Une semaine après la reprise des négociations sur la Syrie dans la cité helvétique, les discussions dirigées par l’envoyé spécial de l’Onu, Staffan de Mistura, ne sont pas encore entrées dans le vif du sujet. «
On est toujours dans la forme pure. Nous n’avons toujours pas abordé les questions de fond », affirment les représentants onusiens. Après une séance inaugurale, où les délégations, celle représentant le régime de Bachar Al-Assad et celle représentant ses opposants, se sont retrouvées face à face, les deux parties ont rejoint la salle de négociation sans entrer en contact direct. «
Nous étions assis en forme de U, l’équipe de l’Onu à la base du U, faisant face à la délégation d’Al-Assad et à celle de l’opposition assises l’une face à l’autre. Malgré cela, les deux délégations ne se sont jamais parlé directement. Elles ont utilisé l’équipe onusienne comme entremetteur tout au long de la séance, sans jamais déroger à ce protocole », explique un diplomate présent lors de la rencontre. Le médiateur onusien a cherché par tous les moyens à trouver une note positive à cette rencontre, pourtant plus que formelle. «
Je ne m’attendais pas dans tous les cas à ce qu’il y ait une quelconque percée lors de cette séance. Je m’attends plutôt à ce que nous entamions une longue série de rounds », a déclaré le médiateur onusien à la suite de la première journée de négociations.
10 contre 10
Genève 4 est déjà le quatrième sommet intersyrien organisé par l’Onu pour tenter de mettre un terme au conflit qui dure depuis 6 ans. Mais malheureusement, ces nouvelles négociations ne semblent pas se distinguer des précédentes. Dans le format du moins, un élément a changé. Pour la première fois les rebelles armées luttant contre le régime de Damas sont représentés aux côtés de l’opposition. Les délégations sont désormais à 10 contre 10.
Le contexte lui aussi est différent. Les représentants du pouvoir et de l’opposition se retrouvent cette fois sur fond de cessez-le-feu, ce qui a permis de faire baisser la tension qui régnait lors de Genève 3 et qui avait fait avorté tous les pourparlers.
De même, sur le terrain les rapports de force ont changé. Les hommes de Bachar Al-Assad, soutenus par la Russie, sont désormais en bien meilleure position que lors des dernières négociations. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche et l’absence actuelle de stratégie américaine en Syrie font pencher la balance du côté du trio Russie-Turquie-Iran (voir page 5). Un nouvel équilibre qui pèse sur les demandes de l’opposition, surtout celle dite du groupe de Riyad, qui réclame un règlement excluant le président syrien. Aux côtés du groupe de Riyad, le groupe du Caire, moins radical sur le départ de Bachar Al-Assad, et le groupe de Moscou, formé essentiellement d’anciennes personnalités proches du pouvoir syrien.
Unifier l’opposition
Les négociations de Genève 4 se sont concentrées sur la possibilité d’une unification de l’opposition, afin que celle-ci ne forme qu’une seule voix. C’est du moins la condition proposée par le médiateur onusien. « Je ne comprends pas pourquoi le médiateur insiste sur l’unification de l’opposition. Je ne sais pas si c’était un piège dans lequel il est tombé ou bien une simple erreur stratégique, mais tenter d’unifier cette opposition multibords est, d’après moi, une faute fondamentale », explique un haut diplomate assistant aux séances en cours. Le chef de l’opposition syrienne, Jihad Maqdissi, reste lui aussi perplexe face à cette condition d’unification de l’opposition. « Pourquoi insiste-t-il pour qu’il y ait seulement deux délégations ? N’existe-t-il pas de négociations multipartites ? Toutes les négociations qui se déroulent à l’Onu se passent avec plusieurs centaines de personnes et elles parviennent finalement à un compromis. Pourquoi ici la situation serait-elle différente ? », s’interroge-t-il (voir entretien page 4). « Pourquoi De Mistura ne remet-il pas cette question formelle à plus tard et ne s’attaque-t-il pas au problème de fond immédiatement ? », ajoute-t-il. « Il y a une grande défaillance au niveau de la manière dont De Mistura gère les négociations. Il est convaincu qu’il ne réussira pas dans sa mission sans un accord préalable entre la Russie et les Etats-Unis, et cherche simplement à éviter une catastrophe en marquant des percées au niveau formel, sans aller plus loin ». Consacrer tous les efforts pour former un seul groupe d’opposition réduit les pourparlers à une question de nombre et d’équilibre des parties, mais on s’éloigne ainsi des questions fondamentales. Il n’est vraiment pas possible de mesurer le poids de chacune des délégations présentes. Tout est très virtuel, surtout qu’il n’y a toujours pas d’élections en Syrie. Le régime dit détenir quelque 35 % du territoire et 90 % de la population, alors que les zones agricoles et pétrolières sont d’après lui détenues par l’opposition. Une autre démarche de l’équipe onusienne serait de présenter aux différentes parties syriennes un brouillon de feuille de route, et leur demander de faire des remarques afin de parvenir à un consensus.
La forme avant tout
Cependant, De Mistura n’a pas encore proposé aux participants un itinéraire définitif. Il a simplement proposé une procédure de respect mutuel. Ce document reprend la résolution 2254 du Conseil de sécurité et ledit plan de paix des Nations-Unies adopté en 2015. Le document parle ainsi de l’élaboration d’une nouvelle Constitution, de la gouvernance du pays et de la tenue d’élections. « Il n’y aura pas d’accord tant qu’on ne se sera pas entendu sur tout », lit-on dans le document. Régime et opposition affichent déjà des interprétations contradictoires de la résolution onusienne, notamment en ce qui concerne la gouvernance. Quelles négociations de fond proposera alors De Mistura ? Il faudra attendre encore quelques jours pour savoir si ce Genève 4 réussira à entrer au coeur du litige. « Si ces négociations débouchent sur un plan amenant à se retrouver dans quelques semaines pour discuter des détails d’un accord, ce sera un très grand succès. L’autre option est que nous continuons à faire du surplace », résume un diplomate égyptien ayant assisté aux premières réunions de Genève 4.
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