Depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine, c’est l’expectative. L’expectative dans tout, y compris en ce qui concerne les relations entre les Etats-Unis et la Russie, deux puissances mondiales qui ont toujours entretenu des relations pour le moins que l’on puisse dire spéciales, tantôt conflictuelles, tantôt dictées par une logique cartésienne d’intérêts communs. Depuis la fin de la guerre froide, c’est-à-dire la fin de l’antagonisme Washington/Moscou, la situation était plutôt stable avec des Etats-Unis superpuissants et une Russie affaiblie par l’ébranlement de son modèle politico-économique. Mais les choses ont commencé à changer ces dernières années sous la Russie de Vladimir Poutine, devenue — ou redevenue — un partenaire incontournable, qui a son mot à dire, qui l’impose même parfois, dans de nombreuses questions internationales. Les choses semblaient se diriger vers encore plus d’évolution avec l’élection de Trump, perçu comme un proche de Poutine, et dont les relations ont suscité d’importants soupçons, notamment avec les accusations d’interférence russe dans les élections américaines.
Et voilà que l’imprévisible Donald Trump vient remettre les compteurs à zéro, soulevant une multitude de questions sur l’avenir des relations russo-américaines. Celui qui prônait l’isolationnisme, qui ne voulait plus faire des Etats-Unis le gendarme du monde, celui qui, surtout, semblait laisser les mains libres à Moscou en terre syrienne, vient bouleverser toutes les attentes. A première vue, un rapprochement russo-américain peut être ébranlé : que Donald Trump ait directement ciblé le régime de Bachar Al-Assad a en effet ulcéré Vladimir Poutine, ce dernier ayant clairement dénoncé « une agression contre un Etat souverain en violation des normes du droit international ». Avec un peu de recul, il n’en est rien. Certes, la tension est au rendez-vous au cours de la visite du secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, entamée mardi 11 avril et qui doit se poursuivre ce mercredi, dominée par la question syrienne et les récentes frappes américaines contre Damas. Avant même son arrivée, la Russie a affirmé « attendre des explications » de la part de Tillerson. Alors que ce dernier a qualifié de « très décevante » la réponse de Moscou à la frappe américaine.
Cela dit, l’idée d’un rapprochement entre Moscou et Washington, envisagée lors de l’accession au pouvoir de Donald Trump, n’est pas enterrée à jamais, mais simplement reportée. En effet, ni les Etats-Unis, ni la Russie n’ont intérêt à ce qu’une escalade ait lieu. Tous deux ont quelque part fait ce qu’ils avaient à faire. « Washington, en prouvant au monde qu’il est toujours la première puissance mondiale, celle qui se positionne en défenseur des droits et des libertés et qui se doit de réagir. Moscou, en montrant aussi qu’il devait réagir, et ce, en annonçant la suspension de l’accord avec Washington sur la prévention des incidents aériens, signé en octobre 2015, et le renforcement des défenses antiaériennes de l’armée syrienne », explique le politologue Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Approches réalistes
Mais au-delà des réactions immédiates de part et d’autre, et des menaces de part et d’autre, rien de plus n’a été entrepris : les défenses antiaériennes russes sur place n’ont pas été utilisées, les missiles américains n’ont pas été interceptés. D’ailleurs, il convient de souligner que les Russes ont été visiblement avertis de l’imminence de ces frappes par les canaux appropriés. Ils ont donc eu une approche réaliste en laissant faire l’action unilatérale américaine, même s’ils l’ont critiquée fermement et même s’ils ont menacé de représailles.
En fait, en ayant prévenu la Russie de cette attaque, l’Administration Trump s’est livrée à une frappe symbolique, à une démonstration de force. Objectif : faire comprendre qu’elle peut intervenir, en Syrie, comme ailleurs. Et que cela pèsera dans les relations futures. « Tout compte fait, à moyen et long terme, les Etats-Unis et la Russie n’entreront pas dans une phase de confrontation, malgré le climat actuel. Tous deux fonctionnent avec la même logique, le même principe selon lequel il n’y a ni ennemis permanents, ni alliés permanents, mais des intérêts qui priment », explique Hicham Mourad. Et d’ajouter : « Voyez ce qui s’est passé entre la Russie et la Turquie lorsque Ankara a abattu un appareil russe : une crise diplomatique aigue qui s’est dissipée au point qu’ils sont aujourd’hui alliés, tout simplement à cause des intérêts. C’est la même chose entre Washington et Moscou. Vu que le plus important ce sont les intérêts communs, ils finiront par trouver un terrain d’entente d’autant plus qu’ils ont une vision commune pour pas mal de choses, notamment la lutte antiterroriste, une question prioritaire pour Trump, comme pour Poutine ».
Reste que, même si ce n’est pas leur motivation première, les frappes américaines contre Damas, le grand allié de Moscou, ont permis à Donald Trump d’éloigner, au moins temporairement, le soupçon de connivence avec le Kremlin qui pèse sur lui et une partie de son entourage depuis son élection. En effet, cette sorte de mini-bras de fer avec Moscou intervient à un moment où, à l’intérieur des Etats-Unis, il est de plus en plus question de l’interférence russe dans les dernières élections présidentielles américaines et qu’une enquête est en cours. Des soupçons qui avaient poussé à la démission de l’ancien conseiller de Trump à la sécurité nationale, Michael Flynn, accusé d’avoir eu des contacts avec l’ambassadeur russe avant l’élection. Avec cette frappe, Trump fait donc d’une pierre deux coups : laver le soupçon d’être trop proche de Poutine, et rappeler qu’il est le président de la plus grande puissance du monde.
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