La tenue de la 48e édition du Salon du livre du Caire (CIBF) relève bel et bien du miracle. Peu importe si on ne cesse de rabâcher pendant des années le manque d’organisation qui le domine, ou de critiquer l’esprit vieillot qui le caractérise malgré le thème affiché de cette année «
la jeunesse et la culture de l’avenir ». L’important est qu’on a réussi à organiser le 48e Salon du livre du Caire, et à le sauver en dépit de toutes les menaces. Parce que, depuis la hausse des cours de change du dollar et de l’augmentation des prix des lieux d’exposition, l’on s’attendait au retrait des maisons d’édition arabes qui risquent de faire l’aller-retour en vain, sans pouvoir vendre leurs produits, et par conséquent, transformer le Salon en un événement local qui commercialise uniquement les livres des éditeurs égyptiens. Sans oublier une autre menace, celle de compter uniquement sur les maisons d’édition égyptiennes qui, dans le cadre de la dévaluation de la monnaie égyptienne, sont obligées de doubler le prix du livre à un client qui souffre d’une crise économique et pour qui le produit intellectuel est un produit de luxe.
Dans ses déclarations à la conférence de presse, Haïssam Al-Hagg Ali, président de l’Organisme général du livre qui dirige le comité d’organisation du Salon, a insisté sur le fait que : « la dévaluation de la monnaie égyptienne ne portera pas atteinte au prix du livre ». Cela concerne probablement les livres publiés par l’Organisme du livre qui dispose jusque-là d’un important stock des outils de l’impression. Quant aux éditeurs privés et petites maisons, elles risquent largement de perdre leur clientèle, et tentent de miser sur les dédicaces et les activités autour du livre, comme la maison Dawwen, connue par ses dédicaces-phénomènes avec des jeunes écrivains et poètes du dialectal égyptien, à grande popularité qui attirent les jeunes visiteurs (la tranche d’âge entre 18 et 30 ans constituent 29 % des visiteurs du Salon). Cette tendance avait réussi depuis trois ans, lorsque le public du rappeur Zap Tharwat, auteur d’un livre Habibati (ma bien-aimée) a attiré vers le pavillon de Dawwen, quelque 1 500 fans, et elle continue à séduire les éditeurs.
Le pari de la jeunesse
Pourtant, miser sur la jeunesse à la 48e édition du Salon, comme l’indique son thème principal, semble, plus ou moins, un simple élément de décoration. Puisque l’organisation du Salon du livre du Caire a formé cette année un Haut comité pour la programmation des colloques intellectuels, des rencontres avec les auteurs et des activités artistiques — dans lesquels participent les différentes unités du ministère de la Culture — mais les programmes restent une copie fade des éditions précédentes du Salon. Chérif Bakr, la quarantaine, est le seul « jeune » parmi ce comité. Il avoue qu’il a trouvé beaucoup de résistance en essayant de convaincre l’administration d’adopter des idées nouvelles ou de donner un nouveau « look » à la structure très figée et très formelle des rencontres. Cela se manifeste dans le choix de la personnalité du salon, qui n’est autre que la grande figure pionnière de la poésie arabe, Salah Abdel-Sabour (1931-1981), mais surtout dans les détails des rencontres et dans le refus d’une organisation plus moderne qui se sert des moyens de l’Instagram, de Twitter et de toutes les facilités i-publicité. « Avec le même budget, on aurait pu intégrer des formes nouvelles, avance Chérif Bakr. J’ai proposé des astuces dans l’organisation des pavillons, comme la numérotation de chaque stand à l’intérieur des salles, pour remédier aux problèmes annuels du manque de plans, de pancartes et de logique dans la disposition des stands. J’ai aussi voulu reproduire une forme de rencontre plus attirante, comme le Blue Sofa du Salon de Frankfurt, qui consiste en une rencontre avec une figure populaire dans une ambiance intime et chaleureuse, ou de discuter la forme de l’audio-livre, mais cela a été très difficile ». Pourtant, Bakr qui est également le secrétaire général de l’Union des éditeurs égyptiens, affirme que la conception du programme « Rencontre des jeunes » a veillé à inventorier les problèmes qui préoccupent la jeunesse dans une sorte de débats et de tables rondes (voir encadré).
Le Maroc : invité d’honneur
Et le livre arabe ? Celui qui formait, dans le temps, entre autres, la réputation et le prestige du Salon du Caire ? Car personne ne peut oublier les centaines de maisons arabes qui peuplaient les pavillons et qui étaient indispensables dans la tournée du visiteur affamé de savoir dans les salles « Allemagne B » ou « Italie » et où on trouvait les dernières oeuvres des penseurs et des écrivains arabes publiées chez les éditeurs syriens, libanais ou marocains, comme Dar Al-Adab, Al-Saqi, Dar Ward, ou celui du Centre culturel arabe. De nombreux éditeurs se sont excusés cette année, mais certains d’entre eux ont essayé de contourner le problème et ont envoyé leurs ouvrages à des éditeurs et des distributeurs égyptiens. Par ailleurs, l’idée de l’invité d’honneur, qui est le Maroc cette année, pourrait remédier en partie à ce manque, par la présence des éditeurs marocains. De même que l’organisation du Salon du livre invite quelque 60 figures intellectuelles pour animer les rencontres avec le public comme l’écrivain Mohamed Barada, Saïd Al-Yaktine, ou Adnan Yassine auteur de Haute Maroc qui figure sur la longue liste du prix arabe de la fiction « Le Booker arabe ». De plus, le public peut assister à la série de rencontres intitulées « Les dualités Maroc-Egypte », avec comme exemple le Marocain Mohamed Beniss et l’Egyptien Saïd Al-Kafrawi. Les francophones peuvent de même avoir accès au colloque sur la littérature marocaine d’expression française, avec les intervenants Moha Souag, Youssef Wahboun, Rachid Khaliss, et Mounir Serhani (le 31 janvier, à 15h à la salle consacrée à l’invité d’honneur). Le Salon profitera de la présence d’autres figures arabes de renom qui tiennent à assister à cette rencontre annuelle avec leurs homologues égyptiens pour animer des rencontres, comme le Palestinien Rebei Madhoune, lauréat du Prix de la fiction arabe 2016. Aujourd’hui, personne ne peut prévoir le succès ou l’échec de la 48e édition du Salon du livre du Caire, insiste Chérif Bakr. Dans ces conditions économiques critiques, il reste optimiste parce que « la peur des éditeurs égyptiens est un peu trop exagérée, affirme-t-il. Comme éditeur de la maison Al-Arabi, nous ne comptons pas sur le mouvement d’achat des jeunes visiteurs, mais plutôt sur celui des universités et centres académiques ou centres de recherche qui viennent au Salon conclure des contrats importants ». Aujourd’hui, à l’ouverture de la 48e édition du Salon du livre qui se tiendra vendredi au grand public, un brin d’optimisme est un must, du moins parce qu’on a réussi à tenir le plus grand événement culturel de l’année en dépit de toutes les embûches.
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