« Ce sera l’Arabie saoudite ! », a répondu Abdel-Fattah Al-Sissi, alors candidat à la présidentielle, lorsqu’il était interrogé sur le premier pays qu’il a l’intention de visiter après sa prise de poste. Cette scène et les scènes qui ont suivi au premier trimestre de l’année 2016 détonnent complètement avec la dégradation qui a marqué les relations de ces deux pays vers la fin de cette année.
Suite à la révolution du 30 juin 2013, Riyad comptait parmi les principaux alliés du président Al-Sissi, qui a accédé au poste en juillet 2014. Les deux pays se sont fortement rapprochés après la chute de Mohamad Morsi en juillet 2013, l’ex-président issu de la confrérie des Frères musulmans, conçue par l’Arabie saoudite comme menace à sa stabilité politique. C’est ainsi que l’Arabie saoudite a déclaré les Frères musulmans organisation terroriste en mars 2014, et a massivement soutenu l’Egypte financièrement et politiquement, surtout avec l’accession au trône du roi Salman en Arabie, en janvier 2015. Au début, les dirigeants des deux pays ont affiché une volonté de rapprochement après une période de froid durant l’ère de l’ex-président.
Selon Moataz Salama, spécialiste des pays du Golfe au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram : « L’alliance stratégique entre Le Caire et Riyad a été affirmée au moment de la création du Conseil de coordination égypto-saoudien en novembre 2015 ». Et d’ajouter : « Cette alliance a atteint son apogée en 2016 avec la visite du roi saoudien Salman en Egypte, une visite au cours de laquelle 17 accords économiques ont été signés entre les deux pays ». Parmi eux, la construction du pont Salman, qui devrait relier l’Arabie saoudite et l’Egypte. Et dans le cadre de cette visite, Riyad avait promis à l’Egypte un investissement qui s’élève à 8 milliards d’euros ainsi qu’une aide pétrolière avec des facilités de paiement sur 5 ans. De même, les deux pays ont signé un accord sur la rétrocession des deux îles, Tiran et Sanafir, à l’Arabie saoudite. Accord rejeté plus tard par la Cour administrative du Caire en décembre 2016. Le gouvernement l'a quand même transmis au parlement pour approbation .
Des vues différentes
Cependant, les positions divergentes des deux puissances régionales sur la stratégie à adopter afin de mettre fin aux différents conflits qui divisent la région, notamment en Syrie et au Yémen, ont provoqué les tensions durant la deuxième moitié de l’année 2016. Pour la Syrie, les deux pays ne partagent pas les mêmes vues. L’Egypte veut une solution politique avec le maintien du président syrien Bachar Al-Assad. L’Arabie saoudite exerce, quant à elle, une grande pression militaire et diplomatique sur le régime d’Al-Assad, soutenu par Téhéran, et souhaite entamer une période de transition durant laquelle l’opposition syrienne jouera le rôle principal. C’est ce dossier qui a mis à mal les relations privilégiées entre Riyad et Le Caire. Et la crise a pris plus d’ampleur depuis le vote de l’Egypte, le 8 octobre 2016, en faveur d’une résolution de la Russie sur la Syrie.
Selon Zyad Aql, un autre chercheur au CEPS d’Al-Ahram, « ce vote était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Conséquence, depuis le mois d’octobre 2016, le géant pétrolier saoudien Aramco a suspendu la livraison mensuelle à l’Egypte d’environ 700 000 tonnes de produits pétroliers, qui était prévue pour cinq ans.
Sur le Yémen, bien que l’Egypte participe officiellement depuis 2015 à la coalition militaire lancée par l’Arabie saoudite, pour lutter contre les Houthis, et se soit même engagée à mettre des troupes à disposition pour une intervention au sol si nécessaire, l’Arabie saoudite pense que sur le terrain, l’Egypte est de plus en plus réticente, et qu’elle évite de s’impliquer contre les Houthis chiites, derrière lesquels l’Arabie saoudite voit la main de Téhéran.
Selon Aql, « la divergence des positions des deux pays vis-à-vis du Yémen et de la Syrie a donné l’impression que l’Egypte, à laquelle Riyad avait accordé des milliards de dollars, avait lâché son allié à un moment où celui-ci avait besoin de son soutien dans sa guerre d’influence avec l’Iran ». Ainsi, vers la fin de l’année 2016, les réactions saoudiennes hostiles à l’Egypte sont devenues plus prononcées. Par exemple, suite à l’accusation par le ministère égyptien de l’Intérieur des dirigeants des Frères musulmans en exil au Qatar dans l’attentat perpétré le 11 décembre 2016, contre l’église Saint-Pierre et Saint-Paul au Caire, l’Arabie saoudite a réussi à convaincre les autres pays membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) de publier un communiqué commun soutenant le Qatar.
Le 16 décembre 2016, le conseiller au secrétariat du Conseil des ministres saoudien, Ahmed Al-Khatib, est arrivé à la tête d’une délégation à Addis-Abeba, et a visité le projet controversé du grand barrage de la Renaissance éthiopien. Selon Mégahed Al-Zayat, analyste politique, « cette escalade reflète la nature des relations aujourd’hui ». De son côté, Moataz Salama pense que les deux pays font face à d’importants défis sécuritaires et économiques, et que leurs relations se définissent en fonction de ces crises. « C’est la quête des intérêts stratégiques qui a amené chacun des deux pays à réviser ses alliances », renchérit Zyad Aql. Le Caire et Moscou par exemple ont commencé à se rapprocher. Ce rapprochement était clair suite aux exercices militaires conjoints organisés pour la première fois sur le sol égyptien en octobre 2016.
Plusieurs scénarios
L’économiste Ibrahim Al-Ghitany pense que la situation économique se détériorera davantage si les relations entre les deux pays poursuivent leur déclin. Selon lui, « il est peu probable que Riyad concrétise en Egypte les projets annoncés au début de l’année 2016 ». Avis partagé par Moataz Salama, qui dénonce l’absence d’un dialogue stratégique entre les deux pays.
Pourtant, Aql ne pense pas que les deux pays se dirigent vers des relations conflictuelles. Surtout qu’ils sont liés par des intérêts stratégiques. « On pourra voir, par exemple, un recul du degré de consensus sur certaines questions. Ainsi que la prise de certaines décisions sans coordination préalable ». La forme des relations entre ces deux pays en 2017 va aussi se dessiner clairement après la prise de fonction de Donald Trump, le nouveau président américain, à partir du 20 janvier 2017. « Une fois Trump arrivé au pouvoir, la stratégie américaine envers l’Iran et les zones de conflit au Moyen-Orient sera dévoilée. Et peut-être qu’elle influencera la trajectoire des relations égypto-saoudiennes », conclut Aql.
Les relations égypto-saoudiennes en chiffres
6,4 milliards de dollars : La valeur des échanges commerciaux entre l’Egypte et l’Arabie saoudite (avril 2016).
3 milliards de dollars : La valeur totale des produits saoudiens importés par l’Egypte (2015).
1,5 milliard de dollars : La valeur des importations égyptiennes des produits pétroliers saoudiens (2015).
1,75 million de tonnes : La quantité de produits pétroliers importée par Le Caire chaque mois, dont 40 % d’Arabie saoudite (septembre 2016, avant le gel d’Aramco).
40 % : De la totalité du transfert des fonds des Egyptiens travaillant à l’étranger, proviennent des Egyptiens travaillant en Arabie saoudite (2016).
7 milliards de dollars : Selon les prévisions de la Banque mondiale, cette somme sera au total transférée par les Egyptiens travaillant en Arabie saoudite par la fin de l’année 2016.
4 027 : Le nombre des projets communs entre l’Egypte et l’Arabie saoudite (2016), dont 1 300 projets égyptiens en Arabie saoudite (2016).
23 milliards de dollars : La valeur des investissements communs entre l’Egypte et l’Arabie saoudite (avril 2015).
500 millions de dollars : La somme reçue par l’Egypte dans le cadre d’un don saoudien d’une valeur totale de 2,5 milliards de dollars (juillet 2016).
4 milliards de dollars : Somme reçue par Le Caire de la part de l’Arabie saoudite, dans le cadre de la conférence sur le développement économique de Charm Al-Cheikh (mars 2015).
1,5 milliard de dollars : Le montant consacré par l’Arabie saoudite, dans le cadre d’un accord signé entre les deux pays, visant à développer la péninsule de Sinaï (mars 2016).
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