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Egypte: Nasser et les juges, une histoire de conflits

Aliaa Al-Korachi , Mardi, 30 avril 2013

Comme Gamal Abdel-Nasser, Moubarak et Sadate ont tenté de dominer l'institution judiciaire. Mais c'est à l'époque nassérienne que la bataille fut la plus acharnée. Les juges se battaient pour garder leur indépendance, alors que le président les accusait de rendre une justice de classe. Explications.

Le 31 août 1969 est une date-clé dans l’histoire judiciaire de l’Egypte. 189 magistrats sont contraints de démissionner alors qu’une série d’autres mesures est prise par Gamal Abdel-Nasser pour « purifier le corps judiciaire ». Une purification que les historiens décrivent comme un « massacre de la magistrature ».

Cet événement eut lieu après une longue période de conflit entre Nasser et les magistrats. Mais les tentatives de Nasser de politiser la magistrature n’ont jamais abouti.

Les juges ont toujours résisté, se crispant sur leurs acquis de l’époque royale, à savoir la loi sur l’indépen­dance du pouvoir judiciaire pro­mulguée en 1943, sous le gouver­nement du Wafdiste Moustapha Al-Nahhas. Cette loi définit les relations entre les trois pouvoirs.

Dès la Révolution de 1952, Nasser perçoit les juges comme des reliques de l’ancienne classe domi­nante, hostile à la révolution. Le principal point d’achoppement entre le président et les juristes est relatif aux juridictions spéciales que le régime nassérien met en place dès le début pour limiter le pouvoir des juges.

C’est à travers ces juridictions que Nasser émet des condamna­tions sévères contre ses adversaires politiques. Des tribunaux « mili­taires », « du peuple » et « de la trahison » sont mis en place par Nasser et soulèvent le mécontente­ment des magistrats de l’époque.

Abdel-Razeq Al-Senhouri¸ père du code civil égyptien dans les années 1940, et qui occupait le poste de président du Conseil de l’Etat, était à la tête des opposants à ces juridictions.

En 1954, Nasser n’hésite pas à donner l’ordre d’exécuter Al-Senhouri dans son bureau. Ensuite, il publie un décret de limo­geage sous prétexte qu’il avait occupé à l’époque royale un poste politique.

Une nouvelle loi est alors pro­mulguée pour la restructuration du Conseil de l’Etat qui entraîne l’iso­lement d’une vingtaine de juges. Le Club des juges est aussi dans la ligne de mire du régime nassérien. En 1964, par la loi sur les associa­tions civiles, Nasser oblige le Club des juges à présenter des papiers officiels au ministère des Affaires sociales, malgré ses réticences.

Conflit idéologique et politique

Suite à la défaite de 1967 qui touche au coeur le projet politique de Nasser, le « magazine des magis­trats » publié par le Club des juges accuse « l’autoritarisme du régime » d’être la cause principale de la défaite militaire.

C’est ainsi que le vrai combat débute. Nasser commence à parler d’une « réforme judiciaire », appe­lant les juges à adhérer à l’Union socialiste, le seul parti autorisé par Nasser. Selon la vision de Nasser, ce parti ne constitue pas une forma­tion politique mais est « une union des forces populaires ». Pas de contradiction, donc, avec l’adhé­sion des juges.

Nasser répète que les juges exer­cent une justice de « classe » et qu’ils sont incapables d’exercer une justice équitable, dès lors qu’ils ne partagent pas la vie quotidienne de ceux qu’ils ont pour mission de juger. Il s’oppose à la théorie de séparation des pouvoirs qu’il consi­dère comme imparfaite.

Au départ, le conflit prend un caractère idéologique. Une série d’articles publiés dans le journal Al-Gomhouriya, rédigés par Ali Sabri, vice-président, attaque « l’isolement étrange dans lequel vivent les juges, loin de la poli­tique ».

Il convoque le conseiller Momtaz Nassar pour qu’il préside la « com­mission de justice » du parti. Celui-ci refuse fermement et lance sa célèbre phrase : « La justice appar­tient au peuple et n’est pas la pro­priété d’un parti ... La justice n’est pas une fonction mais un pouvoir ». Son nom apparaît alors en tête de la liste noire des juges établie par le régime.

Pas d’adhésion à l’Union socialiste

Le 28 mars 1968, le Club des juges publie son fameux communi­qué rejetant toute éventuelle adhé­sion à l’Union socialiste. Nasser attend alors les élections du Club des juges, qui doivent avoir lieu en mars 1969. Celles-ci se tiennent dans une atmosphère de rivalité entre deux listes, les « candidats du régime » et les « candidats libres » représentant le courant de l’indé­pendance mené par Momtaz Nassar.

La victoire écrasante de la liste de l’indépendance, avec 900 voix contre 700, est un coup dur pour Nasser.

Afin de reprendre le contrôle, une série de lois est adoptée par Nasser en août 1969 pour placer la justice dans le giron de l’idéologie socia­liste. 189 juges sont isolés, parmi lesquels le président du Conseil suprême de la magistrature. Le conseil d’administration du Club des juges est dissous et un nouveau conseil est nommé à la place. Mais l’écho de ce conflit sera lourd de conséquences pour l’ensemble de la politique à venir de Gamal Abdel-Nasser. A leur tour, Anouar Sadate et Hosni Moubarak tenteront de retour­ner la justice en leur faveur, avec plus ou moins de succès.

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