Dimanche, 16 février 2025
Dossier > Dossier >

La realpolitik prend le dessus

Samar Al-Gamal, Mercredi, 13 décembre 2017

Pour contrecarrer la décision américaine, les pays arabes ont appelé la communauté internationale à reconnaître officiellement l’Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale.

La realpolitik prend le dessus
Les Arabes appellent la communauté internationale à reconnaître Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine. (Photo : AFP)

« C’est le maximum que nous pouvions obtenir avec la conjoncture arabe actuelle ». C’est ce qu’a affirmé un haut diplomate arabe qui a requis l’anonymat en allusion à la réunion extraordinaire des ministres arabes des Affaires étrangères consacrée au dossier de Jérusalem. Les chefs de la diplomatie de la Ligue arabe se sont réunis au Caire samedi 9 décembre pour protester contre la décision de l’Administration américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël. « C’est un développement dangereux qui met les Etats-Unis en position de parti pris en faveur de l’occupation et de la violation du droit international et des résolutions internationales », pouvait-on lire dans un communiqué au terme de la réunion. Pour contrecarrer la décision américaine, ils ont appelé la communauté internationale à reconnaître officiellement l’Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale. Les Arabes qui ont demandé à Washington d’annuler sa décision sont d’ailleurs restés dans la réprobation.

Pas de décision concrète, pour le moment, malgré le mécontentement général. Les ministres arabes ont dit privilégier une réponse graduelle. Les ministres ont décidé, par exemple, de former une commission dont la mission consistera à sensibiliser les Etats à cette mesure. Ils ont aussi indiqué qu’ils chercheraient à obtenir une résolution du Conseil de sécurité, affirmant que la décision américaine était contraire à la légitimité internationale. « Deux axes se sont manifestés durant la réunion », explique le diplomate. « Le premier, qui représente d’ailleurs la majorité, estime que c’est le plafond de leur réaction et veut éviter une confrontation qui ne peut pas durer. Ils pensent qu’un boycott des Américains n’est pas possible et sera reçu par des politiques plus agressives de la part de Trump. Ils ont ainsi préféré une réaction de pas par pas. L’autre axe, représenté notamment par le Liban et l’Iraq, voulait allait plus loin avec une escalade et des mesures sur le plan diplomatique et économique ». Cette résolution « n’est pas à la hauteur de la gravité de la question », indique en effet un communiqué du ministère libanais des Affaires étrangères. « Nous avons demandé que d’autres initiatives soient prises pour contrer cette atteinte sans précédent à la Ville sainte », poursuit le communiqué. Ainsi, aucune mesure punitive n’était formulée. Pas de vrai projet, car un lobbying avant la réunion n’était pas possible vu le contexte. Un lobbying normalement mené par l'Egypte et la Syrie.

Les ministres ont réussi pourtant à ne pas tomber dans des conflits ou accrochages interarabes comme ce qui s’est souvent passé pendant les réunions de la Ligue. « Ils étaient assez vigilants, car c’est un dossier qui menace la stabilité de la région », explique un diplomate qui a assisté à la réunion. « Les décisions de la Ligue arabe étaient à la hauteur de la situation arabe actuelle », estime de son côté Barakat Al-Farra, ancien ambassadeur palestinien au Caire. Toutefois, les décisions, d’après lui, « ne répondent pas aux espoirs et aux aspirations du peuple palestinien ou à la protection de Jérusalem, mais reflètent un monde arabe déchiré ». Al-Farra estime que le sujet a commencé depuis l’occupation du Koweït par l’Iraq. Il ne cache pas que la confrontation avec l’Iran domine les relations interarabes. « Même l’Iraq, qui a émis des réserves sur la déclaration finale de la Ligue arabe, a des problèmes avec une interférence iranienne », dit-il. « Nous avons pris une décision politique, pas qui reflète ce qui se passe dans les rues. Le travail politique est un travail responsable », a déclaré le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmad Aboul- Gheit.

Quelles priorités ?

En effet, les Arabes, notamment les pays du Golfe, se retrouvent dans une position très délicate depuis la décision de Trump sur Jérusalem. Ils se voient poussés à afficher une animosité contre les Etats-Unis pour répondre à une rue arabe qui grogne, alors qu’ils sont en train de consolider une coalition avec Washington contre la prédominance iranienne. Riyad, qui avait cautionné un plan de paix en 2004 pour mettre un terme au conflit avec Israël, veut aujourd’hui surtout contourner l’influence de Téhéran. L’exacerbation des tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran, dont les relations diplomatiques sont rompues depuis janvier 2016, avait poussé Riyad à réclamer une réunion extraordinaire de la Ligue arabe le mois dernier. Lors de cette réunion, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Al-Jubeir, avait lancé une attaque contre l’Iran et ses « agents comme le Hezbollah libanais et les Houthis au Yémen ». Le président américain s’est en effet aligné sur la vision saoudienne du Proche-Orient et les Arabes ne veulent pas sacrifier cette position. « Ce ne sont pas les pays de la confrontation quand il est question de la Palestine », dit le diplomate arabe en opposant leur position à celle de l’Egypte, le Liban, la Jordanie et la Syrie qui sont impliqués directement dans le conflit arabo-israélien. Au lendemain de la réunion de la Ligue arabe, le président égyptien s’est ainsi entretenu avec le roi Abdallah de Jordanie, dont le royaume est gardien des Lieux saints de Jérusalem depuis près d’un siècle. Lundi, il a rencontré le président palestinien, Mahmoud Abbas, pour discuter des mesures à prendre, notamment que le vice-président américain est attendu dans la région et que l’Autorité palestinienne a décidé de le boycotter. Tout compte fait, « il ne faut pas pourtant s’attendre à des changements importants dans les relations entre Washington et ses alliés », estiment les observateurs.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique