La «
Conférence mondiale sur la paix » s’est tenue les 27 et 28 avril, au siège de la prestigieuse institution sunnite d’Al-Azhar. Réunissant 300 personnalités religieuses musulmanes et chrétiennes du monde entier, cette conférence vise à sceller les principes de coexistence pacifique parmi les adeptes de toutes les religions sur la planète. Outre le pape du Vatican, François, qui a prononcé un discours, et le patriarche de l’Eglise copte, Tawadros II, d’autres dignités religieuses y ont participé dont le patriarche oecuménique Bartholomée pour l’Eglise orthodoxe, le patriarche de Babylone des Chaldéens, Louis Raphaël Ier Sako, de Bagdad, le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, et Mohammad Bin Abdel Karim Al-Issa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale. Ils sont tous venus à l’invitation du grand imam d’Al-Azhar, cheikh Ahmad Al-Tayeb.
L’idée de la tenue de cette conférence a été évoquée dès mai 2016 lors de la visite du cheikh Al-Tayeb au Vatican. Dans un texte de présentation, Al-Azhar a précisé que cette conférence cherche à « éliminer les causes de conflit, de violence et de haine », pour ne pas traiter seulement « les symptômes », mais « la maladie même ». A « Adresser un message commun au monde entier » pour « appeler à la paix entre les responsables religieux, entre les sociétés et entre tous les pays du monde ». Dans ce contexte, rechercher la justice et la paix, en éliminant les causes de la pauvreté, de la maladie, de la violence et de la haine, est « une nécessité humaine », une « responsabilité » non pas seulement pour ceux qui partagent « une croyance ou une philosophie déterminées », mais aussi pour « l’humanité toute entière ». C’est ainsi que l’institution d'Al-Azhar a résumé les enjeux de la conférence.
Quatre thèmes
Au cours de deux jours de conférence, les dignitaires religieux ont effectué un dialogue intellectuel marquant avant tout la réappropriation d’un discours sur la paix par le monde musulman et son opposition à l’extrémisme religieux. La conférence a discuté de 4 sujets principaux : les obstacles de la paix dans le monde contemporain entre risques et défis, la fausse interprétation des textes religieux et son impact sur la paix au monde, l’exploitation de la pauvreté, la culture de la paix entre les religions … le réel et l’envisagé. Des thèmes décryptant les principaux facteurs favorisant le terrorisme.
En présence du pape du Vatican et devant un parterre de responsables religieux et politiques du monde entier, le grand imam d’Al-Azhar a affirmé que « la paix entre ceux qui prêchent la religion » est la clé pour l’avenir. Dans son discours, il a tenu à souligner que le terrorisme et les conflits sanglants et armés contredisent les valeurs religieuses sublimes et les idéaux humanitaires. « Face à l’expansion du cercle des guerres et de violence et à la montée du terrorisme et du sectarisme, la voix de la raison nous appelle à faire de notre mieux pour éliminer les causes de malheur et chercher les moyens de coopération au lieu de chercher les conflits, se respecter au lieu de se rejeter, vivre en paix au lieu de se combattre et tolérer au lieu d’être fanatique », a appelé Al-Tayeb.
D’accord sur la nécessité de sceller l’esprit de tolérance et d’acceptation des autres, le grand imam d’Al-Azhar a conclu que d’autres facteurs, que le fanatisme religieux, alimentent la violence et le terrorisme. « Le trafic d’armes mondial ainsi que les décisions disproportionnées des forces majeures, souvent basées sur des illusions, des prétentions, l’occupation des territoires, la volonté d’hégémonie et les politiques de double poids de mesures sont derrière la prolifération du terrorisme », a-t-il estimé. Au cours d’une précédente conférence au Caire deux mois plus tôt sur « Liberté, citoyenneté, diversité, intégration », le grand imam d’Al-Azhar réfléchissait déjà à un tel renouvellement pour lutter contre l’extrémisme. Une vision partagée par le pape François qui trouve « injuste d’identifier l’islam avec la violence ». « Tous les musulmans ne sont pas violents comme tous les catholiques ne sont pas violents. Cela n’est pas juste et n’est pas vrai », avait-il déclaré.
Quel rôle pour les dignitaires religieux ?
Le rôle des responsables religieux dans la lutte contre le terrorisme et l’oeuvre de consolidation des principes de citoyenneté et d’intégration ont été des thèmes importants discutés à la conférence d’Al-Azhar. Les rapports et les interventions se sont concentrés sur des thématiques liées à la protection de la paix et à sa défense contre ce qui la met en danger, y compris la manipulation et l’interprétation erronées des textes sacrés. La coopération islamo-chrétienne est l’une des principales pierres angulaires de la justice et de la paix dans le monde, en particulier pour relever les défis auxquels est confrontée la famille humaine, surtout ceux du terrorisme et de l’extrémisme, sans oublier la pauvreté, le chômage et les opportunités d’emploi, afin de raviver l’espérance des générations futures. Abbas Choumane, secrétaire d’Al-Azhar, explique que l’un des objectifs de cette conférence c’est de positionner clairement l’islam dans son opposition à la violence et aux conflits. « La tenue de cette conférence s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par le grand imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayeb, le chef du Conseil des sages musulmans, afin de répandre la culture d’amour, de tolérance, de coexistence et de réalisation d’une paix globale et juste pour le monde entier », indique-t-il. Le cardinal français Jean-Louis Tauran a, en outre, estimé que « les terroristes voudraient démontrer qu’il n’est pas possible de vivre ensemble avec les musulmans, mais nous affirmons le contraire ». Quant à l’évêque Jim Winkler, président de Conseil national des Eglises aux Etats-Unis, il a exprimé sa conviction que « sans une culture de respect mutuel entre les religions, le monde ne pourra pas vivre en paix ». Sur la même longueur d’onde, l’évêque Olaf Fix, secrétaire général du Conseil mondial des Eglises, a indiqué que face au terrorisme frappant le monde entier et nuisant aux religions, les yeux sont braqués sur les religieux. « Il nous incombe de lutter contre l’extrémisme. Les jeunes s’attendent à ce que puissent faire les chefs religieux en ce combat idéologique contre les groupes terroristes », a souhaité Fix, saluant le modèle de coexistence en Egypte : « Ici, j’ai vu des exemples pour des musulmans défendant des coptes victimes de violence et de coptes qui présentent des aides à des musulmans pauvres. Voici des exemples à suivre en vue de sérénité et de paix ». Des messages de tolérance parmi d’autres que les participants espèrent qu’ils touchent l’opinion publique internationale.
L’intellectuel Akram Lameï, responsable à l’Eglise évangélique, ne nie pas l’importance de la conférence d’Al-Azhar qui a réuni sur une même table les chefs religieux du monde entier. Or, plus important pour lui, c’est que les conclusions tirées de cette réunion soient concrétisées. « Le problème ne réside pas au niveau des chefs religieux, dont la plupart sont d’accord sur les principes de paix et de tolérance. Pour atteindre ses objectifs, le dialogue interreligieux doit se traduire en des mesures concrètes permettant de répandre ces principes aux sociétés et surtout parmi les jeunes générations, dont certains tombent en proie au radicalisme faute de pauvreté, d’ignorance … C’est sur terrain que ce dialogue doit gagner du terrain à travers un discours religieux plus ouvert dans les églises et les mosquées et des programmes scolaires sur les principes humanitaires communs », souhaite Lameï.
Lien court: