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Soheir Zaki Hawas : C’est avec une vie culturelle de qualité que tout peut changer

Hala Fares, Mardi, 05 septembre 2017

Passionnée du centre-ville du Caire auquel elle a consacré sa vie professionnelle, auteure de la première encyclopédie sur Le Caire khédivial et également professeure d’architecture et de design urbain à la faculté de polytechnique de Aïn-Chams, Soheir Zaki Hawas a participé au projet de réhabilitation du centre-ville. Entretien.

Soheir Zaki Hawas
Soheir Zaki Hawas, auteure de la première encyclopédie sur Le Caire khédivial et également professeure d’architecture et de design urbain à la faculté de polytechnique de Aïn-Chams. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Al-Ahram Hebdo : Quand et com­ment l’idée de rénover Le Caire khédivial a-t-elle surgi ?

Soheir Zaki Hawas : L’idée de rénover le centre-ville du Caire appartient à l’ingénieur Ibrahim Mahlab, quand il était premier ministre, elle remonte à 2013. Avant de quitter son poste, il m’a confié la tâche de participer à ce projet avec M. Galal Al-Saïd, qui était alors gouverneur du Caire, ainsi que d’autres personnalités. Les travaux ont concrètement commencé en 2015. J’ai été chargée de travailler sur le développement et la rénovation de la place Orabi, rue Alfi, la place Abdine avec ses bâtiments, à Bab Al-Louq, les immeubles khédiviaux situés rue Emadeddine et rue Chawarbi. Ces réno­vations ont pris fin en 2015. Mais vu la dégradation de la rue Alfi, on a dû la refaire et elle a été inaugurée en juillet dernier.

— Quelle est la conception du projet de rénovation ?

— Quand on parle projet, on pense à une date qui a un début et une fin. Ce n’est pas le cas pour celui-là. Ici, les choses sont diffé­rentes. Il n’est pas question de refaire des rues et des places ou de rénover un bâtiment ou de restaurer des motifs décoratifs d’un immeuble. Pas du tout. Mais c’est tout une conception différente, une vision futuriste de la région. Le but de ce projet est de revoir le centre-ville du Caire comme il était dans les années 1930 et 1940. C’était l’âge d’or de cette région. En fait, on est encore au début et la restauration n’est que la première étape du projet. Bien qu’on ait terminé la rénova­tion de plusieurs rues, je considère que tout ce qui a été fait jusqu’à présent n’est que le point de départ. C’est toute une vision à accomplir. C’est un projet infini.

— Vous donnez là l’impression que c’est un mégaprojet, avec plusieurs objectifs et visions. Comment donc atteindre ce but ?

— Il faut une sensibilisation culturelle des habitants pour qu’ils puissent valoriser la beauté esthétique et patrimoniale de tout ce qui se trouve autour d’eux. Il faut leur mon­trer une qualité de vie différente sans pollu­tion visuelle et auditive. Il faut remettre en place les cinémas, les salles de théâtre, les ateliers d’art. C’est avec une vie culturelle de qualité que tout peut changer, c’est ce qui va attirer la société dite cultivée à se rendre au centre-ville, et c’est le seul moyen de rehaus­ser cette région.

— Quelles sont les entraves que vous avez affrontées lors de l’exécution du pro­jet ?

— Le financement est le problème majeur que nous affrontons. L’Union des banques participe avec une grande part au finance­ment. Et dernièrement, un comité national à été formé sous l’ordre du président de la République avec pour but de préserver le patrimoine du Caire et de rechercher des ressources de financement pour le projet.

Autre problème aussi, les gens eux-mêmes : les propriétaires des magasins qui décorent les devants de leurs magasins à leur guise, les cabinets de médecins, ou les bureaux qui mettent des plaques de diffé­rentes dimensions et couleurs qui gâchent la beauté des immeubles. Le problème c’est que les gens ne respectent pas le règlement. Les responsables de la municipalité doivent appliquer les lois avec plus de vigueur.

— Vous avez évoqué les problèmes que vous avez rencontrés avec les gens eux-mêmes. Cela veut-il dire que les habitants sont réticents vis-à-vis de ces rénova­tions ?

— Au début, ils résistaient à tout change­ment, mais avec le temps et les travaux qu’ils ont vu avancer, ils ont commencé à accepter ce que nous faisons, surtout que le gouverne­ment est devenu plus strict dans l’application de la loi. Cela était clair pour eux avec l’éva­cuation des vendeurs ambulants qui envahis­saient les trottoirs du centre-ville. En vérité, les habitants deviennent de plus en plus non seulement compréhensifs mais très souvent coopératifs.

Il faut savoir que la société civile a aussi un rôle très important à jouer avec les citoyens, notamment les sensibiliser à l’im­portance et la beauté des endroits qui les entourent. Il y a la société Cluster, il y a aussi le journal mensuel Mantéqti (mon quartier) dont le contenu est très intéressant et qui travaille sous la supervision de l’Orga­nisme national de l’harmonisation urbaine.

— Quel est le rôle de la compagnie Al-Ismaelia dans les travaux de rénova­tion ?

— C’est une compagnie très consciente de la conception et la vision des travaux que nous cherchons à établir. Depuis à peu près 10 ans, elle a commencé à acheter des immeubles pour les rénover et les réutiliser en exploitant leur valeur patrimoniale. Aujourd’hui, elle possède près de 22 immeubles, et elle a mis un plan de développement. On s’est entendu avec elle sur les priorités des travaux. Et on coopère ensemble.

— Pourquoi le centre-ville est-il arrivé à cet état de décadence ?

— Quand j’ai commencé mon projet sur la documentation du centre-ville, j’ai réalisé comment le gouvernement d’après la Révolution de 1952 a marginalisé ce trésor patrimonial et historique. Des palais ont été transformés en écoles publiques, des bâti­ments d’une grande valeur esthétique ont été nationalisés, aucune restauration n’était faite pendant des années. Cela sans oublier la loi sur les loyers qui a causé une forte dégrada­tion des immeubles puisque leurs proprié­taires ne pouvaient pas faire leur mainte­nance. Même les grands magasins ont été nationalisés, les étrangers ont quitté le pays, les habitants originaux du centre-ville ont dû quitter et une classe sociale importante a commencé à disparaître. Toutes les circons­tances ont contribué à la dégradation de ce trésor patrimonial du centre-ville.

— Ce n’est pas en fait la première fois que vous travaillez sur Le Caire khédivial, cela remonte à bien longtemps. Comment avez-vous commencé les travaux sur le centre-ville ?

— Cela remonte aux années 1990. C’était un rêve mutuel avec mon père, son but était de revivifier la beauté d’antan du centre-ville du Caire et son image civilisée qui faisait sa gloire dans les années 1930, de sorte que Le Caire avait été choisi, à cette période, parmi les 10 plus belles capitales du monde. Mon père Zaki Hawas, ingénieur à la faculté de polytechnique de Aïn-Chams avait son bureau au centre-ville. Et en 1996, le comité général de planification urbaine a lancé un projet pour rehausser le niveau urbain du Caire. Mon père a remporté le projet du centre-ville qui était de trois phases. Après sa mort en 2000, j’ai pris en charge de poursuivre le projet que j’ai ter­miné en 2001. C’était un projet sur des études architecturales, urbanistes et de planification ayant pour but d’essayer de relever le statut urbanistique du centre-ville.

Plus tard, en août 2004, on a créé l’Orga­nisme national de l’harmonisation urbaine par un décret présidentiel, j’étais l’une des fonda­trices de cet organisme. L’encyclopédie que j’ai préparée en 2002 a attiré l’attention des responsables de l’importance de promulguer une loi préservant ce patrimoine marginalisé. Ainsi, la loi 44 de l’année 2006 a été promul­guée pour enregistrer sur la liste du patrimoine des bâtiments qui ne sont pas des monuments, mais qui ont des aspects particuliers. Que ce soit des endroits reliés à des événements histo­riques, ou à des personnages importants pour en faire un site de visite ou un endroit à carac­tère architectural ou urbain particulier. Suite à cette loi, près de 500 bâtiments en Egypte ont été enregistrés en tant que patrimoine. Grâce à cet enregistrement, le centre-ville n’a pas été sujet à l’application de la loi générale, mais il suit les règlements du Haut Conseil de la pla­nification et du développement urbain présidé par le premier ministre.

— Et qu’en est-il de votre encyclopédie intitulée Le Caire khédivial ?

— En parallèle avec le projet de mon père, j’ai travaillé sur mon ouvrage qui a fait son apparition en 2002. Bien que j’aie eu beau­coup de difficulté à publier cette encyclopédie, j’ai insisté sur le fait de commémorer la mémoire de mon père. Je suis restée deux ans enfermée pour que cet ouvrage voie le jour. C’est en fait le seul qui existe sur le marché avec tant de détails architecturaux, les motifs des bâtiments et l’historique de chaque rue. Il y a aussi des plans détaillés d’un grand nombre d’immeubles. C’est la première réfé­rence presque complète sur le centre-ville du Caire. Avec l’apparition de cette encyclopédie, on a créé le terme du Caire khédivial.

— Alors, c’est à vous que l’on doit la nomination du Caire khédivial ?

— J’ai fait beaucoup de recherches sur cette question. Le khédive Ismaïl a créé la région ismaïlienne qui comprend la place Tahrir, rue Soliman pacha, les places de Ataba et de l’Opéra, son fils, le khédive Tawfiq, a installé la région de Tawfiqiya au nord de celle ismaïlienne. Ensuite le khédive Abbas Hélmi II, passionné par l’architecture européenne, a ramené l’architecte italien Antonio Lachiac qui a construit 4 immeubles similaires à la rue Emadeddine au style baroque et qui ont été nommés immeubles khédiviaux. Et en fait, ce sont ces lieux qui forment le centre-ville du Caire. Il était alors normal d’attribuer au centre-ville la nomination du Caire khédivial, puisque c’est sous les khédives que le centre-ville a été construit.

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