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Sinaï: En finir avec l’obsession sécuritaire

May Al-Maghrabi, Lundi, 22 avril 2013

Abdallah Gahama compte parmi les plus influents cheikhs du Sinaï. Il accuse le régime de Moubarak d'avoir marginalisé les bédouins qui sont toujours l'objet de nombreuses discriminations. Pour lui, seul un développement durable de la péninsule est capable de mettre un frein à l'insécurité.

Abdallah-Gahama

« Les regards des responsables politiques ne se braquent sur le Sinaï que lors des crises sécuritaires. Les habitants de la péninsule reçoivent des responsables des promesses qui sont toujours restées lettre morte. C’est déplorable que l’on évoque toujours le dossier de la sécurité du Sinaï sans concevoir que le développement de la région est le moyen le plus efficace pour restaurer la stabilité », lance le cheikh Abdallah Gahama, l’un des plus influents cheikhs de la péninsule.

Agé de 71 ans, le cheikh Gahama est issu de la tribu Al-Tarabine du nord du Sinaï. Il a été député à l’Assemblée du peuple en 2000 et en 2012. Il est actuellement chef de l’Association des combattants du Sinaï, regroupant 150 Sinawis qui ont participé volontairement avec les forces armées aux guerres de 1967 et 1973.

De caractère irréductible, le cheikh Gahama s’est toujours battu pour le développement du Sinaï et son intégration au reste de l’Egypte.

Cheikh Gahama a été reçu récemment par le président Morsi qui lui a promis d’accorder une priorité absolue au dossier du développement du Sinaï et d’y consacrer un milliard de L.E. Une offre attractive mais qui, selon le cheikh, a été accueillie avec méfiance par les habitants du Sinaï.

Et il y a de quoi. A chaque fois qu’ils prêtaient l’oreille aux déclarations des responsables, les Sinawis découvraient que tous les discours sur le développement de leur région n’étaient que de la poudre aux yeux.

Toutefois, le cheikh espère que la création récente d’un « organisme national pour le développement du Sinaï » permettra de remettre sur les rails les projets de développement du nord de la péninsule, suspendus depuis longtemps.

Le cheikh se rappelle le projet géant du canal d’Al-Salam qui devait acheminer l’eau du Nil et contribuer à la bonification de milliers d’hectares dans le Nord-Sinaï. Ce projet n’a pas été plus suivi que celui de la ligne d’eau potable qui devait approvisionner le nord du Sinaï à partir d’Ismaïliya. Comme tant d’autres ...

Les grands oubliés

Selon le cheikh, les habitants du Sinaï demeurent, surtout après la révolution de janvier 2011, les grands oubliés des projets de développement. Il craint que le pouvoir ne les perçoive toujours avec méfiance comme c’était le cas auparavant.

« Nous avons beaucoup souffert de la discrimination injustifiée, de la frustration et de la marginalisation. N’est-il pas temps de nous accorder l’attention que nous méritons, non seulement par souci de justice mais surtout pour sécuriser le Sinaï par un véritable développement urbain, industriel et touristique ? ».

L’absence de volonté politique, le manque de financement ou la sous-estimation de l’importance du développement du Sinaï sont-ils les seules raisons de l’omission de stratégies étatiques ?

La cheikh rappelle que seuls les bédouins ont interdiction de posséder les terrains et les maisons qu’ils occupent. Les jeunes n’ont le droit de s’inscrire ni aux facultés militaires, ni à l’Académie de police, ni même de travailler dans les sociétés pétrolières du Sinaï. Le cheikh se demande pourquoi le Sinaï est soumis depuis plus de trente ans à cet isolement politique et social.

« Est-ce parce que nous avons vécu sous occupation israélienne pendant quinze ans que les régimes nous considèrent comme des ennemis intérieurs ? Avant la révolution, on nous surnommait les juifs du Sinaï. C’est vraiment injuste à l’égard d’un peuple qui a lutté pour défendre les frontières du pays au cours des dernières décennies », regrette Gahama.

Le ton n’est pas le même lorsqu’il évoque les forces armées. « Sous les différents régimes, seule l’armée n’a jamais abandonné les habitants du Sinaï. Elle a mis en place des projets de sédentarisation, a créé des hôpitaux et des écoles et a creusé des dizaines de puits qui ont coûté des millions de L.E. L’armée a toujours aidé les Sinawis ».

Quand le cheikh Gahama évalue le progrès du développement du Sinaï sous les anciens régimes, seul Sadate trouve grâce à ses yeux. « Développer le Sinaï était le rêve de Sadate, le seul président qui nous estimait. Il nous accordait de l’importance en tant que portail oriental du pays et terre de richesses non exploitées. Quand je l’ai rencontré après la signature des accords de Camp David, il a fait l’éloge des Sinawis, mettant l’accent sur leur rôle patriotique ». Il a toujours les mots de Sadate en tête : « Sans les fils du Sinaï, nous n’aurions pas pu remporter la victoire de la guerre de 1973. Maintenant c’est de vos mains que le Sinaï deviendra le paradis de Dieu sur terre », se souvient Gahama. Le cheikh est persuadé que le sort du Sinaï aurait été prospère si Sadate n’avait pas été assassiné.

Sous Moubarak, il a fallu attendre jusqu’en 1994, soit 11 ans après la libération de la péninsule, pour qu’un projet national pour le développement soit évoqué. Un projet de développement qui devait en faire une région attractive. Mais ce projet, qui devait prendre fin en 2017, est toujours à l’arrêt.

Le cheikh Gahama impute au régime de Moubarak la responsabilité du déséquilibre entre le nord, très marginalisé, et le sud touristique et plus développé.

Un fossé que pourrait combler l’installation de réels projets de développement au nord. Cela permettrait d’attirer plus de personnes et de remédier au danger du vide sécuritaire et à l’infiltration des groupes terroristes. Le cheikh Gahama espère enfin être écouté.

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