Obama a choisi l’Egypte en 2009 pour lancer les grandes lignes de sa politique étrangère avec le monde arabe.
(Photo: AFP)
L’Egypte n’est-elle plus un acteur dans le processus de paix ? A-t-elle perdu son intérêt régional pour les Etats-Unis ? Voilà les réactions suscitées par l’absence du Caire dans l’agenda de la tournée américaine au Proche-Orient. L’escale en Egypte a toujours été une étape inévitable pour les présidents américains qui prenaient la direction de l’Orient. Quand il s’agissait d’ouvrir le dossier du conflit israélo-palestinien, Charm Al-Cheikh était la ville naturellement choisie pour les négociations.
Obama, lui-même nouvellement élu, a choisi l’Egypte en 2009 pour lancer les grandes lignes de sa nouvelle politique étrangère avec le monde arabe.
Le Caire et Amman, autrefois alliés stratégiques de Washington pour la sécurité de la région, ne jouissent aujourd’hui plus du même intérêt. Le choix d’ignorer Morsi et de rendre visite au roi Abdallah II de Jordanie comporte certes un message sous-entendu du président américain.
Pour Saïd Okacha, politologue au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, il semble clair que le processus de paix israélo-palestinien n’était pas à l’ordre du jour de cette visite. « Obama est parti de la Maison Blanche sans avoir en main la moindre vision d’un règlement, c’est pourquoi il n’est pas passé par Le Caire. Il n’avait rien de concret qui nécessiterait une médiation égyptienne. Même durant sa visite pour la Jordanie, la cause palestinienne a été en marge d’autres dossiers ». Outre le soutien financier de 200 millions de dollars que Washington a accordé à la Jordanie pour faire face aux afflux de réfugiés syriens, Obama venait aussi pour affirmer son soutien au roi Abdallah II, dernier allié laïque de la région. Les Frères musulmans de Jordanie représentent la principale force d’opposition au royaume hachémite. Le président américain est venu par ailleurs féliciter son homologue des « mesures prises par le pouvoir jordanien pour ses réformes politiques nécessaires ».
Un signe clair
Cependant, pour beaucoup d’analystes, la situation est interprétée différemment. Selon eux, cela est un signe clair que l’Egypte ne conserve plus sa place d’antan comme acteur principal dans le conflit arabo-israélien. La victoire de Morsi a été interprétée par les Palestiniens comme une victoire pour la cause palestinienne, cause utilisée par les Frères pour asseoir leur popularité. Aujourd’hui, selon le politologue Yousri Al-Ezabawi, le rôle régional de l’Egypte s’est beaucoup affaibli de façon générale.
Le régime égyptien a réduit le processus de paix au soutien absolu qu’il accorde au Hamas. « Morsi s’entretient toujours avec le Hamas comme un Etat indépendant de l’Autorité palestinienne. Ce qui a provoqué l’indignation d’Abou- Mazen », dit-il. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, si le dossier du règlement est à nouveau ouvert, l’Egypte n’aura plus d’influence sur l’Autorité palestinienne et ne pourra donc plus assurer son rôle traditionnel de médiateur, tant au sein de l’Autorité palestinienne qu’avec l’Etat hébreu ».
Quant à la sécurité d’Israël, principal dossier de cette visite, Morsi a donné de nombreuses assurances à son homologue américain, selon Al-Ezabawi. Pour le politologue, la preuve réside dans le grand nombre de communiqués écrits en anglais, ainsi que la délégation des émissaires égyptiens à Washington, avec en tête Essam Al-Haddad, conseiller politique de Morsi. Ces derniers avaient pour consigne d’embellir le régime des Frères musulmans en les présentant comme des islamistes modérés. Ils devaient également assurer à leurs partenaires qu’ils s’engageaient à défendre les intérêts américains en Egypte et à respecter les accords internationaux, y compris Camp David. Le candidat Morsi avait pourtant promis de soumettre le maintien de ces accords à un référendum populaire.
Obama, cette semaine à Tel- Aviv, s’est contenté de mentionner l’Egypte comme « acteur principal de la sécurité d’Israël et de lutte contre son isolement dans la région ». Selon le politologue, la raison de l’absence d’Obama en Egypte est simple : « Pourquoi se rendre en Egypte alors que le président américain peut atteindre ses objectifs par un simple appel téléphonique ? ».
Lors des jours qui ont précédé la trêve signée en novembre dernier entre Israël et le Hamas, le président égyptien recevait nombre d’appels téléphoniques du président américain. Celui-ci l’exhortait à faire pression sur le Hamas pour parvenir à un cessez-le-feu, ce que Morsi a réussi à obtenir. Depuis, le président égyptien est devenu pour Washington l’homme-clé de la trêve entre les acteurs israélo-palestiniens.
Ils ont également eu la preuve de la volonté du régime égyptien de travailler en coopération avec la Maison Blanche. La dernière visite de John Kerry, ministre américain des Affaires étrangères, essayant de persuader l’opposition de prendre part aux législatives égyptiennes organisées par la confrérie, démontre également le partenariat établi entre les deux acteurs politiques.
Dérapages du régime
Echapper aux critiques américaines qui ne cessent de prendre de l’ampleur face à la passivité d’Obama devant les dérapages du régime égyptien, voilà comment Okacha résume la situation. Selon lui, le choix d’écarter l’Egypte de son itinéraire est un moyen pour le président américain de prêter attention à la situation sécuritaire régionale tout en ne négligeant pas l’impasse politique que vit l’Egypte.
C’est peut-être également pour cette raison que la visite de Morsi à Washington a été reportée à plusieurs reprises. Depuis son élection, le président Mohamad Morsi a déclaré avoir reporté sa visite aux Etats-Unis de septembre à décembre, puis à mars. Aujourd’hui, plus aucun mot sur cette visite.
Dans les médias américains, une interrogation circule : Fautil continuer à soutenir les Frères musulmans qui parachèvent leur emprise sur le pays ? Dans les couloirs du Congrès américain, les aides américaines pour le régime islamique égyptien suscitent de nombreuses interrogations. Un projet de loi est aujourd’hui en débat concernant de nouvelles conditions pour verser les aides directement aux « ONG laïques ». Ce projet a également pour but d’annuler toutes les restrictions juridiques pour le travail et le financement des organisations de la société civile, égyptiennes et étrangères, en particulier celles relatives aux droits de l’homme et de la démocratie. Les deux plus importantes organisations américaines, l’International Republican Institute et le Freedom House, sont particulièrement visées.
Ainsi, le débat est relancé, pas tant sur le manque d’intérêt américain pour l’Egypte que sur l’affaiblissement du rôle politique du Caire dans la région.
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