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Une politique africaine défectueuse

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 21 février 2017

L'Afrique monopolise le plus grand nombre de Casques bleus. Les missions onusiennes jouent un rôle fondamental pour maintenir la paix dans certains pays, mais les résultats sont peu probants. Etude de cas.

Une politique africaine défectueuse
Le Soudan du Sud, la plus nouvelle opération des Casques bleus en Afrique. (Photo : Reuters)

Le Soudan du Sud est le dernier pays africain à avoir accueilli les missions de maintien de la paix des Nations-Unies, augmentant ainsi le nombre de missions onusiennes sur le continent noir à 9 sur un total de 16 missions dans le monde : Congo, Soudan, Soudan du Sud, Darfour, Liberia, Sahara Occidental, Centrafrique, Côte d’Ivoire et Mali. Depuis la création de l’Organisation mondiale, l’Afrique a toujours monopolisé le plus grand nombre de Casques bleus. Selon le dernier rapport de l’Onu (sur la période de juillet 2015 à juin 2016), 85 % du nombre total de Casques bleus est déployé en Afrique, soit 86 511 militaires sur un total de 101 709. Leurs missions diffèrent d’un pays à un autre : protection des civils, facilitation de l’aide humanitaire, aide au processus politique et parfois d’autres missions selon les circonstances du pays concerné. Des objectifs dont la réalisation affronte de nombreux obstacles, surtout dans le contexte actuel violent.

Les défis de la nouvelle mission au Soudan du Sud sont considérables. Suite aux combats qui se sont déroulés entre le 8 et le 12 juillet 2016 à Juba, au Soudan du Sud, les violences et les violations des droits l’homme se poursuivent sans relâche, comme l’indique le rapport de la Mission des Nations-Unies dans le pays (MINUSS). Lors des affrontements entre les Dinkas (ethnie majoritaire de l’APLS, Armée Populaire de Libération du Soudan) et les Nuers (seconde ethnie de l’APLS), « les belligérants ont ignoré de manière flagrante le droit international, les droits de l’homme et le droit humanitaire (…) Des centaines de personnes, y compris des civils, ont été tuées et beaucoup d’autres blessées pendant les combats dans diverses parties de Juba », souligne le rapport. « De plus, la Minuss a recensé 217 victimes de viol, commis par les soldats de l’APLS, des policiers et des membres des services de sécurité nationale ». Près de 1,4 million de Sud-Soudanais ont fui vers d’autres pays et 1,8 million ont dû se déplacer dans leur propre pays. Sur le terrain, la Minuss a perdu tout crédit. Lors des affrontements entre les partisans du président Salva Kiir et ceux de son rival Riek Machar, des civils ont été battus et violés, et malgré leurs demandes répétées, ils se sont vu refuser l’aide des Casques bleus. Un rapport de l’Onu note un manque de préparation, une réponse inefficace et chaotique, des ordres contradictoires et des bataillons qui ont abandonné leur poste, laissant les civils seuls face à leurs agresseurs. Suite à cette défaillance, le commandant des Casques bleus a été limogé par Ban Ki-moon.

Une politique africaine défectueuse

Au Darfour aussi la situation est peu prometteuse. Déployée depuis 2007 et forte de quelque 15 000 policiers et militaires et 4 000 civils, la Minuad (la Mission des Nations-Unies au Darfour) est l’une des plus importantes missions de maintien de la paix dans le monde. Les tensions entre Khartoum et la mission ont émergé autour d’une demande d’enquête de l’Onu sur des accusations de viols attribuées à des militaires soudanais au Darfour en octobre dernier. Selon l’Onu, au moins 300 000 personnes sont décédées et 2,5 millions ont dû fuir les violences au Darfour depuis 2003. La mission onusienne rencontre de nombreuses difficultés sur le terrain, en raison des restrictions d’accès imposées par le gouvernement soudanais. Les combats entre les forces armées soudanaises et l’Armée de libération du Soudan ont repris en juin 2016, et au Darfour central, la situation sécuritaire s’est dégradée suite à des combats intenses en septembre. Depuis la reprise de ces combats, les agences humanitaires estiment qu’environ 5 500 personnes, principalement des femmes et des enfants, sont arrivées dans le camp de déplacés de Nertiti Nord. Le spécialiste des affaires africaines et des organisations de sécurité mondiales, Ayman Chabana, explique que « cette concentration de Casques bleus en Afrique résulte du grand nombre de conflits internes dans cette région. Cette situation exige non seulement l’intervention de forces sécuritaires, mais elle implique aussi une présence à long terme comme c’est le cas au Congo, au Soudan du Sud et au Mali ». Au vu des résultats des missions, on s’interroge sur l’efficacité même des interventions des Casques bleus en Afrique, censées instaurer la stabilité dans les pays concernés

Sierra Leone, l’unique succès

Le plus grand succès des missions onusiennes reste jusqu’à présent le cas de la Sierra Leone. L’Onu s’est engagée dans le pays pour garantir l’application des accords de Lomé, qui mettaient fin à la guerre civile dans le pays entre le Front Révolutionnaire Uni (FRU) et le gouvernement. Alors qu’une mission d’observation onusienne a dû quitter le pays après la reprise des combats, la Minusil (Mission des Nations-Unies en Sierra Leone) a pris la suite entre octobre 1999 et décembre 2005. Malgré des débuts difficiles, la Minusil a finalement porté ses fruits. Après avoir récupéré des soldats enlevés par le RUF en 2000, la mission est parvenue à réinstaurer un cessez-le-feu et à engager des négociations. Le gouvernement déclare la guerre terminée en 2002, après que la Minusil eut désarmé et démobilisé plus de 75 000 combattants. Cette année-là, l’Onu met également en place, à la demande du gouvernement, un tribunal spécial pour la Sierra Leone, chargé de juger les criminels de guerre. En 2005, le représentant de l’Onu en Sierra Leone annonce que la mission est une réussite, entraînant le retrait des Casques bleus.

Au vu des conditions difficiles et des conflits sanglants dans certains pays, l’application des principes de sécurité et de paix représente parfois un défi quasi impossible. C’est le cas notamment au Congo, au Rwanda et en République centrafricaine. Au Congo, terrain de la plus grosse opération onusienne de maintien de la paix depuis 1999 avec le déploiement de 22 016 uniformes, deux missions ont vu le jour : la Monuc (Mission des Nations-Unies en République démocratique du Congo) engagée en 2010, et la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo) en 2013. Seulement, ces deux missions n’ont toujours ni permis d’établir le cessez-le-feu prévu par l’accord de Lusaka, ni obtenu la démilitarisation des groupes armés. A l’inverse, la situation s’est détériorée avec plus d’un million de personnes déplacées qui vivent dans des forêts, des familles d’accueil ou des camps de réfugiés. Depuis qu’elle a éclaté, il y a une vingtaine d’années, la guerre en RDC a fait environ cinq millions de morts.

Un échec flagrant

En République centrafricaine, le succès n’est pas non plus au rendez-vous pour la mission de l’Onu, la Minurca (Mission des Nations-Unies en République Centrafricaine). Les Casques bleus sont intervenus pour aider à sécuriser la capitale Bangui et ses environs, après la signature des accords de Bangui. Ces accords devaient initialement mettre fin à une crise politique marquée par plusieurs mutineries militaires, mais les combats se sont poursuivis entre le gouvernement et la coalition de rebelles Séléka, a majorité musulmane. Malgré un accord de paix (l’Accord de Libreville), conclu en janvier 2013, les rebelles ont pris le contrôle de la capitale, Bangui, forçant le président en place à fuir. Un gouvernement de transition a alors été mis en place, mais les tensions ont petit à petit pris une tournure religieuse, entre le mouvement anti-Balaka (anti-machette), essentiellement chrétien, et les rebelles musulmans. Le Conseil de sécurité a alors lancé une nouvelle opération : la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca). Avec le déploiement de plus de 13 000 uniformes onusiens, l’Onu a annoncé, la semaine dernière, le renforcement de son dispositif de protection des civils à Bambari. Actuellement, la situation reste tendue, des attaques rebelles se poursuivent et les récentes élections législatives et présidentielle, retardées d’un an et demi, ont été contestées par l’opposition et des experts internationaux.

Enfin, au Rwanda, l’échec est encore une fois entier. Le génocide de 800 000 Rwandais a eu lieu alors même qu’une opération onusienne était en cours dans le pays. L’une des décisions de l’Onu, 15 jours après le début des massacres à la mi-avril 1994, consiste à réduire de 2 500 à 270 les effectifs de la Minuar (Mission des Nations-Unies pour l’Assistance au Rwanda). Le Conseil de sécurité se ravise un mois plus tard en adoptant une autre résolution et en déployant 5 000 militaires dans le pays. La mission est trop faiblement équipée pour faire face à cette crise politique. Pour Sobhi Qonsoua, spécialiste des affaires africaines à l’Institut des recherches et des études africaines de l’Université du Caire, « le processus de maintien de la paix n’est pas une mission facile à réaliser, surtout sur le terrain. Il faut reconnaître que ces opérations restent le principal outil de gestion des conflits dont dispose la communauté internationale. Mais il ne faut pas nier qu’elles ont aidé à apaiser quelques conflits dans des pays déchirés par la guerre ». De plus, « sans ces opérations, les pertes humaines seraient plus importantes », conclut-il.

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