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Les quatre pays ciblés

Maha Al-Cherbini, Lundi, 20 février 2017

Le Kosovo, le Liberia, Haïti et Chypre sont désormais ciblés par un éventuel retrait des Casques bleus. Justification : il n’existe plus de menace majeure de conflit dans ces pays. Un désengagement onusien est toutefois risqué.

Les quatre pays ciblés
(Photo : AFP)

Haïti, une présence également humanitaire

Considéré comme le pays le plus pauvre des Caraïbes, ce pays est souvent en proie à des catastrophes naturelles et à des remous politiques. Le drame d'Haïti a commencé le 29 février 2004 après l’éclatement de la rébellion contre le président Jean-Bertrand Aristide, qui s’est terminée par un coup d’Etat plongeant le pays dans le chaos. Pour mettre fin à cette anarchie, le Conseil de sécurité a créé la Mission des Nations-Unies pour la stabilisation d'Haïti (Minustah) en avril 2004. Une force composée de 9 000 personnels était déployée sur l’île « afin d’y instaurer la paix, restaurer un climat sûr, appuyer le processus politique et promouvoir les droits de l’homme ». Or, les crises politiques ne sont pas l’unique défi qui menace l’avenir de cette pauvre île, dont la situation géographique la met en butte à de graves aléas climatiques. Au fil des 13 dernières années, la Minustah a tant contribué à secourir des blessés, sauver des vies et reconstruire le pays dévasté par les séismes et les inondations. Alors qu’un plan de retrait graduel était prévu en 2010, il a été suspendu par le Conseil de sécurité après le séisme qui a frappé l’île en 2010, faisant plus de 300 000 morts dont 150 Casques et 1 000 000 de sans-abri. En octobre 2016, l’ouragan Matthew, qui a fait plus de 1 000 morts, a poussé le Conseil de sécurité à prolonger de six mois le mandat des forces onusiennes et à augmenter leurs effectifs à 9 950 hommes jusqu’au 15 avril 2017. Au terme de cette date, l’avenir de cette mission sera décidé par le Conseil de sécurité.

Dans ses récents rapports, l’Organisation mondiale affirme que de nombreux signes indiquent que la présence des Casques bleus n’est plus nécessaire, surtout après le succès de la présidentielle du 29 janvier dernier, mettant fin à une crise politique qui a paralysé le pays pendant deux ans. Le 7 février 2017, le nouveau président, Jovenel Moïse, a prêté serment, marquant le retour à la stabilité et à l’ordre constitutionnel. Pour l’Onu, des élections réussies, une passation du pouvoir dans le calme et une réduction des activités des gangs dans l’île signifient que le pays n’a plus besoin de la Minustah. Dans cette optique, Hervé Ladsous, secrétaire adjoint des Nations-Unies aux opérations de maintien de la paix, s’est rendu à l'Haïti la semaine dernière pour évaluer la situation sécuritaire afin de préluder à un retrait des Casques bleus. « La Minustah devrait s’effacer dans un avenir proche car la situation sécuritaire a beaucoup avancé », a affirmé Ladsous. Selon Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, ce retrait aura pourtant un impact négatif. « Le gouvernement haïtien — faible — ne pourra jamais affronter seul les remous politiques et les crises humanitaires dues aux aléas naturels. Haïti possède tous les ingrédients qui en font un pays déstabilisé. Il est à la fois pauvre et faible et sa position géographique le met souvent en butte à des catastrophes naturelles. Celles-ci pourraient engendrer des crises politiques car l’impuissance du gouvernement à régler ces crises va alimenter l’opposition, attiser des contestations populaires, de quoi fragiliser le pouvoir. Le retrait des forces onusiennes serait très risqué », prévoit-il.

Le Liberia, une fragilité persistante

Ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest figure parmi les dix pays les moins développés au monde. Pendant 14 ans, le Liberia a sombré dans une guerre civile sans merci, qui a duré de 1989 à 2003, entre les forces gouvernementales et les combattants du groupe d’opposition, National Patriotic Front, dirigé par un ancien membre du gouvernement, Charles Taylor. Bilan : 250 000 morts et plus de 850 000 réfugiés dans des pays voisins. Il est vrai que cette guerre a pris fin, pourtant, le pays reste sous la surveillance des Casques bleus (Minul) déployés en 2003 pour appuyer la mise en œuvre du cessez-le-feu et du processus de paix. Les effectifs de cette mission onusienne ont chuté de 15 000 personnels en 2003 à 1 800 Casques bleus en 2016. Et 13 ans après la fin de la guerre civile, un récent rapport publié par l’Onu estime que la paix dans ce pays reste encore trop « fragile ».

Un constat qui montre l’utilité de la Mission de l’Onu dans le pays. C’est pourquoi le Conseil de sécurité a décidé de proroger pour la dernière fois le mandat de la Minul jusqu’au 30 avril 2018, alors que l’Onu statuera sur le départ définitif des Casques bleus vers la fin de 2018. Selon les experts, la présidentielle du 10 octobre prochain sera un « premier test » pour la démocratie dans ce pays. Nombre d’observateurs craignent pourtant que ce scrutin n’engendre une vague de contestations ou de violences, d’où l’importance de l’existence des Casques bleus. « Le cas du Liberia est proche de celui d'Haïti. C’est un pays pauvre en proie à de graves guerres civiles. Il a été le pays le plus touché par l’épidémie d’Ebola qui a fait plus de 10 000 morts dans le monde très majoritairement au Liberia. Le risque de guerres civiles et d’épidémies nécessite une présence onusienne pour des raisons humanitaires comme pour des raisons politiques. Même si la situation sécuritaire s’est améliorée pour le moment, la paix reste toujours précaire dans le pays », explique le professeur de sciences politiques.

Le Kosovo, le cas le plus critique

Il s’agit du cas le plus critique et le plus inquiétant. Selon les experts, le scénario d’une explosion de la situation au Kosovo en cas de retrait des Casques bleus s’impose avec force. Vendredi dernier, cette ancienne république des Balkans a célébré le 9e anniversaire de son indépendance de la Serbie, en pleine tension avec Belgrade qui n’a jamais reconnu l’indépendance de son ancienne province. Depuis l’ouverture en 2011 d’un dialogue pour normaliser leurs relations, les tensions n’ont jamais été aussi vives entre Pristina et Belgrade comme elles l’étaient cette semaine. En cause notamment : un train de propagande marqué du slogan « le Kosovo est serbe » — traduit en 21 langues — a été envoyé par Belgrade en direction du Kosovo. Même si ce train avait été arrêté avant la frontière sur décision du premier ministre serbe, Aleksandar Vucic, pour ne pas violer les accords de paix conclus avec l’Union européenne, le geste a été considéré par Pristina comme une grave provocation, de quoi attiser les tensions bilatérales.

L’arrestation en France de l’ancien rebelle et ex-premier ministre kosovar, Ramush Haradinaj, a aussi empoisonné l’atmosphère. La justice serbe veut juger pour crimes de guerre ce guérillero considéré comme un héros par nombre de Kosovars. De peur que la situation ne dégénère, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a appelé les deux parties à « la retenue et à participer à un dialogue constructif sous l’égide de l’Union européenne ». En fait, les souvenirs sombres de la féroce guerre (1998-1999) qui a opposé forces serbes et Armée de libération du Kosovo — mouvement séparatiste qui réclame l’indépendance de la province majoritairement peuplée d’Albanais musulmans — restent toujours vifs dans les mémoires. Un bilan de 13 517 morts, dont plus de 10 000 Kosovars, a porté le Conseil de sécurité à établir une présence internationale au Kosovo (Minuk) le 10 juin 1999 — composée de 4 718 hommes — afin d’aider la population kosovare à jouir d’une autonomie substantielle, de faciliter un processus politique qui vise à déterminer le statut futur du pays et défendre les droits de l’homme. Or, après l’indépendance du Kosovo en 2008, le mandat de la Minuk a été modifié de façon à ce qu’il soit axé sur la promotion de la sécurité, de la stabilité et du respect des droits de l’homme. Malgré les efforts de la mission onusienne, le spectre d’une nouvelle confrontation armée se profile toujours à l’horizon.

Dix-huit ans après la fin de la guerre, le Kosovo vit sous le signe de la peur à cause d’un Belgrade qui s’entête à rejeter son indépendance. « Le cas du Kosovo est inquiétant pour deux raisons. D’abord, la nature même du conflit car les conflits ethniques sont généralement les plus féroces et les plus meurtriers. Puis, car cette crise est un épisode dans le bras de fer qui oppose la Russie à l’Occident. Les Occidentaux ont reconnu l’indépendance du Kosovo au grand dam de Moscou, allié farouche de la Serbie. Ce qui m’inquiète le plus est que Belgrade, le pays le plus fort de l’ex-Yougoslavie du point de vue militaire, pourrait en cas de conflit mener une guerre sans merci contre le Kosovo avec l’appui de la Russie », explique Dr Hicham Ahmed.

Chypre, un retrait peu problématique

C’est le pays où il y a le moins de risque pour le moment. Un calme précaire plane depuis l’année dernière sur cette île tiraillée depuis 42 ans entre ses habitants majoritairement chypriotes grecs avec une minorité de Chypriotes turcs. En 1974, dix ans après de violents affrontements opposant communautés grecque et turque, l’armée turque a occupé le nord de l’île pour protéger la minorité chypriote turque, autoproclamant une République Turque de Chypre du Nord (RTCN) reconnue par la Turquie seulement. En effet, de graves violences opposaient Chypriotes grecs et Turcs depuis 1964, de quoi donner naissance à la Force des Nations-Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) — créée en 1964 — afin de prévenir toute reprise des combats, contribuer au maintien et au rétablissement de l’ordre public, ainsi qu’au retour à la situation normale. Mais, le drame de l’île a empiré après l’intervention turque en 1974. D’où la décision du Conseil de sécurité d’élargir le mandat de sa mission et d’établir une zone tampon démilitarisée contrôlée par l’Unficyp et composée d’environ 1 000 hommes. Après 42 ans de tiraillement, cette année 2017 était censée être une « prometteuse » pour le règlement de la crise, les leaders des deux parties affirmant leur détermination à réunifier leur île. Pourtant, jusqu’à présent, deux cycles de négociations sous l’égide de l’Onu ont achoppé en janvier dernier à cause de l’épineuse question de la présence militaire turque au nord de Chypre. Cette semaine aussi, des pourparlers en vue de la réunification de l’île ont été brusquement interrompus mais doivent se poursuivre le 23 février. « Les deux leaders (chypriote grec et chypriote turc) sont engagés dans le processus et personne ne voit ce processus comme terminé ou même suspendu », a déclaré l’émissaire de l’Onu pour Chypre, Espen Barth. Pour nombre d’observateurs, ce nouvel élan a été rendu possible par l’implication personnelle de Mustafa Akinci, dirigeant de la RTCN, et le dirigeant chypriote grec, Nicos Anastasiades. Malgré cet achoppement, le cas de Chypre semble « le moins risqué » au cas du retrait des Casques bleus. Une réduction des troupes ne va pas avoir un grave impact sur l’île, car les deux protagonistes du conflit semblent déterminés à trouver un accord politique.

Les opérations de maintien de la paix à travers le monde

Opérations depuis 1948 : 71

Opérations en cours : 16

Total de personnel affecté aux 16 opérations :

117 024, dont
86 248 soldats

12 786 policiers

Crédits approuvés pour l’exercice allant du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 : Environ 7,87 milliards de dollars.

Contribution par pays en soldats et policiers :

L’Ethiopie vient en tête avec 8 301 personnes suivie de l’Inde avec 7 762.

Le Pakistan occupe la 3e place (7 136), le Bangladesh 4e (6 895) et le Rwanda arrive en 5e position (6 126), sur un total de 126 pays.

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