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Amal Hamada : Le régime joue sur les contradictions entre les manifestants

Samar Al-Gamal, Jeudi, 11 janvier 2018

Amal Hamada, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, estime que les manifestations ne sont que le reflet d’une bataille entre les ailes du pouvoir iranien.

Amal Hamada : Le régime joue sur les contradictions entre les manifestants

Al-Ahram Hebdo : Que traduisent les manifestations en Iran ?

Amal Hamada: Nous n’avons pas suffisamment d’information sur ce qui se passe vraiment. Le régime iranien base sa légitimité sur deux éléments, le premier est le poids et la puissance de l’institution religieuse, une importance qui vient à la fois de la Constitution qui fait du guide la tête du pouvoir et de sa puissance économique. Le deuxième est que depuis la fin de sa guerre avec l’Iraq en 1989, le pays a commencé à voir une montée de ce qu’on appelle les réformateurs qui s’opposent surtout à la façon de gestion du pouvoir. Leur voix monte et ils arrivent à recueillir des voix par exemple au parlement, même s’ils n’influencent pas dramatiquement la rue. C’est une influence qui augmente et recule et vice-versa. Une sorte de fluctuation. Aujourd’hui, ils ont Rohani comme président et disposent de la majorité au parlement. Des raisons économiques se trouvent à l’origine du mouvement de contestation avec aussi un teint de mécontentement ou d’opposition à l’implication de l’Iran dans des dossiers régionaux. Les citoyens ordinaires ne voient pas l'utilité de cette implication.

— Mais les manifestants se sont montrés opposés aux deux camps et scandaient la « mort à Rohani », parallèlement à des slogans contre la théocratie...

— Les demandes des manifestants semblent assez contradictoires. Chaque groupe a ses propres revendications. Certains sont contre le gouvernement réformateur et attaquent ainsi sa politique de réforme économique et sa gestion des dossiers de corruption ainsi que sa politique étrangère, et ceux-ci sont des conservateurs. Ils estiment que les Iraniens mènent une vie difficile pour des raisons économiques dues surtout au blocus. D’autres, surtout des jeunes, estiment que Rohani n’est pas suffisamment réformateur. Ils manifestent surtout pour des raisons sociales, mais aussi contre la baisse du niveau de vie. C’est ici que nous pouvons voir les filles qui ôtent le voile et réclament plus de liberté. Ceux-là sont à l’opposé du premier groupe. Un autre groupe par exemple demande le retour du fils du chah exactement comme certains en Egypte en 2011 voulaient la restauration de la royauté.

— Face à cette scène contradictoire, quel scénario envisageable alors ?

— Il semble que le conflit entre les deux courants, conservateur et réformateur, au sein du pouvoir s’est traduit dans la rue. Chaque aile soutient un groupe, et cela explique pourquoi les manifestants ne sont pas unis derrière une seule demande. Le conflit était là, mais pas dévoilé en public. Les manifestations l’ont juste cristallisé, ce qui fait que tous les scénarios sont possibles. Le plus improbable est la chute du régime du « guide » et du « wélayet al-faqih », car ceci est surtout lié à la doctrine chiite elle-même, des alliances avec les grands hommes d’affaires traditionnels et une base sociale par millions. Le plus facile est le départ du gouvernement de Rohani.

— Le gouvernement peut-il être sacrifié pour calmer la rue ?

— C’est possible même si cela semble très difficile aussi. Mais le plus probable est que le régime joue sur les contradictions entre les manifestants en tentant de rallier un groupe à son côté, et qu’il passe peut-être à la répression des autres pour avorter le mouvement. Plus tard, Rohani pourra conclure un marché avec le pouvoir religieux, car ce dernier est le seul qui puisse le sauver si les choses prennent un tournant plus compliqué et si les manifestations gagnent du terrain, ce qui n’est pas le cas en ce moment. La loyauté de la rue, qui est majoritairement en faveur du guide, peut contribuer à sauver le gouvernement s’il y a des consignes dans ce sens.

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