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Le sommet de la réconciliation

Samar Al-Gamal, Vendredi, 24 mars 2017

La 28e édition du Sommet arabe se tient à Amman, le 29 mars. Face aux changements sur la scène régionale et à l’avènement d’une nouvelle administration à Washington, les Arabes tentent de se réconcilier.

Le sommet de la réconciliation
(Photo : AP)

Une réconciliation interarabe semble être le mot-clé de cette rencontre entre les chefs d’Etat arabes. Sur la rive orientale de la mer Morte, les chefs d’Etat et monarques arabes se retrouveront pour une nouvelle édition de leur rencontre annuelle. Leurs ministres des Affaires étrangères se rencontreront le 28 mars et avant eux des responsables économiques et techniques à partir du 23 avant le coup d’envoi du sommet le 29 mars. Une rencontre ordinaire qui par le passé a connu bien des surprises avec des accrochages et des claquements de portes.

Cette année, et en dépit d’une scène régionale explosive en Syrie, en Iraq, au Yémen et en Libye, le sommet semble se diriger vers un apaisement de la polarité entre les pays membres de la Ligue arabe. « Ce sera un sommet de réconciliation », prévoit un haut diplomate égyptien proche des préparatifs du sommet. La Syrie, sujet de différends depuis l’éclatement de la guerre civile et le gel de son siège à la Ligue en 2011, est paradoxalement loin de peser sur la rencontre. Mais Damas ne peut pas non plus espérer récupérer sa place. Le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Sadfi, a annoncé que la Syrie ne serait pas conviée, conformément à la décision de la Ligue arabe. « Qui a dit que la Syrie accepterait l’invitation ? », a rétorqué le régime de Bachar Al-Assad par la voix de Bahjat Souleiman, ancien ministre syrien, en Jordanie. Les pays arabes ont plus ou moins cédé le dossier aux forces internationales et à l’Onu qui mènent des tractations à Astana et à Genève avec des délégations du régime et de l’opposition.

Occupation israélienne, pas de solution

Le sommet qui se tient à un jet de pierre de Jérusalem est pourtant assez loin d’apporter une solution à l’occupation israélienne des territoires palestiniens, même si le conflit arabo-israélien figurera, comme de coutume, dans une clause du communiqué final du sommet. (Lire page 4). Des diplomates arabes affirment que le Sommet de Jordanie doit une nouvelle fois réitérer son appel à une solution sur la base de l’initiative du roi Abdallah en 2002. Ils reconnaissent d’ailleurs que ce sujet, au centre de l’action arabe commune par le passé, a perdu sa place au profit du Printemps arabe et ses conséquences. « Une certaine vivacité sera née de cette rencontre », estime pourtant un haut diplomate égyptien. Parlant sous couvert de l’anonymat, il indique que le rapprochement du président Mahmoud Abbas avec Le Caire va se refléter sur le sommet. La tension était montée d’un cran entre la capitale égyptienne et Abou-Mazen qui voyait d’un mauvais oeil l’accueil réservé à son ennemi farouche, Mohamed Dahlane. Des responsables palestiniens parlaient déjà d’un plan égypto-émirati pour préparer l’ancien chef de la sécurité à la succession du président palestinien. Peu après, une délégation du Hamas, autre rival du chef du Fatah, était reçue au Caire, mais lundi dernier, alors qu’il était en tournée arabo-européenne Abbas a fait une escale au Caire où il a été reçu par le président Abdel-Fattah Al-Sissi. « Abbas s’est retrouvé face à une nouvelle administration américaine qui pourrait éclabousser facilement la solution des deux Etats. Et il ne peut se permettre de rester sans appui régional et continuer à maintenir le froid avec les Egyptiens », justifie ainsi le diplomate égyptien ce réchauffement soudain à quelques jours du sommet.

Ce réchauffement doit se prolonger à d’autres aspects du sommet auquel participe, pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le premier ministre iraqien, Haider Al-Abadi. Il est question, selon les diplomaties, d’un désamorcement de la crise entre Bagdad et Riyad dans un monde arabe tourné vers un conflit sunnite-chiite et alors que l’Arabie saoudite et l’Iran s’affrontent au Yémen. La visite du chef de la diplomatie saoudienne en Iraq est un premier indice de dégel et doit être suivie par la nomination d’ambassadeurs réciproques dans les deux pays. Selon le diplomate, « la politique qui consiste à réintégrer l’Iraq en s’ouvrant vers lui et non pas à l’isoler est plus dominante, alors que c’était un sujet de différend depuis la chute de Bagdad en 2003 et la transformation du pays en théâtre d’influence iranienne ». La théorie, acceptée par Moubarak et selon laquelle les chiites sont plus loyaux à l’Iran qu’à leur pays d’origine et qu’il faut les punir jusqu’à ce qu’ils changent de position, semble reculer même chez Al Séoud. « A sa place, se développe une autre théorie qui consiste à dire que les chiites arabes sont avant tout des Arabes et que les Iraqiens penchent naturellement du côté arabe sauf qu’on les situe du côté iranien. C’est le choix de l’Egypte qui n’est pas forcément celui des Saoudiens. Mais Washington adopte une position plus ou moins proche des Egyptiens et les Saoudiens ont commencé alors à alléger leur position », ajoute-t-il.

Pragmatisme saoudien

Il ne faut pourtant pas penser à une lune de miel entre Bagdad et Riyad, juste un dégel dans le cadre d’une stratégie plus large liée à la nouvelle politique américaine dans la région et qui a comme grand titre la lutte contre Daech. Les partenariats de l’Administration Trump émaneront de ce principe, et Raqqa est la clé de cette lutte car elle sert de muraille entre l’Iran et ses zones d’influence en Iraq et en Syrie. C’est ici que se rencontrent Américains et Saoudiens d’ailleurs. La lutte contre Daech nécessite un autre front à Mossoul et ceci exige une coordination avec l’Iraq. N’empêche que le sommet condamnera dans sa déclaration finale « l’ingérence de Téhéran dans les affaires arabes » et appuiera les Emirats arabes dans leur différend sur les frontières maritimes avec l’Iran. Ce pragmatisme saoudien semble se prolonger jusqu’à ses relations avec Le Caire. « On s’attend à une accolade, un rapprochement entre Riyad et Le Caire », précise le haut responsable égyptien. Le malaise s’était en effet installé entre les deux capitales en raison des positions divergentes sur la Syrie, notamment après le vote de l’Egypte en faveur d’un projet de résolution russe devant le Conseil de sécurité pour une cessation des hostilités en Syrie. Une décision judiciaire confirmant l’invalidation d’un accord signé en 2016 entre les deux gouvernements, en vertu duquel l’Egypte cédait à l’Arabie saoudite les îles de Tiran et Sanafir, avait rajouté à cette tension croissante. Puis le géant pétrolier saoudien avait décidé de ne plus approvisionner l’Egypte en produits pétroliers et a gelé un accord qui garantissait au Caire 700 000 tonnes de produits pétroliers par mois, avec des facilités de paiement sur 5 ans. Une rupture de 6 mois, mais qui doit reprendre bientôt, « en fonction d’un calendrier qui sera établi », selon un communiqué la semaine dernière du ministère égyptien du Pétrole. Les deux pays sunnites les plus importants de la région cherchent à détenir davantage de cartes devant l’Administration américaine. Le roi Salman était déjà en visite à Washington et le président Sissi s’y rend 3 jours après le sommet arabe. « Le mieux est de se présenter comme détenant la clé des problèmes de la région et non pas comme une partie de ces problèmes », ainsi résume le diplomate la stratégie égyptienne. « Sissi se rend aux Etats-Unis brandissant les cartes d’une influence en Libye où ledit croissant du pétrole qui était tombé dans les mains des rebelles a été récupéré, un rapprochement avec les Iraqiens et un réchauffement avec Abou-Mazen et avec les Saoudiens », précise-t-il. Les relations arabo-arabes seraient peut-être moins tendues après le sommet, c’est le seul succès sur lequel compte la Ligue arabe.

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