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Les calculs de Washington

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 16 janvier 2018

Le vice-président américain, Mike Pence, entame, le 20 janvier, une tournée proche-orientale de trois jours destinée à sonder les positions arabes après le transfert de l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.

Les calculs de Washington
La tournée de Pence intervient à un moment de confusion dans le monde arabe. (Photo : AP)

Reportée trois fois au cours d’un seul mois, la première tournée proche-orientale du vice-président américain, Mike Pence, aura finalement lieu du 20 au 23 janvier. Elle le mènera en Egypte, en Jordanie, puis en Israël. Initialement prévue fin décembre, cette tournée devrait permettre d’aborder le « plan » de paix américain, jusqu’alors top secret. « Accord ultime », « Une rare opportunité pour la paix », telles sont les formules que Trump n’a cessé de répéter depuis son arrivée à la Maison Blanche, il y a un an, en déclarant que ce plan serait en mesure « de résoudre le conflit israélo-palestinien », ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait réussi à faire. Or, la décision annoncée par Trump, le 6 décembre, de transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem — et donc de reconnaître implicitement cette dernière comme étant la capitale d’Israël— fait planer le doute autour d’un éventuel accord. Face à une large condamnation arabe et internationale, Pence, connu pour être l’architecte de cette décision, et qui se tenait à côté de Trump devant les caméras lors de sa signature, s’est ainsi trouvé obligé d’ajourner sa tournée à plusieurs reprises.

La semaine dernière, la Maison Blanche a une nouvelle fois annoncé la venue de Pence au Proche-Orient, mais cette fois-ci avec quelques changements au niveau de l’itinéraire. Au lieu de commencer par Israël, comme cela était initialement prévu, Pence fera sa première escale en Egypte, pour rencontrer le président Abdel-Fattah Al-Sissi, avant de partir en Jordanie, récemment ajoutée à l’agenda, pour une rencontre avec le roi Abdallah II. « L’ajout de la Jordanie est très important, puisque celle-ci représente une alternative à Ramallah, qui a été exclue de la tournée, après le refus de Mahmoud Abbas d’accueillir Pence », explique Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université américaine. Pence clôturera sa tournée par une visite de deux jours en Israël, où il devrait prononcer un discours devant la Knesset.

Que faut-il attendre de cette tournée de Mike Pence? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices, car la décision de Trump de transférer l’ambassade à Jérusalem a choqué les pays de la région.

Ballons d’essai

Selon Amr Abdel-Ati, spécialiste des affaires américaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, il ne faut pas s’attendre à des résultats tangibles lors du déplacement de Pence dans la région. « Cette tournée ne sert qu’à analyser, d’une part, l’impact de la décision de Trump sur les positions arabes après quelques semaines et, d’autre part, à évaluer dans quelle mesure Washington pourra passer à la seconde étape de son plan ambigu », dit-il. Et d’ajouter: « Il n’est pas prévu que Washington dévoile son plan au cours de la tournée de Pence. On se contente pour le moment de lancer de temps à autre des ballons d’essai à travers la presse américaine pour tester les réactions arabes et palestiniennes ». Un avis partagé par Fahmi, qui pense que « si Pence est porteur d’une vision sérieuse, ce qui semble improbable, la visite peut être une occasion pour échanger des points de vue. Mais s’il n’a aucune vision claire, la tournée se terminera certainement par un échec ».

Selon Fahmi, l’échec de la visite en lui-même n’est pas le pire à craindre. « Il y aura certainement des répercussions très négatives sur la région, puisque cet échec va confirmer et approfondir l’idée que l’administration américaine n’a rien à offrir à la région et ne cherche pas sérieusement de mécanismes pour relancer le processus de paix », explique le politologue, avant d’ajouter: « Par conséquent, les confrontations se poursuivront en Cisjordanie et pourraient aussi s’étendre à la bande de Gaza. Du côté israélien, cela encouragera Tel-Aviv à aller de l’avant avec ses plans de colonisation et de promulguer plus de lois qui compliqueront davantage le scénario des deux Etats ».

Selon Abdel-Ati, « l’accord ultime » promis par Trump n’est rien de plus « qu’une tentative d’étouffer toute possibilité d’un Etat palestinien viable », comme le montrent toutes les mesures pro-israéliennes prises parallèlement à la tournée de Pence. Comme par exemple les menaces incessantes des Etats-Unis, au cours du mois dernier, de couper les aides financières aux Palestiniens, en raison du refus de l’Autorité palestinienne « de négocier un traité de paix attendu », selon les termes de Trump. Ou la suppression, ce qu’aucun des prédécesseurs de Trump n’avait fait, de l’engagement américain envers l’instauration de deux Etats dans la stratégie de la sécurité nationale américaine (publiée à la mi-décembre) pour les quatre ans à venir. Le refus arabe et palestinien du plan américain, une fois dévoilé, semble inévitable. « La grande problématique qui se posera alors est de savoir qui peut conduire le processus de négociation relatif à la solution des deux Etats », explique Fahmi.

En fait, la tournée de Pence intervient, comme l’explique le politologue, dans un contexte de confusion dans les milieux arabes et palestiniens. « Plusieurs événements se succèdent. Avant la fin de ce mois, la Ligue arabe devrait trancher sa décision, soit d’organiser un petit sommet d’urgence, soit d’attendre le sommet périodique, qui devrait avoir lieu à Riyad en mars prochain », dit Fahmi. Sur le plan palestinien, les réunions du Conseil central de l’OLP, devant servir à discuter des moyens de réagir aux mesures américaines, ont mal commencé dimanche dernier, avec le boycott du Hamas et du Djihad, sous prétexte que « les conditions dans lesquelles le Conseil central se réunit empêcheront que des décisions à la hauteur de nos aspirations ne soient prises » (voir page 3).

Les messages du Caire

La visite de Pence au Caire, où les deux institutions religieuses Al-Azhar et l’Eglise copte ont refusé de l’accueillir, intervient également, comme l’explique Fahmi, dans une atmosphère de « tension non déclarée » entre les deux pays. La venue de Pence s’inscrit dans un cadre plutôt « protocolaire et diplomatique ». Cette tension remonte essentiellement à août dernier, après la réduction — sans justification — d’une partie de l’aide financière et militaire américaine, « ce qui a nui au partenariat entre les deux pays », estime Fahmi. D’un autre côté, selon Abdel-Ati, cette visite indique l’importance du rôle égyptien pour les Etats-Unis « dans les questions régionales et relatives à la lutte contre le terrorisme », deux autres sujets au menu des discussions. Toutefois, selon le spécialiste, le déplacement de Pence pourrait aussi être motivé par l’inquiétude de Washington vis-à-vis du partenariat égypto-russe, suite à la signature de l’accord nucléaire pacifique de Dabaa, et par la diversification des sources d’armement de l’Egypte, provenant notamment de la France.

Est-ce que Pence va présenter une nouvelle vision pour développer les relations bilatérales? Fahmi ne le pense pas, puisque le vice-président américain « possède des pouvoirs limités au sein de l’Administration américaine ». Concernant la cause palestinienne, les efforts diplomatiques de l’Egypte pour s’opposer à la décision de Trump ont pris plusieurs formes. « Recevoir Pence fait partie de la stratégie égyptienne, basée sur l’engagement actif dans le règlement des crises régionales, et indique sa volonté de conserver ses zones d’influence, afin d’avoir la possibilité d’influencer ou de modifier la vision américaine », dit Abdel-Ati. Et de conclure: « Le Caire a des messages clairs que le vice-président devra transmettre à Washington et dont le plus important est le refus catégorique de négocier tout plan de paix avec un Etat palestinien sans Jérusalem ».

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