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Les splendeurs de la capitale

Doaa Elhami, Mardi, 05 septembre 2017

Tournée dans le centre-ville du Caire planifié par le khédive Ismaïl sur le modèle parisien et considéré comme la perle de la capitale.

Les splendeurs de la capitale
(Photo : Bassam Al-Zoghby)

Ramsès, Tahrir et Ataba sont trois places renommées de la capitale égyptienne. Tout visiteur du Caire, qu’il soit touriste ou non, passera forcément par l’une ou l’autre d’entre elles. Reliées les unes aux autres, elles forment un triangle qui représente le centre-ville du Caire. Ce noyau, connu aussi sous le nom de « Caire khédivial », fête cette année ses 150 ans d’existence. « Cette zone a été complètement planifiée par le khédive Ismaïl, qui a décidé de suivre l’exemple parisien et de créer au Caire un nouveau quartier (Ismaïliya), ou le nouveau Caire, selon les termes de Ali Moubarak pacha, le ministre des Travaux de l’époque », explique l’historien Mohamad Hossam Ismaïl. Quant aux travaux sur le terrain, ils ont été menés par les trois fils d’Ismaïl, les khédives Tawfiq et Hussein Kamel, et le cadet, le roi Fouad, ainsi que par son petit-fils, le roi Farouq Ier. Ces derniers ont toujours respecté la planification du khédive Ismaïl, ce qui explique que le triangle porte jusqu’à aujourd’hui le nom du Caire khédivial. « Ce quartier a été prestigieux dès le premier coup de pioche », affirme l’architecte Omar Nagati, fondateur de la société urbaine Cluster.

Une tournée au centre-ville

La plus ancienne place du nouveau Caire est celle d’Ismaïliya — l’actuelle place Tahrir — construite en 1863. A la tombée du jour, elle constitue un bon point de départ pour partir à la découverte de ce quartier historique, riche et florissant. Mais avant de commencer la balade, la place elle-même mérite qu’on y jette un coup d’oeil.

Les splendeurs de la capitale
(Photo : Bassam Al-Zoghby)

Elle comprend notamment le célèbre Musée égyptien, bâti en 1902 et qui renferme des milliers de statues et de pièces historiques témoignant de la grandeur de la civilisation de l’Egypte Ancienne. « Le bâtiment lui-même a célébré son centenaire il y a une quinzaine d’années. C’est le premier édifice au monde créé dès le départ pour être un musée », explique l’architecte Emad Farid, spécialiste du patrimoine. En face, on trouve l’hôtel Nile Ritz-Carlton, qui a remplacé le Nile Hilton. « L’hôtel était en vogue depuis les années 1960. C’était notre endroit préféré pour boire une tasse de café après une longue journée de travail ou pour prendre le déjeuner les jours de congé. Les prix étaient abordables », se souvient le professeur Safouat, ancien habitué du Nile Hilton.

Un peu plus loin se dresse le bâtiment de la Ligue arabe, juste avant le pont Qasr Al-Nil, qui est connu pour être le point d’attraction des amateurs du Nil, des poètes, des pêcheurs et des couples. De l’autre côté de la place se dresse le majestueux complexe de Tahrir, bâtiment administratif par excellence. La place comprend aussi l’Université américaine, palais de l’homme d’affaires et « roi du vin » Janaklis durant la première moitié du XXe siècle. « Le quartier d’Ismaïliya (Le Caire khédivial) a été conçu en forme d’étoile », explique le professeur Ismaïl. Ainsi, il est composé de plusieurs places, dont chacune s’ouvre sur plusieurs rues. La place Tahrir par exemple s’ouvre sur les rues Qasr Al-Aïni, Mohamad Mahmoud, Talaat Harb, Tahrir, chacune ayant ses caractéristiques particulières.

Connue jadis pour ses grands magasins de mode tels que le Salon Vert, Cicurel et Chalon, la rue Qasr Al-Nil est, elle, l’une des rues les plus importantes de tout le centre-ville. Dans ces magasins construits vers la fin du XIXe siècle, on vendait des vêtements de style européen, surtout parisien. « La génération des années 1960 fréquentait ces magasins, comme on fréquente City Stars aujourd’hui. La mode sortait au Caire avant d’arriver à Paris », commente Nagati. Aujourd’hui, les clients s’y rendent toujours, emmenant avec eux leurs petits-fils. « Une longue histoire me lie à ce magasin, dont le décor, l’escalier en bois et même la caisse sont restés intacts après plus de 50 ans », déclare Madiha, une cliente de première heure de Chalon. Au cours des années, cette maison française de vêtements de luxe est restée fidèle au style classique.

« Autrefois, pour être embauché ici, il fallait être licencié, posséder un excellent niveau de français et passer un examen oral. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La 3e préparatoire suffit », déplore la vendeuse Ivonne.

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(Photo : Bassam Al-Zoghby)

En plus de ces magasins prestigieux, la rue Qasr Al-Nil est agrémentée de célèbres restaurants et de petits cafés dans les ruelles qui la relient aux autres rues du Caire khédivial. Parmi les établissements les plus connus, citons Groppi, Estoril et Le Grillon. Fondée par le S u i s s e Giocomo Groppi en 1891 et actuellement en rénovation, la branche de Groppi située place Talaat Harb est la plus ancienne. L’immeuble abritant Groppi constitue par ailleurs l’un des joyaux du Caire khédivial. En se dirigeant vers la place Moustapha Kamel, le promeneur peut ensuite contempler l’exceptionnelle architecture de nombreux bâtiments édifiés entre 1897 et 1911 par l’architecte italien Antonio Lascaic.

Un concentré d’histoire

A l’autre extrémité de la rue Qasr Al-Nil, se trouve la rue Kamel (aujourd’hui appelée Gomhouriya), qui relie les places Abdine, Ramsès et la place de l’Opéra, cette dernière ayant été l’une des plus belles places du Caire jusqu’à ce qu’un premier incendie ravage la ville en 1952. « Le khédive Ismaïl avait bâti, d’un côté, le théâtre d’Ezbékiyeh — devant le jardin qui porte le même nom — et de l’autre, l’Opéra égyptien, qui a brûlé lors du 2e incendie du Caire le 28 octobre 1971 », explique l’historien Hossam Ismaïl, avant d’ajouter que ces édifices, y compris le jardin, suivaient le style français. Dans le temps, la place de l’Opéra était aussi l’adresse de l’un des plus prestigieux hôtels de la ville : construit en 1841, le Shepheard a entièrement brûlé en janvier 1952, avant le déclenchement de la révolution.

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Le palais de Saïd Halim attend la rénovation. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Elle comprend aussi le théâtre d'Ezbékiyeh, l'actuel Théâtre national. Quant à l’Opéra lui-même, il a été témoin de la carrière des plus grands chanteurs, acteurs et politiciens. L’élite de la société y affluait toutes les semaines pour assister à l’une des fêtes mensuelles de la diva Oum Kalsoum ou aux performances de ballet et d’opéra en provenance d’Europe. Au nombre des visiteurs, on comptait le roi Fayçal d’Arabie saoudite et les présidents Churchill et Roosevelt, pour ne citer qu’eux.

Si la place de l’Opéra a perdu beaucoup de ses bâtiments historiques dans l’incendie de 1952, elle a préservé sa valeur historique et architectu­rale d’antan, puisqu’on trouve encore quelques édifices rue Gomhouriya. Tel est le cas du théâtre Gomhouriya, bâti en 1926 et de style néoclassique, et de l’hôtel Continental Savoy, construit en 1869 par l’architecte Christopher Wray. On y trouve aussi la statue d’Ibrahim pacha, fils de Mohamad Ali pacha, qui trône au centre de la place de l’Opéra.

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Les coupoles surmontant les bâtiments sont un style architectural de l'époque. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

A la place Ataba, avec de nombreux magasins et la foule des marchands ambulants, se dresse un grand nombre de bâtiments administratifs et commerciaux, comme la poste et son musée, la police de Moski, la caserne des pompiers, l’an­cien et célèbre magasin de vêtements Samaan Sednaoui, édifié en 1913, et l’Eden Palace Hotel, inauguré en 1899. Enfin, citons aussi l’immeuble Tiring, bâti en 1913 par l’architecte autrichien Oscar Horowitz, et qui se dresse au coin des rues Gueich et Gohari. Son propriétaire Victor Tiring a choisi la place Ataba pour être à cheval entre Le Caire fatimide et Le Caire moderne. De style néo-baroque, le bâtiment est coiffé d’un globe terrestre porté par quatre anges.

La rue des grands artistes

De retour à la rue Gomhouriya pour continuer vers la place Abdine, le promeneur se retrouve dans l’ancien quartier huppé du même nom, qui abrite notamment le palais présiden­tiel. Parmi les principales rues de Abdine, la rue Mohamad Farid comprend l’église Saint-Joseph, dont la date de construction remonte à la pre­mière décennie du XXe siècle. « Cette église, réalisée par l’architecte Aristide Léonori, réunit les deux styles toscan romanesque et éclec­tique », explique l’architecte Emad Farid. Toujours sur Mohamad Farid, on trouve aussi l’immeuble Circa, de style art-déco.

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Tiring, construction commerciale, orne la place Ataba. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Le prolongement de la rue Mohamad Farid mène le visiteur à la rue Emadeddine, nommée aussi la rue des théâtres et des cinémas, notam­ment au cours de la première moitié du XXe siècle. Elle a vu les performances des grands comédiens Naguib Al-Rihani (dont le théâtre y est encore dressé), Ali Al-Kassar, Georges Abiad et Youssef Wahbi. Aujourd’hui, on y trouve le cinéma Renaissance ainsi que le cinéma Cosmos, bâti vers la fin du XIXe siècle et qui a changé plusieurs fois de nom (théâtre Hambra, le Théâtre luxueux et enfin Cosmos). Plus loin, le visiteur tombe sur le cinéma Donia et, enfin, le cinéma Cairo, actuellement fermé.

Les quatre immeubles khédiviaux, réalisés par l’architecte italien Antonnio Lasciac en 1911 et dont chacun est surmonté d’une coupole, consti­tuent un autre point d’attraction de la rue Emadeddine. « C’est le khédive Abbas Hélmi II qui a donné l’ordre de les édifier », indique l’historien Hossam Ismaïl.

La rue Emadeddine forme un croisement avec les rues Alfi et Sérail Al-Ezbékiyeh, récemment rénovées et toutes deux jalonnées de cafés et de restaurants. Toutefois, chacune a gardé sa parti­cularité. Ainsi, la rue Alfi accueille le visiteur dans des restaurants historiques, à l’exemple de celui qui porte le nom de la rue. « Ouvert en 1938, le café accueillait les ministres et les hauts fonctionnaires d’Etat, ainsi que des tou­ristes de toutes les nationalités. Maintenant, ce n’est plus le cas », déplore Mohamad, l’un des employés. Quant à la rue Sérail Al-Ezbékiyeh, elle est ornée de l’édifice de Qout Al-Qoloub Al-Demerdachiya, réalisé par l’architecte Georges Parcq et qui reflète le style néo-baroque et l’art-déco.

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Les bâtiments khédiviaux trônent sur la rue Emadeddine. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Pour finir, la promenade mène jusqu’à la rue Clot Bey et sa kyrielle de pensions, de cafés et de restaurants. Les rues Clot Bey et Emadeddine se rejoignent à la place Ramsès, de laquelle débouchent les rues Galaa et Ramsès. Toutes les deux comprennent d’importants trésors patrimo­niaux, à l’instar du syndicat des Ingénieurs, de la Société de chimie, de l’Institut de la musique arabe, de la Cour suprême, du consulat italien et de l’église grecque. La nouvelle allée de la cor­niche invite le visiteur à joindre les bords du Nil pour clore en beauté cette tournée pleine d’in­formations sur Le Caire khédivial plus que cen­tenaire.

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