La crise avec le Qatar entre dans une nouvelle phase avec la multiplication des efforts de médiation de la part de pays occidentaux dont l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Certains médiateurs ont directement contacté les parties concernées, alors que d’autres se sont ralliés à la principale médiation entreprise par le Koweït. Le président américain, Donald Trump, qui s’en est pris au début de la crise au Qatar, a toutefois, comme d’autres pays occidentaux et le Conseil de sécurité de l’Onu, appelé les rivaux du Golfe au dialogue pour résoudre cette crise en appelant mercredi au téléphone, jour de la réunion des quatre pays boycotteurs du Qatar, le président Abdel-Fattah Al-Sissi. Ce ballet diplomatique international donnait l’impression que la crise, qui s’est officiellement manifestée le 5 juin dernier, était en passe d’être terminée. Or, des sources diplomatiques dans le Golfe ont reconnu que la crise se poursuivait et qu’elle pourrait même s’aggraver, surtout avec les campagnes médiatiques hostiles lancées par les deux camps. En fait, bien que les quatre pays aient revu à la baisse leur liste de demandes, lesquelles sont passées de 13 à 6, la réponse de Doha a été « négative » selon le chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Choukri. Ils ont déclaré pourtant qu’ils maintiendraient leurs tentatives de changer la politique de Doha. « Sameh Choukri a confirmé l’engagement fort de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et de Bahreïn à changer la politique du Qatar qui est derrière la déstabilisation de la région, soutenant, finançant et abritant des organisations terroristes », lit-on dans la déclaration officielle du ministère des Affaires étrangères.
A l’issue de sa rencontre la semaine dernière avec son homologue américain, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Al-Jubeir, a affirmé que la rencontre au Caire des quatre pays boycotteurs était destinée à se concerter sur la réponse de Doha à leurs revendications. Visiblement, ils ont décidé de maintenir la pression sur le Qatar. Vers l’escalade Le premier indice est apparu avec la décision du Caire d’interdire, à partir du 7 juillet, aux navires qatari d’accoster dans les ports du Canal de Suez pour des « raisons de sécurité nationale ». D’après Mohab Mamich, président de l’Autorité égyptienne du Canal de Suez, les navires qatari sont interdits d’accoster dans les ports, mais pas interdits d’accéder au canal. Mamich a expliqué que cette exception trouvait ses raisons dans un vieil accord dit « Accord de Constantinople », signé en 1869 et qui recommandait la liberté de circulation dans le Canal de Suez à tout navire, peu importe son pays d’origine. Alors que Riyad, Abu-Dhabi et Manama menacent de retirer leurs dépôts dans les banques qatari, soit 18 milliards de dollars, une démarche qui ne manquerait pas de mettre sous pression l’économie du pays, d’après Mohamad Ezz Al-Arab, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Comme l’a résumé Al-Jubeir, les racines de la crise avec le Qatar se résument en trois points : le soutien au terrorisme, l’ingérence dans les affaires des autres pays et les relations avec l’Iran. Ainsi, au Yémen, le Qatar aurait joué un double jeu, comme le note le chercheur yéménite Hossam Radman. D’après les enquêtes menées par Abu-Dhabi, le Qatar, tout en participant à l’opération « Tempête décisive » aux côtés de la coalition arabe, se serait impliqué dans deux attaques contre les militaires émiratis, à Marib en septembre 2015 et à Aden en octobre de la même année. D’où la décision immédiate d’exclure le Qatar de la coalition et de retirer ses effectifs militaires basés à Najran à la frontière entre l’Arabie saoudite et le Yémen. « La rapidité avec laquelle cette décision a été décidée et exécutée s’explique par la conviction que le Qatar menait un double jeu au Yémen, peut-être plus pour le compte des Houthis, ou plutôt de l’Iran », estime l’expert militaire, le général Mohamad Kachkouch. Les développements en Libye, où le général Khalifa Haftar vient d’annoncer la libération de Benghazi, ne sont peut-être pas isolés de la crise avec le Qatar.
Dans plusieurs interviews avec des médias au Caire, le porte-parole de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), Ahmad Al-Mesmari, a accusé le Qatar d’avoir cherché à contrecarrer les efforts de l’ANL dans sa guerre contre les milices extrémistes, alors que parmi les quatre pays boycotteurs, l’Egypte et les Emirats arabes unis s’intéressaient à titre particulier à l’éradication des milices libyennes armées. La neutralité du Hamas L’évolution la plus rapide se passe pourtant à l’est de l’Egypte, à la frontière avec la bande de Gaza. D’après des sources proches du dossier, les mesures que Le Caire a prises pour améliorer ses relations avec le Hamas n’auraient jamais abouti sans la position neutre que ce mouvement a été enjoint d’adopter dans la crise avec le Qatar. D’après ces mêmes sources, il aurait été impossible de demander au Hamas de couper avec le Qatar. Une position neutre était le minimum exigé. Le Hamas a donc commencé une coopération sécuritaire à très haut niveau avec l’Egypte qui inclut pour la première fois l’aménagement d’une zone tampon du côté palestinien de la frontière, placée sous un contrôle égyptien. En échange, le poste-frontière de Rafah a été rouvert et l’acheminement des carburants vers Gaza a repris. C’est l’ex-patron du service de sécurité de Gaza et ennemi juré du Hamas, Mohamad Dahlan, qui s’est avéré être l’architecte de ces nouvelles relations, un rôle qui bénéficie du soutien du Caire et d’Abu-Dhabi. Toutefois, l’expert sécuritaire Khaled Okacha met en garde contre l’hypocrisie du Hamas, qui ne peut se passer du Qatar, « comme le montre le dernier discours d’Ismaïl Haniyeh où il a fait l’éloge de l’Egypte sans manquer de courtiser le Qatar ».
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