Plus de 88 ans se sont écoulés depuis la création de la confrérie des Frères musulmans qui, jusqu’à il y a 3 ans, était considérée comme la plus grande force politique en Egypte. Alternant des périodes de prisons et détentions avec des périodes de tolérance relative, la confrérie, déclarée désormais organisation terroriste, traverse aujourd’hui sa plus grave crise depuis l’époque de l’ancien président Gamal Abdel-Nasser. La lutte pour le pouvoir, puis dernièrement contre le pouvoir a eu des répercussions sur la structure interne de l’organisation.
Malgré son expérience présumée, le mouvement est en proie à de fortes turbulences et à une confusion qui s’est manifestée au grand jour.
Une guerre par communiqués interposés montre que l’organisation est désormais scindée en deux parties, dont chacune tente de délégitimer l’autre. D’un côté, il y a le groupe qui représente les dirigeants historiques et l’ancien bureau de la guidance, qui sont en très grande majorité en prison. Cette partie est représentée surtout par Mahmoud Hussein, Mahmoud Ezzat, Mohamad Abdel- Rahman, reconnus comme le « bureau de Londres ».
De l’autre côté, se trouve le groupe portant le nom de Mohamad Kamal, ancien membre du bureau de guidance tué par les forces de l’ordre en octobre dernier. Ce groupe représente la jeune génération.
Ainsi, aujourd’hui existent deux comités suprêmes des Frères, deux sites web : « Ikhwan online » géré par l’aile de Mohamad Kamal, et le second « Ikhwan site », géré par le front Ezzat.
Par exemple, il y a près d’un an, après des mois d’absence médiatique, un chef de file des Frères musulmans, Mahmoud Hussein, a fait son apparition dans une interview télévisée sur Al-Jazeera, affirmant qu’il était toujours le « secrétaire général » de l’organisation, et ce, en dépit des déclarations du porte-parole de la confrérie, Mohamad Montasser, selon lesquelles Hussein n’était plus en charge.
Deux jours plus tard, le bureau des Frères à Londres publie un communiqué annonçant la destitution du porte-parole et lui nomme un successeur. Une décision qui a été immédiatement « renversée » par les administrateurs de la page officielle de la confrérie sur Facebook.
La scission est manifeste au sein du mouvement, même si les détails et les raisons derrière ne le sont pas, pourtant, les deux ailes qui se disputent la direction s’abstiennent d’employer le terme « division » pour qualifier ce qui se passe, même si elles continuent à se démentir sur Facebook. Le groupe de la vieille garde est partisan des réformes et de l’apaisement avec l’Etat pour garantir la survie de l’organisation. Alors que les jeunes, plus révolutionnaires, veulent et prônent le recours à la force face au régime en place. Ils font porter aux anciens dirigeants la responsabilité des crises du mouvement au cours des cinq dernières années.
« La division est réelle, mais pas définitive », croit Ali Bakr, expert des mouvements islamistes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Selon lui, « on peut facilement parler aujourd’hui de deux factions, chacune se dit légitime ».
Vers la fin de l’année 2016, la division a pris de nouvelles proportions. Kamal Habib, chercheur et expert des mouvements islamistes, parle de « division verticale ».
Tout en promettant la poursuite du « processus révolutionnaire », l’aile des jeunes a surtout révélé la tenue d’un processus électoral qui aurait eu lieu au Caire en décembre et qui aurait abouti à l’élection d’un nouveau guide suprême « provisoire », en attendant la sortie de prison du guide actuel, Mohamad Badie, et d’un nouveau conseil de la choura. Un « bureau général » aurait également été formé sous la direction d’une figure de la confrérie avec dix membres vivant tous en Egypte et dont les noms n’ont naturellement pas été divulgués.
Des « informations » catégoriquement démenties par le groupe des caciques.
« Le groupe des jeunes, même s’il contrôle les bureaux du Caire et d’Alexandrie, restera incapable de communiquer avec tous les rangs de la confrérie tant que les dirigeants historiques qui détiennent les médias et le financement s’y opposent », estime Habib.
« Même si la littérature de la confrérie est évasive au sujet de la violence, je pense que les appels au recours à la violence représentent un autre obstacle pour l’acceptation de l’aile des plus jeunes », ajoute-t-il.
Pourtant, les analystes prévoient une victoire de la vieille garde, qui s’oppose à la confrontation avec l’Etat. Cette faction semble actuellement plus forte, puisqu’elle bénéficie de plus de financements, de liens internationaux et du soutien des poids lourds de la confrérie.
Bref, la crise actuelle de la confrérie va au-delà de son expulsion du pouvoir et la fin du rêve de fonder un Etat à référence islamique. L’organisation est victime d’une série de mauvais calculs, dont notamment le port des armes face aux forces de l’ordre, ce qui lui a valu l’étiquette d’organisation terroriste. Mais bien avant sa débâcle actuelle, la confrérie a toujours été en proie à des dissensions internes (lire encadré). Aujourd’hui, que ce soit les caciques ou la jeune génération, aucun des deux groupes n’a de vision globale pour l’avenir de l’organisation.
Habib appelle les Frères à réviser leurs choix politiques et leurs références idéologiques. Il rappelle qu’après la révolution de 2011, la confrérie a choisi de s’allier aux salafistes alors que traditionnellement, elle cherchait des alliés dans les rangs des forces civiles, comme le parti d’Al-Wafd.
Cette révision devrait également s’étendre à leurs héritage et références. Hassan Al-Banna est-il la seule référence, ou bien peuvent-ils s’ouvrir à d’autres idées comme ont fait le mouvement Ennahda en Tunisie ou Al-Tawhid wal Islah au Maroc ?
Bakr Ali estime que la confrérie sous sa forme ancienne est incapable de continuer. « Probablement, l’organisation va se désintégrer. Une entité principale survivra avec des factions satellites. Ce qui revient à dire que la confrérie sera transformée en une nouvelle entité dont les contours restent flous. c’est un processus très compliqué qui prendra des années », dit l’expert.
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