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A deux pas du barrage éthiopien

Chaïmaa Abdel-Hamid, Jeudi, 05 janvier 2017

L’annonce de l’inauguration du barrage de la Renaissance en juillet 2017 en Ethiopie laisse apparaître les premières inquiétudes quant à son impact sur l'Egypte.

A deux pas du barrage éthiopien
L'Egypte, qui tire environ 90 % de son eau du Nil, craint que ce barrage n'en affecte le débit.

L’Ethiopiea fixé la date d’inauguration de son immense projet « le barrage de la Renaissance », en juillet 2017. « Les négociations sont toujours en cours, mais nous souhaitons com­mencer le stockage des eaux au cours de l’année prochaine. Il faut encore fixer les règles entre l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan, pour le stockage, le remplis­sage et le mode de fonctionnement, ainsi que la gestion du barrage en liaison avec les autres barrages de l’Egypte et du Soudan », a affirmé le ministre des Ressources hydriques, Mohamad Abdel-Ati, dans une interview accordée au quotidien égyptien Al-Watan.

Depuis son lancement en 2012, ce projet a été au coeur de nombreux débats entre l’Egypte et l’Ethiopie. En effet, l’Egypte qui tire environ 90 % de son eau du Nil, craint que ce barrage n’en affecte le débit. Ces eaux en pro­venance d’Ethiopie traversent le Soudan pour arriver en Egypte par Assouan. Le débit approximatif de 74 milliards de mètres cubes annuels est réparti entre l’Egypte et le Soudan (avec 55 milliards de mètres cubes pour l’Egypte), et tous les ans, 10 mil­liards de mètres cubes s’évaporent du lac Nasser. Seulement, la construction du nouveau barrage implique le détour­nement des eaux du Nil Bleu (l’un des principaux affluents du Nil) et le rem­plissage d’un réservoir de 74 milliards de mètres cubes. La quantité d’eau arrivant en Egypte se verra donc réduite.

A son inauguration en juillet 2017, le barrage de la Renaissance sera le plus grand d’Afrique, avec une puissance de 6 000 mégawatts. Les autorités éthiopiennes estiment son coût à 4,2 milliards de dollars. Situé à 40 km de la frontière entre l’Ethiopie et le Soudan dans la région de Benishangul-Gumuz, le barrage, d’une hauteur de 170 mètres, s’étendra sur 1 800 mètres. Hormis la compagnie italienne d’ingé­nierie Salini Costruttori, responsable de la construction, aucun investisseur étranger n’a accepté d’y participer, et le barrage a été entièrement financé par l’Ethiopie.

Après onze séances de négociations depuis le lancement du projet, l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan ont finalement signé, en septembre dernier, des contrats relatifs à l’impact du barrage éthiopien sur les eaux des pays en aval du Nil. Les sociétés fran­çaises Artelia et BRL sont en charge des études qui permettront d’évaluer l’impact du barrage sur la part égyptienne des eaux du fleuve. Cet accord avec les sociétés françaises intervient plus d’un an après la signature de l’ac­cord de principe entre Le Caire, Khartoum et Addis-Abeba en mars 2015. Artelia et BRL auront 11 mois pour effectuer deux études ; d’une part, une modélisation et une simulation des ressources en eau et du système hydroélectrique, et de l’autre, une évaluation des effets envi­ronnementaux, sociaux et économiques de la construction du barrage.

La commission tripartie (formée par l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie) aura ensuite 4 mois pour examiner les résul­tats et choisir d’appliquer ou non les recommandations. En parallèle, l’Ethiopie a poursuivi ses travaux de construction durant toute cette période de négociations.

Les premiers impacts

Selon Abbas Chéraki, expert hydrique au Centre des recherches afri­caines de l’Université du Caire, il était initialement prévu que le barrage soit totalement fonctionnel en juillet 2017. Suite à de nombreux retards, seule la première phase du projet, à savoir le remplissage du lac réservoir, sera ter­minée pour l’inauguration. « Ce rem­plissage est une phase très importante et aura sans doute des effets négatifs qui se ressentiront en Egypte », sou­ligne l’expert hydrique. Et d’ajouter : « Ce remplissage devrait retenir presque 14 milliards de m3 d’eau sur la part totale égyptienne de 55 mil­liards de m3. 7 milliards de m3 d’eau seront retenus au fond du réservoir et le reste arrivera très lentement en Egypte. Les premiers effets devraient affecter les réserves straté­giques du lac Nasser, qui sera pompé pour compenser le manque en eau. En consé­quence, l’électricité produite par le barrage d’Assouan diminuera de 20 % (sur un total de 3 000 MW). De plus, environ un quart des terres agricoles situées en aval du barrage pourrait être asséché et il existe un risque de diminution de la fertilité due à l’arrêt des crues du fleuve ».

Le politologue Hani Raslan, prési­dent de l’unité du bassin du Nil au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, a lui aussi exprimé son mécontentement face à la performance des ministères de l’Irrigation et des Affaires étrangères dans le traitement du dossier du bar­rage de la Renaissance. Il le considère « de niveau assez bas » et souligne la nécessité de « revoir les négociations avec l’Ethiopie ». Pour l’expert hydrique, il est essentiel que les res­ponsables gouvernementaux révisent leur approche du dossier. « Malheureusement, depuis quelques mois, les responsables égyptiens se contentent d’attendre les résultats des études. Il faut absolument que les négociations avec les Ethiopiens conti­nuent, pas seulement sur le barrage de la Renaissance, mais sur tous les pro­jets à venir qui affecteront le Nil. Je dirais même que Le Caire devrait essayer de signer un accord avec l’Ethiopie qui fixerait définitivement sa part des eaux du Nil. Après ce barrage éthiopien, on devra s’attendre à d’autres projets semblables ».

« Tout n’est pas perdu »

Selon Chéraki, le gouvernement doit développer au plus vite un plan d’orga­nisation des systèmes d’irrigation en Egypte. « Les campagnes de sensibili­sation du gouvernement sur la consom­mation et le gaspillage de l’eau sont nécessaires, mais ne peuvent en aucun cas valoriser ces pertes en eaux », pré­cise-t-il. Et d’ajouter : « Ces plans sont négligés alors qu’ils auraient dû être appliqués depuis le lancement de ce projet ». Pour le politologue Hicham Mourad, professeur de sciences poli­tiques à l’Université du Caire, « tout n’est pas perdu. Le barrage éthiopien est devenu une réalité reconnue par l’Egypte et le Soudan depuis la signa­ture de l’accord de principe. Addis-Abeba ne semble pas disposée à modi­fier les plans initialement prévus pour la construction. La rapidité avec laquelle les autorités éthiopiennes poursuivent la construction et le temps nécessaire pour l’accomplissement des deux études sur l’impact du barrage rendent difficile un retour en arrière. Il sera toutefois possible de modifier les règles de remplissage du lac derrière le barrage, tant au niveau de la quan­tité d’eau que du temps, et ainsi, éviter de desservir les intérêts de l’Egypte. Les règles de fonctionnement du bar­rage peuvent également être modifiées, ce qui pourrait réduire les atteintes aux parts de l’Egypte et du Soudan ». La mise en place d’une coopération permettrait d’associer ces deux pays, selon des mécanismes à définir, dans la gestion du barrage.

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