Une seconde Déclaration Balfour. 100 ans après la promesse faite aux juifs de créer un Etat en terre de Palestine, la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël vient rappeler la célèbre phrase : «
Celui qui ne possède pas offre à celui qui ne mérite pas ». Mercredi 6 décembre, le président américain, Donald Trump, dans une brève allocution, depuis la Maison Blanche, a annoncé qu’«
il était temps de reconnaître officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël. Ce n’est rien de moins qu’une reconnaissance de la réalité », et ce, malgré les mises en garde émises çà et là. Pire encore, Trump a ordonné «
au département d’Etat de préparer le déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv vers Jérusalem pour être un magnifique hommage à la paix ». Et ce, avant de signer en grand format, sous les caméras, pour activer cette loi dite de «
Jerusalem Embassy Act », qui date de 1995, et que tous ses prédécesseurs républicains ou démocrates ont reportée six mois après six mois.
A peine le discours de Trump terminé, les protestations ont fusé de toutes parts. Depuis, la colère ne baisse pas. L’onde de choc n’a guère affaibli et les manifestations se poursuivent toujours dans certaines villes, notamment dans le monde arabo-musulman, souvent devant les ambassades américaines, animées presque toutes par un seul emblème: « Jérusalem est une ville arabe ».
La boussole du conflit s’oriente de nouveau donc vers Jérusalem, cette ville au coeur du conflit arabo-israélien depuis tout un siècle. Dans la Ville sainte, « les jours de colère » s’enchaînent sans interruption. Cette reconnaissance intervient en fait trois jours avant le trentième anniversaire de la première Intifada palestinienne, éclatée le 9 décembre 1987: la guerre des pierres. Et 100 ans après la Déclaration Balfour. A Hébron, Bethléem, Jéricho et près de Naplouse, de jeunes Palestiniens aux visages masqués par un foulard, fronde à la main, jettent des pierres et des pneus enflammés vers les forces israéliennes qui répliquaient à distance par des tirs de balles en caoutchouc et de balles réelles, et par des gaz lacrymogènes. Les heurts ont coûté jusqu’à présent la vie à 4 Palestiniens et plus de 1000 autres ont été blessés. Des bombardements israéliens retentissent de temps à autre sur des positions militaires dans la bande de Gaza.
Sur le plan diplomatique, la scène se mobilise toujours contre la décision. Trois réunions d’urgence, au niveau international, arabe et islamique, ont été vite tenues. Aux Nations-Unies, Washington était plus que jamais isolé sur la scène internationale. Pour la première fois, les partenaires et les adversaires de Washington ont rejeté la décision américaine, mettant en avant les risques qu’elle engendre. A l’exception évidemment de l’ambassadeur d’Israël auprès de l’Onu, qui a félicité « cette déclaration historique ». Au Caire, les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe ont décidé de déposer auprès du Conseil de sécurité de l’Onu un projet de résolution rejetant la décision américaine et réclamant un Etat palestinien « avec Jérusalem-Est comme capitale ». De même, un sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), formée de 57 membres, s’est tenu mardi 12 décembre à Ankara. Et le ministre de la Défense de la Malaisie de déclarer: « Notre armée est prête à agir pour défendre Jérusalem ».
Une Administration américaine plus que jamais pro-israélienne
Sur le plan national palestinien, dans un discours télévisé, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, sort pour dénoncer cette reconnaissance unilatérale de Trump qui, pour lui, « vient tout juste de détruire la perspective de deux Etats », en disqualifiant les Etats-Unis « de tout rôle dans un quelconque processus de paix ». Abbas a également refusé d’accueillir le vice-président américain, Mike Pence, lors de sa tournée dans la région prévue le 20 décembre. Quant à Barakat Al-Farra, ancien ambassadeur palestinien au Caire, il a dévoilé que le Conseil central de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), la plus haute instance palestinienne, allait tenir cette semaine un sommet regroupant toutes les factions palestiniennes islamiques, y compris le Djihad et le Hamas aussi bien que des indépendants, pour élaborer une « feuille de route » et une nouvelle « stratégie d’affrontement ».
Un tourbillon diplomatique, des affrontements dans les Territoires occupés et une fronde populaire dans tout le Proche-Orient et même ailleurs. Tout cela a une explication. La décision de Trump, elle, pas tant que cela. Qu’est-ce qui a donc poussé Trump, le 45e président américain, à décider de tenir hâtivement sa « promesse électorale », de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, alors que ses prédécesseurs n’ont jamais osé le faire pour des raisons « de sécurité nationale » ? Selon Amr Abdel-Atty, spécialiste des affaires américaines, Trump a pris cette décision sous une pression interne accrue, notamment à cause de l’influence de son entourage. « Les proches du président américain sont ouvertement pro-israéliens. Commençant par Jared Koshneir, le gendre et le conseiller du président à qui Trump a confié de rédiger son plan du siècle, ce règlement du conflit dont les contours restent jusqu’à présent inconnus. Vient ensuite David Friedman, ambassadeur américain à Tel-Aviv, connu par être un des nouveaux sionistes à la Maison Blanche », dit Abdel-Atty. Avant d’ajouter les noms de deux autres figures pro-israéliennes dans l’entourage de Trump: Nikki Haley, ambassadrice américaine aux Nations-Unies, Jason Greenblatt, envoyé pour le Proche-Orient.
Outre cette annonce la plus dévastatrice pour les pourparlers de paix, Washington a attaqué sur deux autres fronts, au cours du mois dernier, l’Autorité palestinienne, « marquant un alignement, sans précédent, de la politique américaine sur les intérêts israéliens », note Abdel-Alim Mohamad, spécialiste des affaires palestiniennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Premièrement, comme le cite Abdel-Alim Mohamad, Trump a menacé de fermer le bureau diplomatique de l’Organisation de libération de la Palestine à Washington, avant qu’il ne l’autorise mais avec certaines restrictions. Ensuite, le Congrès a voté à l’unanimité, le 5 décembre, l’adoption de la Loi Taylor Force, qui bloque l’aide à l’Autorité palestinienne de 2018 à 2024, à moins que cette dernière ne cesse de verser des mensualités aux familles des Palestiniens morts ou inculpés de tuer des Israéliens. Autre cause interne. Un an à la Maison Blanche, Trump n’a pas tenu d’autres promesses électorales concernant la réforme sanitaire ou tarifaire, précise-t-il.
Au-delà de la décision
A ceci s’ajoute le scandale des ingérences russes dans les élections américaines. « D’une part, Trump, par cette reconnaissance, a essayé de gagner le soutien de son électorat juif et évangéliste, et d’autre part, c’est une tentative de préoccuper l’opinion publique et même les politiciens américains sur des questions étrangères ». Vient aussi une autre question évoquée par Sameh Rashed, spécialiste des affaires régionales à Al-Ahram, la faiblesse des régimes arabes, fragilisés après la période des révolutions arabes, et préoccupés par des questions de réforme interne. « Le temps convenable » pour Trump de prendre une telle démarche.
Si du point de vue juridique, cette démarche n’a aucun effet, puisque cette reconnaissance est en rupture avec le droit international et les résolutions onusiennes (voir fiche page 5), ses répercussions, comme l’explique Malek Awny, directeur de rédaction de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya, sont tellement très dangereuses sur le terrain. « C’est de donner une sorte de légitimité à l’occupation, en essayant d’imposer un fait accompli difficile de le changer aux côtés palestinien et arabe, les parties faibles dans l’équation du règlement », dit Malek Awny. Et d’ajouter: « Cette reconnaissance va donner un feu vert à Israël d’accélérer le processus de colonisation et de judaïsation de Jérusalem ». Les risques résident, note encore Awny, dans le fait qu’Israël pourrait exercer des pressions sur d’autres pays de suivre les mêmes pas que Washington. Le lendemain de la déclaration de Trump, la République tchèque a déclaré son intention de transférer son ambassade à Jérusalem.
Par contre, Sameh Rashed pense que, contrairement à ce qui est souvent dit, le plus grave ce n’est pas la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, mais le transfert de l’ambassade, l’élément le plus dangereux dans cette décision.
En effet, selon le spécialiste, Trump par cette annonce dévoile l’un des points secrets de son plan du règlement concernant le statut de Jérusalem, la question la plus sensible. « Il vient en quelque sorte de la trancher unilatéralement en offrant Jérusalem à Israël », dit Awny.
Quelles marges de manoeuvres pour les Palestiniens ?
Conscients de ce danger, les Palestiniens tentent l’impossible. De l’Egypte à la Jordanie en passant par la Turquie, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, multiplie les visites en quête d’une mobilisation arabe. Mais pour Rashed, les options de Abbas « sont très limitées » : « Il ne peut pas agir seul. Il ne peut que tenter de militer pour une position arabe commune quelle que soit sa nature ». Dans ce cas, les options « les plus réalistes », selon Rashed, c’est de décider de ne pas reprendre rapidement les négociations, et de publier des déclarations et des condamnations, même si elles n’auront certainement pas un pouvoir contraignant contre la décision américaine. « Il lui reste tout de même une option radicale, celle d’annoncer la dissolution de l’Autorité palestinienne, de déclarer caducs les Accords d’Oslo, d’arrêter toutes formes de négociations et de coopération sécuritaire avec Tel-Aviv et d’exclure totalement Washington de la position de médiateur dans tout processus des négociations autour d’un règlement politique dans l’avenir ».
Mais Abbas en aurait-il le courage? Selon Rashed, « aucune de ces mesures n’est prévisible ni par Abbas, ni pas par la Ligue arabe ». Ce serait un gros risque que ni les Palestiniens, ni les Arabes ne s’aventureront à prendre des mesures. Le pari est alors, comme le souligne Awny, que le négociateur arabe investit les réactions internationales positives dans cette bataille diplomatique et insiste sur « l’identité palestinienne de la ville », et pas seulement sur son caractère religieux.
Quant à Al-Farra, qui déplore qu’un quart de siècle, depuis Oslo 1993, soit perdu pour rien dans les négociations pour une paix illusoire, il estime qu’« il est temps de remettre le dossier des négociations aux Nations-Unies pour être sous une surveillance internationale, basée sur la légalité internationale et la solution de deux Etats, le retour des réfugiés, et ce, en déterminant un délai fixe des négociations avec Israël ». L’ambassadeur palestinien ajoute: « Si la communauté internationale veut vraiment trouver des solutions, pourquoi le processus de paix ne prend-il pas la même formule de 5+1, les pays permanents et l’Allemagne, comme ce qui s’est passé avec les négociations sur le nucléaire iranien ? ».
Autaut d’alternatives diplomatiques qui omettent un élément crucial: le comportement de la rue palestinienne. « C’est l’un des outils les plus importants dans la bataille de Qods », explique Abdel-Alim, qui ajoute: « Les deux options de la résistance et des négociations doivent aller de pair ». Une résistance qui a déjà commencé à prendre forme sur le terrain, selon Rashed. Ce dernier estime: « On peut d’ores et déjà dire qu’une nouvelle Intifada a commencé dans les territoires occupés. Cette fronde palestinienne pourra être, d’une part, une source de pression politique et sécuritaire sur Israël et, d’autre part, une carte de pression sur la communauté internationale qui la contraint à agir rapidement ».
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