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Rupture avec les Frères

May Al-Maghrabi, Mardi, 09 mai 2017

Dans sa nouvelle charte, le mouvement Hamas tourne le dos aux Frères musulmans. Une tentative de se repositionner sur l’échiquier politique régional et de restaurer ses relations avec l’Egypte.

Véritable changement ou simple adaptation ? Dans sa nouvelle charte, annoncée le lundi 1er mai, le Hamas s’est défini comme un « mouvement palestinien islamique de libération nationale et de résistance », omet­tant toute référence aux Frères musulmans. Un revirement par rap­port au texte fondateur, adopté en 1988, dans lequel le mouvement se disait une émanation de la confrérie. Le deuxième article de sa charte fondatrice précise que « le mouve­ment de la résistance islamique Hamas est l’une des ailes des Frères musulmans en Palestine ». « Idéologiquement, nous faisons partie de l’école frériste, mais nous ne suivons aucun mouvement en terme organisationnel », a déclaré depuis la capitale qatari, Doha, Khaled Mechaal, ex-chef du Hamas.

Les relations du Hamas avec la confrérie s’étaient surtout consoli­dées depuis la prise du pouvoir des Frères musulmans en Egypte sous la présidence de Mohamad Morsi en 2012. Le parti islamiste palestinien avait organisé des élections internes au Caire en 2013 pour concrétiser ce rapprochement avec la confrérie. Or, depuis la destitution du président Morsi en juin 2013 et la classifica­tion, plus tard, de la confrérie comme organisation terroriste, le Hamas avait pris relativement ses distances avec les Frères égyptiens, mais sans renoncer à son projet en Palestine. C’est dans ce contexte qu’au­jourd’hui, le renoncement du Hamas à tout lien avec la confrérie est conçu par des observateurs comme un « changement tactique » qu’exigent les nouvelles donnes régionales et internationales. Il intervient à un moment où le Hamas se trouve parti­culièrement isolé. D’autant plus que la situation du peuple à Gaza est devenue effroyable à cause du blo­cus imposé.

Pragmatisme

Des conjonctures pesantes sur le mouvement qui l’ont forcé à lâcher les Frères musulmans pour sauver son sort. C’est ce qu’estime le député parlementaire Samir Ghattas, prési­dent du Forum du Moyen-Orient pour les études stratégiques. Selon lui, en annonçant sa séparation des Frères, le Hamas veut se présenter en tant que mouvement de résistance national et non un mouvement islamiste. Cela pourra lui permettre de se reposition­ner comme force politique auprès du peuple palestinien. Ghattas rappelle que le Hamas a payé cher ses rela­tions avec les Frères musulmans, « taxés de terrorisme ». En privilé­giant son appartenance à la confrérie au détriment de sa qualité de mouve­ment de résistance, le Hamas a, selon lui, perdu de sa crédibilité. « Toujours sous occupation, l’islamisation de la Palestine n’est pas le sujet qui occupe les Palestiniens », explique-t-il. Selon lui, c’est donc par pur pragmatisme que le Hamas s’est trouvé obliger de lâcher les Frères pour pouvoir s’adap­ter aux changements régionaux et internationaux. Les paris du Hamas sur la révolution arabe en Syrie ou sur Mohamad Morsi en Egypte ont échoué. Or, Ghattas reste convaincu que cette séparation est de caractère « temporaire tactique » plutôt qu’idéologique. « La pensée de la confrérie est enracinée chez le Hamas. Après des années de coopé­ration entre eux, le lien idéologique persiste, le Hamas doit prouver à l’Egypte comme à la communauté internationale sa rupture factuelle avec la confrérie et effectuer une véritable révision idéologique », insiste-t-il.

Mauvais calculs

En effet, la destitution de Morsi et la chute de la confrérie en Egypte ont profondément ébranlé les calculs du mouvement islamiste, qui comptait se positionner sur le devant de la scène palestinienne et devenir un acteur-clé dans la région arabe. Les relations entre l’Egypte et le Hamas se sont en effet nettement dégradées depuis. L’Egypte accusait le Hamas de soute­nir les Frères musulmans, et d’ache­miner argent et armes, à travers les tunnels de contrebande entre le Sinaï et Gaza, aux groupes terroristes. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait même exhorté le Hamas à cesser, du point de vue militaire, toute forme de coopération avec les terroristes affi­liés au groupe de l’Etat islamique dans le Sinaï, et à s’éloigner des Frères musulmans.

Conscient de l’importance de ses relations avec l’Egypte, le Hamas avait à maintes reprises nié son ingé­rence dans les affaires de l’Egypte. Plusieurs gestes de bonne volonté sont ainsi lancés. En juin 2016, il était surprenant de voir à Gaza la suppression de toutes les photos et tous les signes qui font référence aux Frères musulmans des rues et des mosquées. Des signes d’ouverture qui ont favorisé un réchauffement relatif des relations entre le mouve­ment et Le Caire qu’ont témoigné, à titre d’exemple, la réouverture provi­soire du terminal de Rafah et la réception des délégations du Hamas au Caire.

Moustapha Kamel Al-Sayed, pro­fesseur de sciences politiques à l’Uni­versité du Caire, estime qu’en faisant ce choix, le Hamas a valorisé ses intérêts de renouer avec le régime égyptien. « Outre l’isolement poli­tique du Hamas, cette appartenance aux Frères musulmans avait donné un prétexte à Israël pour resserrer le blocus sur la bande de Gaza. En plus, la rupture du Hamas avec Le Caire avait nourri le blocage de la réconci­liation avec le Fatah. Un élément de plus qui a compliqué les négociations de paix », explique Al-Sayed. Dans une telle conjoncture, le Hamas n’avait pas d’autres choix que de réorienter sa politique. « Le Hamas a besoin plus que jamais d’un retour à la normale avec l’Egypte, principal médiateur de la question palesti­nienne, mais aussi seule porte sur le monde extérieur pour la bande de Gaza », décrypte Al-Sayed. Il ajoute que les intérêts que pourra gagner le Hamas en coopérant avec le régime égyptien dépassent de loin son enga­gement avec les Frères musulmans qui, au contraire, entravent ses projets politiques. « Le Hamas a plus d’inté­rêt en ce moment à se rapprocher du Caire, sur lequel le président améri­cain, Donald Trump, mise beaucoup dans la région. Par ailleurs, en se distançant des Frères musulmans, le Hamas cherche à rétablir ses rela­tions avec des pays qui, jusqu’à présent, refusaient tout dialogue officiel avec le mouvement en raison de son appartenance aux Frères, comme notamment l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Les retombées de ces changements annoncés dépendront pourtant de la traduction de ces nouveaux prin­cipes en politiques », estime le poli­tologue.

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