Jeudi, 16 janvier 2025
Dossier > Dossier >

Syrie: Diplomate de l’impossible

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 07 mai 2013

Neuf mois après sa nomination, Lakhdar Brahimi, envoyé spécial de l'Onu et de la Ligue arabe en Syrie, est sur le point de démissionner. Un règlement politique de la guerre civile n'est jamais paru aussi peu improbable.

Diplomatie

« Presque impossible », c’est ainsi que Lakhdar Brahimi juge sa mission de médiateur en Syrie, avant même d’entamer son mandat le 1er sep­tembre 2012. Brahimi a été dépêché par l’Onu suite à la démission de Kofi Annan, après cinq mois de médiations infructueuses.

Algérien de 79 ans, Brahimi a un long passé de diplomate. Il est sou­vent qualifié « d’excellent négocia­teur ». Il a été l’artisan de l’accord de Taëf, qui a mis fin à la guerre civile au Liban et l’envoyé spécial de l’Onu dans plusieurs zones chaudes des quatre coins du monde.

Aujourd’hui, Brahimi est pourtant sur le point de démissionner. Il a effectivement évoqué la question avec Ban Ki-moon, la semaine der­nière à New York avant de rencontrer le secrétaire d’Etat américain John Kerry qui l’a « encouragé à rester ».

Des sources onusiennes parlent pourtant de démission imminente « avant la fin du mois ». Des noms de potentiels successeurs sont examinés, même si certains croient qu’il « n’est pas question d’envoyer un troisième envoyé ».

Dès les premiers jours de sa mis­sion, Brahimi disait : «voie poli­tique était la seule issue pour sortir de l’impasse ». Brahimi a multiplié les tournées dans les pays qui tiennent les ficelles du conflit : l’Arabie saou­dite, l’Iran, l’Egypte, la Russie et les Etats-Unis.

Il répète d’un pays à l’autre que « livrer des armes aux insurgés syriens n’est pas la solution ». Des diplomates chargés du dossier syrien disent qu’il est convaincu qu’une solution ne peut passer que par un accord russo-américain, « un peu à l’idée du temps de la guerre froide ».

Brahimi souhaite inviter au dialo­gue les deux protagonistes du conflit. Mais ses tentatives n’ont jamais abou­ti. La trêve qu’il a proposée en octobre dernier, à l’occasion de la fête de l’Aïd Al-Adha, et après laquelle le médiateur envisageait une approche politique, a volé en éclats à peine quelques heures après son entrée en vigueur.

Gouvernement de transition

En novembre, il présente à l’Onu son « plan de paix pour sauver la Syrie ». Une feuille de route prenant comme boussole l’accord de Genève adopté le 30 juin 2012 par le Groupe d’action sur la Syrie, qui rassemble les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, des pays repré­sentant la Ligue arabe, la Turquie et les secrétaires généraux de la Ligue arabe et de l’Onu ainsi que l’Union européenne.

Dans son plan, il préconise la constitution d’un « gouvernement de transition nationale » qui jouirait « des pleins pouvoirs exécutifs » pour diriger la Syrie jusqu’à la tenue, en 2014, d’élections législatives et prési­dentielles sous la supervision des Nations-Unies.

Le gouvernement de transition « rassemblerait des membres de l’op­position et des dignitaires du régime non impliqués dans la répression ». Mais, pour l’opposition, un point reste absent. Le plan ne renferme aucun appel au départ de Bachar Al-Assad.

Les démarches de Brahimi sont souvent mal vues par l’opposition qui l’accuse de « chercher à négocier une transition politique en douceur » et de « donner à Assad le temps dont il a besoin pour détruire les fondements de la société syrienne ». Pour Moustafa Eloui, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, les chances de Brahimi de trou­ver un règlement politique à la crise de la Syrie sont « presque nulles, non par faute de médiation mais parce que la crise prend des dimensions plus larges ». Eloui fait référence à une militarisation croissante sur le terrain freinant toute initiative de dia­logue. « L’opposition et le régime ne sont pas prêts à rendre les armes. La situation s’empire avec l’arrivée de nouveaux groupes djhadistes de diffé­rentes nationalités qui viennent se rallier aux rangs de l’opposition ».

Un médiateur sans moyens de pression

La passivité de l’Onu et de la Ligue arabe est une autre raison de l’ineffi­cacité de la mission de Brahimi, comme l'explique Mohamed Abdel-Qader, politologue au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.

Si dans la forme, ces deux organisa­tions disent soutenir Brahimi, sur le fond, elles ne le font pas. Pour l’orga­nisation onusienne, le double veto chinois et russe rend toujours impos­sible la ratification d'une action col­lective contre Assad. Moscou utilisera son veto contre toute démarche hos­tile à son « allié stratégique » dans la région.

A l’époque, Kofi Annan avait demandé au Conseil de sécurité, quelques jours avant de démissionner, de lui donner des moyens de pression supplémentaires sur les protagonistes du conflit. Mais la Russie et la Chine en ont décidé autrement en opposant leur veto à un projet de résolution prévoyant de sanctionner Damas.

Même à la Ligue arabe, Brahimi a souvent affiché son désaccord avec les initiatives prises notamment par le Qatar et l’Arabie saoudite qui pous­sent vers une solution armée du conflit. Lors du dernier sommet de la Ligue à Doha, auquel Brahimi n’était pas invité, le siège de la République de Syrie a été octroyé à l’opposition représentée par la Coalition nationale syrienne de Moaz Al-Khatib.

Cette reconnaissance a irrité Brahimi qui accuse la Ligue de saper ses efforts de médiateur et d'avoir « mis à mal sa neutralité ». Ainsi il représente deux organisations dont chacune adopte une position diffé­rente de l’autre.

Damas a déclaré qu’elle ne rencon­trerait Brahimi qu’au seul titre d’émissaire onusien. Aujourd’hui, Brahimi fait l’objet de critiques de la part de presque tout le monde mais on tient à lui. Lui, annonce : « Je n’ai pas démissionné. Tous les matins au réveil, je pense que je ferai mieux de le faire. Un jour peut-être, je m’y résignerai ».

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique