Les experts croient que les mesures stratégiques ont permis de resserrer l'étau autour des groupes terroristes.
L'église d'Al-Botrossiya explosée, des commandants de l’armée et des juges ciblés, des policiers assassinés au coeur de la capitale. Autant de faits alarmants qui ont marqué la fin de l’année 2016, poussant certains spécialistes à prévoir une éventuelle montée du terrorisme, alors que d’autres pensent que le terrorisme représente toujours un défi de taille, mais se disent optimistes quant à la réussite des efforts de la lutte antiterroriste, appelant les forces de sécurité à contrecarrer la menace terroriste par une stratégie sécuritaire plus vigilante et évoluée.
Pour ces derniers, la situation dans la péninsule du Sinaï semble être plus rassurante, et ceci, en dépit de la poursuite des affrontements quasi quotidiens entre l’armée et les membres de La Province du Sinaï, qui avait prêté allégeance à Daech en 2014. Depuis la destitution du président islamiste Mohamad Morsi en 2013, les attaques terroristes contre l’armée et la police se sont multipliées, surtout au Nord-Sinaï, faisant des centaines de victimes. L’armée mène depuis cette date une vaste campagne militaire visant les fiefs terroristes. La destruction d’un grand nombre de tunnels reliant Rafah à la bande de Gaza, ainsi qu’une installation d’une zone tampon sur les frontières de Rafah sont d’autres mesures prises qui ont pu neutraliser la menace terroriste au Nord-Sinaï où les groupes terroristes essuient de lourdes pertes. Des centaines de terroristes ont été liquidés, des dizaines de dépôts d’armes ont été détruits, des coups qui ont affecté leurs capacités organisationnelles. Et dans un pas jugé positif, les forces armées ont relogé, il y a deux semaines, les habitants de la ville de Cheikh Zoweid au Nord-Sinaï, qui ont été évacués depuis des mois pour des raisons de sécurité. Ce relogement témoigne une amélioration de la situation sécuritaire au Nord-Sinaï, et, selon le porte-parole de l’armée, le général Mohamad Samir, cette opération est venue « couronner la réussite » des efforts antiterroristes dans le rétablissement de l’ordre et de la loi dans le Nord-Sinaï. Cette zone a été considérée comme un foyer du terrorisme depuis 2011.
Des indices positifs et d’autres inquiétants
L’expert sécuritaire Khaled Okacha estime que toutes les données laissent prévoir un recul des opérations terroristes en 2017. Il précise que les terroristes dans le Sinaï se trouvent plus que jamais acculés grâce aux mesures prises et aux opérations militaires réussies. Outre la zone tampon, il cite la sécurisation des frontières ouest avec la Libye qui s’étendent sur 1 200 km. Des mesures stratégiques qui ont permis, selon lui, de resserrer l’étau autour des groupes terroristes au Nord-Sinaï et surtout d’assécher leurs ressources en empêchant l’infiltration des armes et des éléments terroristes à travers les frontières. « Les groupes terroristes dans le Sinaï font face à de véritables difficultés financières et logistiques. Le changement radical dans la stratégie militaire de la lutte contre le terrorisme a permis de réaliser de grandes avancées. Par ailleurs, la défaite de Daech en Syrie et en Iraq est un autre facteur qui a contribué en 2016 à le fragiliser. Sans oublier que hors Sinaï, la police a porté des coups durs aux cellules terroristes et a pu avorter des dizaines d’attaques », salue-t-il. Okacha assure que même si la guerre s’annonce longue et compliquée vu l’assaut opérationnel qu’ont réalisé ces groupes et le soutien financier qu’ils recevaient, les efforts de la lutte antiterroriste sont susceptibles de vaincre le terrorisme qui perd du terrain. Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes, parle, lui aussi, d’une certaine réussite, tout en rappelant que la situation est encore fluide et nécessite d’être très vigilant. Des craintes qui relèvent, selon lui, de la nature et des cibles des opérations terroristes qui ont marqué l’année 2016. Il note que l’une des caractéristiques de l’année 2016 a été surtout la recrudescence des attentats hors Sinaï, après un recul relatif par rapport à l’année 2015. Les dernières en date étant l’attaque contre l'église et contre un barrage de police dans le quartier de Haram, au mois de décembre. Ces opérations révèlent, selon les spécialistes, une première coopération alarmante entre Daech et les groupuscules terroristes. La majorité des attaques commises hors de la péninsule du Sinaï ont été revendiquées par des groupes inconnus comme celui de Hasm et Liwa Al-Sawra, Agnad Masr, Kataëb Hélouan et Al-Eqab Al-Sawri qui opèrent sur la scène depuis la chute de Mohamad Morsi en juillet 2013.
La menace des « loups solitaires »
Ban met surtout en garde contre ce qu’il appelle la stratégie « des loups solitaires ». « Même si le terrorisme a beaucoup régressé, les opérations terroristes cherchent désormais à attirer l’attention et à faire signe de résistance malgré les frappes sécuritaires. Il s’agit désormais de recourir à des tirs isolés, ou de s’activer dans des zones relativement retirées », souligne-t-il. Selon lui, il ne faut pas minimiser le danger que représentent ces groupuscules qui sont aidés par des groupes plus grands, comme la Gamaa islamiya et le Salafisme djihadiste. « Le danger actuel de ces microcellules réside dans le fait qu’ils ont décidé de dépasser leurs différends idéologiques et se réunir autour des buts politiques visant à casser le régime et discréditer les efforts sécuritaires dans la lutte contre le terrorisme, surtout devant l’Occident. Les attaques commises au cours de l’année 2016, que ce soit par Hasm ou d’autres, témoignent que leur but est de combattre le régime en épuisant les forces de sécurité par des attentats imprévisibles, ainsi que de maintenir l’instabilité politique et sécuritaire et par conséquent, saper de plus en plus l’économie qui peine déjà à se redresser », indique Ban. Il pense que ces tentatives de raviver les tensions sectaires et ruiner l’économie servent l’agenda intérieur des groupes terroristes, et extérieur des groupes cherchant à changer la géopolitique de la région arabe. Il ajoute que l’autre danger que représentent ces groupuscules réside dans leur anonymat ainsi que les attaques sporadiques qu’ils mènent.
Les derniers attentats menés à la fin de l’année 2016 sont révélateurs aussi, selon lui, de la tactique adoptée par ces petits groupes terroristes qui sont devenus plus actifs et cherchent à étendre les catégories visées. Outre l’armée et la police, les juges, les personnalités publiques et les journalistes sont devenus des cibles pour ces groupuscules terroristes. « A l’encontre des grandes attaques que mènent les groupes terroristes dans le Sinaï avec des armes lourdes et des tactiques quasi guerrières, ces nouvelles microcellules attaquent souvent des points vulnérables et pas très bien protégés. Ils représentent un danger pas moins important que les groupes du Sinaï. Il ne faut pas non plus omettre que ces nouveaux éléments terroristes ont reçu des entraînements militaires de haut niveau, par le Hamas, et les groupes terroristes en Syrie et en Libye. Et c’est ce qui explique leurs opérations ciblées, imprévisibles et meurtrières », renchérit Ban. C’est dans ce contexte qu’il prévient que tant que l’étau se resserre autour des terroristes au Sinaï, il est prévu de voir les attaques terroristes se multiplier dans la capitale et dans d’autres gouvernorats pour alléger la pression sécuritaire contre le mouvement dans le Sinaï.
« La mise en place d’une stratégie sécuritaire plus ferme et plus vigilante basée sur les coups préventifs est nécessaire à cette guerre. Les services de sécurité doivent revoir les failles qui ont facilité les attentats auparavant et y remédier », conseille-t-il. Le développement des plans sécuritaires pour aller de pair avec l’assaut opérationnel qu’ont connu les groupes terroristes déterminera, selon Ban, les portées des efforts de la lutte contre le terrorisme.
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