Quelques jours après son arrivée à son poste à New York, début février, la toute nouvelle ambassadrice américaine, Nikki Haley, a annoncé sa nouvelle mission : «
Faire disparaître » les opérations de maintien de la paix que Washington considère comme obsolètes. Soit réduire le nombre de missions des Casques bleus, et donc réduire la part des financements américains à l’organisation. Les Etats-Unis payent actuellement environ 28,5 % du budget des opérations qui s’élève à 7,9 milliards de dollars. Ils sont suivis de loin par la Chine qui paie environ le tiers de la part américaine avec 10,3 % du budget. Si Haley se dit «
sceptique » sur l’efficacité d’un certain nombre de missions de la paix, ce sentiment est partagé par une grande partie des officiels de l’Onu, mais aussi de la communauté internationale, surtout que la réputation des Casques bleus a été ternie par les scandales d’abus sexuels. 480 cas d’abus ou d’exploitation sexuelle ont été recensés au sein de l’Onu, selon un rapport du bureau d’enquête des Nations-Unies. Pourtant, le slogan brandi par la diplomate américaine sur ladite «
réforme » des Casques bleus n’est certes pas nouveau.
Déjà en 2000, le « Panel Brahimi » (du nom de son président, ancien envoyé spécial du secrétaire général en Afghanistan, Lakhdar Brahimi) est créé. Il s’agit d’un groupe d’étude sur les opérations de paix de l’Onu afin de faire des recommandations pour améliorer leur performance dans le domaine du maintien de la paix. Le groupe publie un rapport-clé technique et politique. On était dans la foulée des événements au Rwanda et la prise en otage des Casques bleus en Sierra Leone et le rapport parle d’intégration, de coordination, d’expertise et d’augmentation du budget, mais reconnaît surtout les limites politiques, administratives et financières de l’Onu pour gérer les crises et place les Etats membres devant leurs responsabilités, afin de contribuer et d’améliorer l’efficacité des opérations en préconisant un engagement clair et constant.
La mission noble que s’était fixée l’Onu pour la prévention et la consolidation de la paix n’a cessé de se heurter à des défaillances structurelles majeures, mais aussi à la division profonde du Conseil de sécurité qui décide des missions de maintien de la paix, puisque celles-ci en tant que telles ne figurent pas dans la charte des Nations-Unies. Elles sont le fruit d’une pratique qui remonte à 1948, avec l’envoi d’une mission d’observation en Palestine.
Déséquilibre flagrant
Les critiques sont acerbes, le déséquilibre entre les pays riches qui financent les opérations de maintien de la paix et ceux, plus pauvres, qui contribuent en effectifs, tels que le Bangladesh, le Pakistan, l’Inde ou l’Ethiopie, est falgrant. Les Casques bleus sont formés aujourd’hui de plus de 125 000 civils, militaires et policiers dans 16 opérations de maintien de la paix, Addis-Abeba par exemple y contribue avec 8 301 personnes contre 65 par les Etats-Unis, selon les chiffres de janvier 2017. Un pays comme la France conserve depuis 20 ans le poste de chef du Département des Opérations de Maintien de la Paix (DOMP). Un nouveau diplomate français, Jean-Pierre Lacroix, succédera début avril à son compatriote, Hervé Ladsous, en dépit des espoirs de mettre terme à cette tradition en place depuis le développement même du département sous Boutros Boutros-Ghlai dans les années 1990.
Contacté par l’Hebdo, le DOMP affirme que « depuis 2000, l’Onu a entrepris un exercice important pour analyser son expérience en matière de maintien de la paix et introduire une série de réformes dans le but de renforcer sa capacité de gérer et de soutenir les opérations sur le terrain », en allusion au rapport Brahimi.
Pourtant, les recommandations de Brahimi ne voient presque pas le jour, et il faudra attendre environ 15 ans pour voir Ban Ki-moon faire appel au Prix Nobel de la paix, José Ramos-Horta, pour prendre la tête d’un groupe indépendant d’experts pour revoir l’architecture de maintien de la paix. Connu par HIPPO (acronyme de High Level Independent Panel on Peace Operations), ce rapport estime qu’un changement est « impératif » et que « la crédibilité, la légitimité et le bien-fondé de l’Onu » sont en jeu. Le Hippo avance 116 recommandations articulées autour de quatre grands axes : la primauté du politique, le spectre complet des opérations de paix, le renforcement des partenariats et l’importance d’une approche centrée sur le terrain et les populations. « L’ancien secrétaire général a créé un groupe indépendant de haut niveau chargé d’examiner les opérations de paix des Nations-Unies et, plus récemment, le nouveau secrétaire général a annoncé un examen interne de l’architecture de paix et de sécurité de l’Onu, actuellement en cours », explique encore le DOMP en réponse aux questions de l’Hebdo, mais en refusant de se prononcer sur les réformes voulues par les Américains.
Deux ans après sa publication, la mise en oeuvre de ces recommandations traîne encore, et si certaines missions des Casques bleus sont un succès, d’autres paraissent plus comme un échec cuisant, notamment en Afrique qui abrite 9 des 16 missions de maintien de la paix de l’Onu. « Les résultats sont mitigés d’un point de vue de stabilité politique et de protection des civils, je pense surtout au Congo où les massacres se poursuivent et où on accuse régulièrement les Casques bleus d’inaction et de ne pas être assez efficaces », précise Florent Geel, responsable Afrique à la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH), à Paris.
Manque d’efficacité
« Le maintien de la paix des Nations-Unies s’efforce de se baser sur la performance », explique l’organisation de son côté à l’Hebdo. « Nous examinons et évaluons constamment les opérations et les adaptons en conséquence afin de rester pertinents et rentables. Au cours des deux dernières années, nous avons lancé une série d’audits internes, d’examens stratégiques, d’exercices d’ajustement des effectifs, d’examens pour la plupart des opérations de maintien de la paix. En même temps, nous fermerons certaines de nos opérations qui ont mené avec succès leurs mandats, comme notre mission en Côte d’Ivoire, qui a appuyé la détermination du peuple et du gouvernement à s’éloigner de la crise du passé. Notre mission de maintien de la paix au Liberia a également réduit ses effectifs et mettra fin à son mandat en mars de l’année prochaine. Une évaluation stratégique pour reconfigurer notre présence à Haïti est en cours, qui verra des changements, y compris le retrait possible de tous les Casques bleus militaires cette année. Tous ces changements, conjugués à nos efforts continus pour être plus efficaces, ont permis de réduire le coût de nos opérations de maintien de la paix à 7,1 milliards de dollars en 2016-2017, comparativement à 8,1 milliards de dollars il y a deux ans, alors que nous déployons environ 120 000 soldats en uniforme et civil dans des environnements difficiles à travers le monde », poursuit l’organisation dans sa réponse.
Mais il est évident qu’il y a un manque d’efficacité qui tient à la structure même et au fonctionnement des Casques bleus. « En gros, selon le sytème actuel, un pays volontaire envoie des soldats et chaque gouvernement donne à son contingent ses propres règles d’engagement. Du coup, ces règles peuvent différer d’un pays à l’autre et rendre par la suite le fait d’utiliser des soldats de quatre pays différents un véritable casse-tête opérationnel avant tout, car ils ne sont pas engagés selon les mêmes règles. Certains ont l’autorisation de sortir la nuit, certains en sont interdits, certains autres peuvent ouvrir le feu dans des conditions particulières, d’autres non. Et ceci touche évidemment à l’efficacité des Casques bleus », explique le spécialiste.
L’Onu ne peut agir efficacement sans le soutien actif de ses Etats membres, des grandes puissances surtout, avait cité le rapport Brahimi, et les calculs politiques priment mettant à mal le fonctionnement des Casques bleus. « On se retrouve face à une situation avec une double issue, soit on considère que l'organisation des Nations-Unies ne vaut rien et on la dissout, soit avec son incohérence et son inefficacité on considère qu’elle est malgré tout nécessaire et on demande dans une première étape aux grands pays occidentaux qui ne fournissent pas d’hommes avec les Chinois et les Russes, qui ont des armées modernes équipées et compétentes, d’intégrer les Casques bleus pour avoir des contingents efficaces et robustes qui peuvent réagir face à la multiplication des menaces. On peut aussi en guise de troisième solution laisser les Nations-Unies avoir leur propre armée leur permettant d’être autonomes face aux Etats », souligne Geel. Une question de moyens peut-être, mais c’est avant tout une question de volonté politique et d’intérêts des grandes puissances qui dominent le Conseil de sécurité et qui sont les principaux contributeurs des missions de la paix.
Lien court: