événements sur la guerre contre les Houthis, selon Salmane. « L’ouverture d’un autre front dans le Sud va mener, d'un côté, à la dispersion des efforts de la coalition arabe et renforcer la présence du camp houthi-iranien qui sera le grand bénéficiaire de ce nouveau conflit. De l’autre côté, pour la coalition arabe qui mène les combats au Nord depuis les villes sudistes, perdre le contrôle sur les Sudistes, c’est perdre tout le Yémen, considéré être la profondeur stratégique de l’Arabie saoudite », dit la chercheuse.

Une instabilité à Aden risque également, d’après Awni, de « fragmenter l’alliance tribale nordiste loyale au pouvoir » qui mène les batailles contre les Houthis, puisque « selon certaines informations, des brigades de ces tribus ont menacé de quitter le champ de bataille pour aller défendre le gouvernement dans son combat contre les séparatistes ».

Reste un autre enjeu de taille : la menace terroriste. Selon Awni, « contenir la crise est essentiel pour éviter que le Sud du Yémen ne redevienne le théâtre des activités d’Al-Qaëda », ce qui, conclut l’analyste, serait « un scénario catastrophique, non seulement pour la guerre contre les Houthis, mais aussi pour la sécurité de la région dans sa totalité ».

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