Les activités diplomatiques et sécuritaires des pays voisins de la Libye laissent prévoir un amendement de l’accord de Skhirat, signé fin 2015 sans réussir à mettre fin à la polarisation du pays. Les indices sont multiples, dont notamment le rapprochement entre l’Egypte et l’Algérie relativement sur le dossier libyen, ainsi que le changement de l’attitude internationale vis-à-vis du gouvernement d’union nationale qui n’a réussi ni à s’assurer une base populaire ni à rétablir la sécurité. Notons également la tendance récente, régionale et internationale, à inclure dans le processus politique le général Khalifa Haftar, qui a longtemps fait l’objet d’un veto occidental, et finalement, l’implication d’organisations régionales comme la Ligue arabe et l’Union africaine dans le règlement politique.
Une source libyenne ayant pris part aux pourparlers politico-militaires que Le Caire a parrainés ces derniers mois affirme que le rapprochement entre Le Caire et Alger au sujet de la Libye représente l’évolution la plus importante au niveau régional. Selon lui, chacun de ces deux pays s’occupera de dialoguer avec les parties qui lui sont proches. Ainsi, l’Egypte concertera au niveau régional avec les Emirats et d’autres pays arabes qui partagent sa vision, et au niveau local, avec le général Haftar et le président du parlement, Agila Salah. De son côté, l’Algérie s’occupera du dialogue avec le Qatar, l’Ethiopie et le Soudan, ainsi qu’avec la milice Fajr Libya à l’intérieur. D’après la même source, l’issue recherchée prévoit l’intégration du général Haftar dans le processus politique et sa reconnaissance à travers le pays en tant que commandant de l’armée placé sous une autorité civile.
Plusieurs propositions
Les ministres des Affaires étrangères égyptien, libyen et algérien, lors d'une réunion sur la Libye, en janvier au Caire.
Les multiples initiatives régionales sont une indication de plus de l’évolution des efforts visant à mettre un terme à la crise libyenne. Le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, a proposé une initiative de sortie de crise dont la teneur n’a pas encore été révélée, alors que l’Egypte a de son côté proposé la déclaration du Caire datée du 13 décembre 2016 et qui prévoit un ensemble de principes et de mesures qui ont été acceptés par l’Algérie et les autres pays voisins. Il s’agit notamment de préserver l’intégrité territoriale de la Libye et ses institutions étatiques, créer une armée unifiée, refuser toute forme d’exclusion ou marginalisation et condamner toute tentative étrangère d’imposer une solution aux Libyens. Quant aux mesures à prendre, il a été convenu de recomposer le Comité de dialogue pour augmenter sa représentativité et reconsidérer la formation du Conseil de l’Etat pour éventuellement y inclure les membres de la Conférence nationale générale des tribus élus en juillet 2012. Il est question aussi de restructurer le Conseil présidentiel et d’en modifier les modalités de la prise de décision, ainsi que d’amender l’accord politique, notamment en ce qui concerne les prérogatives de commandant de l’armée de telle sorte à préserver la neutralité de l’institution militaire.
Selon une source militaire libyenne au Caire, « l’article 8 de l’accord qui concerne le statut et la légitimité du général Haftar est presque devenu lettre morte. L’une des formules proposées pour sa modification serait de prévoir la création d’un Conseil militaire présidé par Haftar, lequel serait chargé de reconstruire l’armée et de mettre fin à la confusion militaire dans le pays ». En plus de leurs rencontres, les pays du voisinage ont également commencé à construire des ponts de dialogue avec des acteurs libyens locaux. D’après un spécialiste du dossier, l’Egypte aurait entamé un dialogue avec Misrata, qui fournit la grande partie des milices de Fajr Libya, longtemps bannies par Le Caire. « Les pays limitrophes de la Libye s’inquiètent pour leur sécurité, surtout avec la perspective d’un retour de djihadistes. Ils se sont empressés de trouver un règlement à la crise dans ce pays », constate le général Mohamad Kachkouch, expert à l’Académie militaire Nasser.
Repositionnement européen
Au niveau européen, un changement de positionnement a accompagné ces évolutions régionales. Ainsi, Londres a commencé à envisager l’amendement de l’accord de Skhirat, qu’il excluait auparavant. L’ambassadeur britannique en Libye a récemment affirmé que cet accord n’était pas un texte sacré et qu’il pourrait être modifié si les Libyens le souhaitaient (lire page 5). Dans le même contexte, le soutien absolu dont bénéficiaient Fayez Al-Sarraj et son Conseil présidentiel a commencé à donner lieu à d’autres options. Dans une déclaration récente, la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a évoqué la possibilité d’accepter tout autre gouvernement qui recueille le consensus des Libyens. Mais tout en reconnaissant que les activités diplomatiques constituaient un indice positif, des observateurs libyens contactés par Al-Ahram Hebdo ont relevé des divergences dans les positions de certains pays occidentaux. Ce qui s’est notamment manifesté lorsque les Etats-Unis ont refusé la nomination de l’ex-premier ministre palestinien, Salam Fayyad, pour succéder à l’émissaire onusien pour la Libye, Martin Kobler. « Bien que Fayyad soit une personnalité acceptée par les pays arabes et qui, plus est, détenteur de la nationalité américaine, la représentante des Etats-Unis à l’Onu s’est engagée dans un discours hors sujet où elle a évoqué les relations avec Israël. Ce qui signifie que la politique libyenne de la nouvelle Administration américaine n’est pas encore claire », explique le chercheur libyen Al-Hussein Al-Misri. D’après le journal italien La Stampa, la politique libyenne du nouveau président américain, Donald Trump, se limiterait à la guerre antiterroriste et la lutte contre l’immigration clandestine. C’est d’ailleurs ce que révèlent les propos de l’émissaire américain en Libye, Jonathan Winer, axés sur la lutte contre le terrorisme.
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