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Gaza espère une réconciliation salvatrice

Hekmat Youssef, Mardi, 10 octobre 2017

La réconciliation palestinienne a redonné de l'espoir à la population de Gaza, minée par les problèmes du quotidien et par le blocus israélien.

Gaza espère une réconciliation salvatrice
Les Gazaouis ont accueilli avec joie le convoi du premier ministre palestinien. (Photo : Reuters)
Bande de Gaza,
Correspondance —

Mohamad Al-Agla essaye de tempérer ses attentes. Pour ce quadragénaire marié et père de 4 enfants, le retour du gouvernement palestinien à Gaza est « une démarche qui donne de l’espoir, après onze années de souffrance ». Comme lui, les deux millions d’habitants de l’enclave palestinienne ont cumulé les déceptions suite à de nombreuses tentatives de réconciliation infructueuses. Cette fois, personne ne veut se réjouir trop tôt.

Suite à des négociations parrainées par l’Egypte et un accord conclu récemment au Caire entre les deux mouvements rivaux, le Fatah et le Hamas, ce dernier a décidé la dissolution du « Comité administratif » créé en mars dernier pour la gestion de la Bande de Gaza. Ceci a permis au gouvernement palestinien, présidé par Rami Hamdallah, de siéger mardi à Gaza, pour la première fois depuis sa formation en 2014. « La réconciliation des deux factions rivales est importante pour tous les citoyens, ainsi que le retour du gouvernement à Gaza. Cela dit, ces évolutions doivent se concrétiser par des résultats tangibles sur le terrain. Et c’est ce qu’on attend avec impatience », ajoute Al-Agla, lui-même frappé par le chômage qui a perduré ces dix dernières années à cause de l’arrêt des travaux de construction et des industries. Il souhaite que le gouvernement s’attaque aux dossiers de l’eau, de l’électricité et du chômage, ainsi qu’à la question des points de passage. « Nous avons beaucoup souffert ces dernières années à cause de nos divergences et du blocus qui nous est imposé. Cette fois, il faut faire preuve d’une bonne volonté pour résoudre tous nos problèmes », ajoute-t-il.

D’après les chiffres de l’année 2016, publiés par l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le chômage touche 360 500 personnes dans les territoires palestiniens, dont 206 800 à Gaza (41,7 % de la population en âge de travailler) et 53 700 en Cisjordanie (18,2 % de la population en âge de travailler).

Le poste-frontière de Rafah est l’unique point de passage entre l’enclave de Gaza et le monde extérieur, Israël ayant imposé depuis 2007 un blocus terrestre, maritime et aérien à ce territoire contrôlé par le mouvement islamiste Hamas.

Pour Rania Al-Bougui, 26 ans, toutes les factions doivent mettre de côté leurs divergences et travailler pour le bien-être du peuple palestinien « meurtri par l’occupation, le blocus, les colonies, les emprisonnements et les exécutions et toutes sortes de punitions collectives ». Elle poursuit : « Les conditions de vie sont catastrophiques, la crise du chômage s’accentue, les coupures d’électricité sont de plus en plus fréquentes, l’eau potable est polluée, les malades meurent à cause de la pénurie des médicaments, tout le monde est touché par la pauvreté et l’on compte sur les aides extérieures … voilà à quoi ressemble notre quotidien ». Pour elle aussi, le retour à Gaza du gouvernement palestinien représente une lueur d’espoir. Elle souhaite voir le peuple palestinien réuni pour un objectif unique, à savoir « la fin de l’occupation israélienne et la création de l’Etat palestinien avec Jérusalem pour capitale ».

D’après les services d’eau et d’électricité de Gaza, les habitants ne reçoivent que quatre heures de courant électrique par jour, alors que la pollution a atteint 98 % de l’eau potable.

Khadiga Hamo, 46 ans, résume ainsi son drame : « Notre maison a été détruite lors de la dernière guerre, et elle n’a pas été reconstruite jusqu’à ce jour. Mon mari et mes trois fils sont au chômage. Nous vivons des aides sociales ». Sa famille reçoit une somme trimestrielle de 570 dollars, une aide européenne redistribuée par le ministère des Affaires sociales. D’après un rapport publié le mois dernier par l’Unrwa, 80 % des habitants de Gaza survivent grâce aux aides humanitaires. Mme Hamo souhaite que la réconciliation du Fatah et du Hamas leur fasse oublier les « souffrances des années de division ».

Mardi 10 octobre, deux délégations du Fatah et du Hamas se sont réunies au Caire pour discuter des modalités du transfert des responsabilités du Hamas vers le gouvernement palestinien. D’autres dossiers étaient au menu de cette réunion, notamment la sécurité, les points de passage et les frontières.

Des observateurs estiment que les négociateurs ne devront pas commencer par le sujet épineux du désarmement des factions de la résistance à Gaza, ce qui risquerait, selon eux, de ramener la réconciliation à la case de départ.

Aucune mesure pour le moment

Gaza espère une réconciliation salvatrice
Le retour du gouvernement à Gaza représente une lueur d'espoir après 10 ans de souffrance.

L’analyste Hani Habib pense que la réunion du gouvernement à Gaza était destinée à tâter le terrain, et que de ce fait, il ne fallait pas s’attendre à des solutions immédiates aux problèmes de ce territoire. Selon lui, le gouvernement a pris ses fonctions sur le papier, or les ministres n’ont pris aucune mesure pour le moment. Force est de constater que dans sa déclaration à l’issue de la réunion du 3 octobre, le gouvernement n’a annoncé aucune mesure susceptible d’alléger la souffrance des habitants, lesquels pourtant avaient placé beaucoup d’espoir dans cette rencontre.

Habib met en garde contre les tergiversations du président Mahmoud Abbas en ce qui concerne l’annulation des « mesures punitives » qu’il avait prises contre Gaza, notamment la réduction des budgets alloués à l’électricité, aux salaires des fonctionnaires et aux dépenses médicales. Il estime qu’en tergiversant, le président Abbass risque d’alimenter les déceptions et de remettre en question sa propre crédibilité.

L’analyste note que cette fois, l’Egypte s’est fortement impliquée et qu’elle suit de près les étapes de la réconciliation en tant que partenaire dans ce processus. « Tous les Palestiniens, et particulièrement ceux de Gaza, comptent beaucoup sur l’influence que peut exercer l’Egypte sur les parties palestiniennes », souligne-t-il, tout en admettant que « les problèmes de Gaza sont trop compliqués pour être réglés en une séance de négociations ».

« Face aux conditions dramatiques dans lesquelles vivaient les habitants de Gaza, le nouveau leadership du Hamas a réalisé que la situation avait atteint un tel degré d’instabilité qu’elle risquait d’exploser à tout moment », explique de son côté Mekhémar Abou-Seada, professeur de sciences politiques à l’Université Al-Azhar à Gaza. « Quant au président Abbas, il a été mis dos au mur par le récent rapprochement entre l’ancien chef de la sécurité du Fatah, Mohammed Dahlan, et le Hamas. Mais s’il a été amené à opter pour la réconciliation, Abbas ne semble pas être encore décidé », note Abou-Seada.

Il pense que la réconciliation prendra du temps pour se concrétiser, mais d’ici là, « il n’y a aucune raison pour justifier le maintien du blocus imposé à Gaza depuis dix ans ». Le politologue souligne à son tour le rôle égyptien et estime que Le Caire ne permettra à aucune des parties de contrecarrer le processus de réconciliation. « L’Egypte cherchera à convaincre les pays de la région et la communauté internationale de l’intérêt de la réconciliation palestinienne comme préalable à des négociations avec Israël sous les auspices des Etats-Unis », ajoute-t-il.

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