« Une nouvelle ère pour le sport commence », a déclaré Khaled Abdel-Aziz, ministre de la Jeunesse et du Sport, vendredi 1er décembre, un jour après la fin d’un long marathon électoral sportif. Environ 1500 organismes sportifs: clubs, fédérations et autres centres de jeunesse étaient appelés au cours du mois de novembre à élire leur conseil d’administration pour les 4 années à venir. Sans précédent. Le paysage électoral était en effervescence: plus dynamique, plus médiatisé et parfois plus conflictuel, par rapport aux précédentes élections. Les rues et les places publiques étaient aux couleurs des clubs sportifs. Les publicités électorales des candidats ont franchi les murailles des clubs pour se propager dans les grandes artères, les ponts, les rues, les places publiques, et même dans les stations de métro. Pour séduire leur électorat, les candidats ont eu recours à tous les moyens possibles : émissions télévisées, réseaux sociaux, SMS, clips de chansons, etc. La campagne publicitaire des deux listes électorales du club
Ahli, celle de Bibo, Mahmoud Al-Khatib, et celle du président sortant Mahmoud Taher, a été la plus spectaculaire (voir reportage). Le taux de participation aux élections est lui aussi monté en flèche enregistrant un record historique. Le taux de participation électoral au club
Zamalek a atteint, lui aussi, le record de 40% des inscrits, soit le double du scrutin précédent. La
Citadelle rouge, le club
Ahli, a enregistré le taux le plus élevé avec 36936 électeurs contre 17500 en 2014. Le taux de participation était de 50% au club d’
Héliopolis et de 79% au club pétrolier d’
Enppi. Au club
Samannoud (Gharbiya), la participation a atteint 97%.
Le vote blanc ou nul est devenu également un nouveau phénomène dans ces élections sportives: le plus grand nombre de bulletins nuls a été enregistré par le club Nasr (21%) et le plus petit par le club d’Héliopolis (1,8%). Il y a eu aussi 16% de bulletins blancs au club Chams, 11,3% au club Al-Seid, 12 % à Zohour et 4% à Smouha. Le nombre de listes engagées dans les élections s’est multiplié : 6 listes étaient en lice au club Chams, 4 au club Guézira et 2 au club Zohour. « Cette dynamique n’a jamais été vue dans l’histoire électorale des clubs sportifs où le choix du président se faisait généralement par forfait. Les dépenses publicitaires étaient aussi beaucoup plus modestes et le nombre d’électeurs ne dépassait pas les quelques milliers », explique Yasser Abdel-Aziz, expert médiatique. Avis partagé par Ziyad Aql, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, qui estime que « cette fois-ci, les élections des conseils sportifs ne reflétaient pas seulementun conflit entre les élites, elles avaient un enjeu culturel et politique ».
Amendement législatif
Le point de départ de cette scène, comme raconte Aql, a commencé avec la promulgation de la nouvelle loi sur le sport en mai 2017. Il s’agissait d’une tentative de « reformuler les rapports entre les clubs et l’Etat et d’équilibrer les relations entre ces entités sportives et les instances administratives responsables ». Cette loi a donné un délai de 6 mois aux organismes sportifs pour adapter leurs statuts juridiques: 3 mois pour rédiger et approuver un règlement spécial et les 3 autres mois pour inviter leurs membres aux élections. La date limite a été fixée au 30 novembre. « Après cette date, tout organisme sportif n’ayant pas organisé ses élections se verrait immédiatement dissous par la force de la loi. Et le club se trouvera alors dans l’obligation de recommencer à zéro ses procédures administratives », explique Chérif Al-Eriane, secrétaire général du Comité olympique. En fait, la promulgation de cette loi a soulevé au départ une grande polémique dans les milieux sportifs. La clause la plus contestée de cette loi était celle ayant trait au « règlement modèle » élaboré par le Comité olympique, et qui devait être appliqué aux clubs qui n’ont pas pu voter leur règlement faute de quorum. Cette clause a été perçue comme une sorte de « nationalisation » des clubs. Beaucoup de clubs ont vite appelé leurs assemblées générales à se réunir d’urgence pour voter « non » au règlement gouvernemental et approuver leurs propres règlements. « Votez pourl’héritage et le prestige du club ». « Si vous ne votez pas, la décision dans ce club ne vous appartiendra plus ». Ces messages ont été envoyés par le club Guézira à ses membres les incitant à voter. Si certains ont réussi à se doter d’un règlement spécial, d’autres n’y sont pas parvenus comme le club Ahli.
Selon Aql, « ce paysage électoral a été, en fait, le résultat d’un amendement législatif et non pas d’un cycle naturel de compétition organisée par les assemblées généralessportives».
« Les élections sont terminées, et la nouvelle loi du sport a prouvé sa réussite », assure Farag Amer, président de la commission de la jeunesse et des sports au parlement, avant d’ajouter: « Le processus électoral s’est déroulé avec souplesse dans environ 490 clubs au niveau du pays. Les difficultés ont été chiffrées à moins de 10%. Et le taux de renouvellement dans les conseils d’administration a atteint 60 % ».
Changement sociétal
Les élections ont témoigné d'un taux de participation record.
(Photo : Mohamad Abdou)
Pourtant, Yasser Abdel-Aziz pense que parmi les raisons de cette mobilisation électorale figure le facteur de changement social. « Face au blocage dans le domaine politique, la classe moyenne et la plus élevée, qui constituent la majorité des membres des clubs sportifs, et qui possèdent des visions et de l’argent, s’orientent de plus en plus vers le sport pour s’exprimer », dit Abdel-Aziz.
Aymane Abdel-Wahab, chef de la section des études égyptiennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, pense que le taux de participation élevé est l’un des points positifs de ces scrutins qui montrent que « les élections sérieuses, où l’intégrité, la supervision judiciaire et la bonne gestion du processus électoral sont garanties, attirent plus d’électeurs ».
La propagande électorale massive et multiforme, notamment sur les réseaux sociaux, comme l’explique Yasser Abdel-Aziz, a joué également un grand rôle dans la mobilisation des électeurs, et elle a même conduit à créer une prise de consciencequant à l’importance du vote.
Toutefois, la couverture médiatique, selon Abdel-Aziz, notamment celle des chaînes sportives, est tombée dans les mêmes erreurs que lors des élections politiques. Ces médias ont été souvent inexacts et impartiaux.
Autre point négatif: les millions dépensés dans la propagande électorale des grands clubs ou même les sommes moins importantes dépensées par les plus petits clubs ont soulevé beaucoup d’interrogations. « Quels sont les avantages de la candidature au conseil d’administration des clubs puisque, selon la précédente loi du sport et la loi actuelle, c’est un acte bénévole nonpayé? », s’interroge Aql. Abdel-Wahab pense que « le prestige social » et « la facilité de la présence des élus dans le domaine public, que ce soit à travers les médias ou en renforçant leurs relations avec les institutions publiques ou privées » figurent parmi les avantages de ce poste.
Hommes d’affaires et stars sportives
D’ailleurs, les dépenses publicitaires excessives, comme croit Abdel-Wahab, ont été « un indice clair de la montée en puissance des hommes d’affaires aux élections des clubs cette année, soit en tant que candidats ou en tant que sponsors des stars sportives. Cette présence a animé beaucoup la compétition en créant un état de polarisation dans certains clubs ». L’alliance hommes d’affaires et stars sportives était très claire, comme note Aql dans la liste électorale de Mahmoud Al-Khatib. Tandis que dans beaucoup d’autres clubs, comme aux clubs Héliopolis et Al-Seid, le conflit a été entre « le capitalisme et l’expérience ». Le sport est devenu actuellement un chantier qui attire de plus en plus d’hommes d’affaires, notamment après que beaucoup d’articles de la nouvelle loi sur le sport sont venus fournir aux clubs « une large opportunité d’investissement sportif », dit Abdel-Wahab.
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