Au Caire, nombreux sont les experts qui suivent avec intérêt, parfois même anxiété, les élections françaises. Sous la présidence de François Hollande, les relations ont franchi un seuil important avec l’instauration d’un partenariat stratégique. Celui-ci semble reposer sur des bases solides, mais il est aussi le fruit d’une étroite amitié qui s’est développée entre les présidents François Hollande et Abdel-Fattah Al-Sissi.
Jusqu’au bout, les membres de la « communauté de politique étrangère », que je connais, souhaitaient une candidature et une victoire du chef de l’Etat français qu’ils connaissent. Par ailleurs, certains à Paris se demandaient, il y a environ deux ans, ce que le partenariat stratégique égypto-français devait aux avatars des relations entre Le Caire et Washington. En d’autres termes, s’il survivrait à un renforcement des relations entre le régime Al-Sissi et un nouveau président américain. A cela, je répondrai qu’en ce qui concerne l’armement, Le Caire avait pris la décision de ne plus dépendre d’un partenaire qui multipliait les conditions et les restrictions et qui avait choisi de geler l’aide militaire lorsque le pays était confronté à une situation extrêmement dangereuse dans le Sinaï. J’ajouterai qu’il était clair que la France et l’Egypte avaient un grand intérêt à stabiliser la situation en Libye et à développer leurs relations sécuritaires.
L’Egypte est devenue l’un des principaux acheteurs de matériel militaire français : Rafale, Mistral, sans oublier un satellite militaire. Les très anciennes relations économiques et culturelles, la coopération juridique, technique et dans le domaine de la formation sont également au beau fixe, malgré les nombreuses incertitudes. Les notes du ministère français du Trésor sont relativement optimistes, même si elles soulignent l’ampleur et la difficulté de ce qui reste à faire pour que l’économie égyptienne « tourne à plein régime ».
Les deux pays sont parmi les rares qui continuent à oeuvrer pour une solution du conflit israélo-palestinien, et leurs divergences sur la Syrie n’ont pas affecté leurs excellentes relations.
Plus généralement, l’ampleur des flux migratoires vers l’Europe en provenance du Moyen-Orient a sensibilisé l’Europe à la nécessité stratégique, pour elle, d’une réussite politique et économique des régimes du sud de la Méditerranée. « La France et l’Europe ne peuvent pas envisager la possibilité d’un exode égyptien. Un pour cent de la population, c’est déjà 900 000 personnes » est un argument pertinent utilisé par les responsables des deux pays.
Bref, le plaidoyer pour le maintien, voire pour le développement des relations bilatérales entre les deux pays est solide. Aux arguments précités, les responsables français ajoutent le suivant : un pays ami et adepte d’une diplomatie discrète a davantage de chances d’obtenir des résultats, en matière de droits de l’homme, qu’un pays dont le président multiplie les admonestations publiques et qui utilise sans vergogne la menace des sanctions.
Il reste que les deux pays ont des régimes présidentiels forts et que les orientations personnelles du chef d’Etat français peuvent beaucoup influencer la politique étrangère. Je ne pense pas seulement aux positions personnelles sur les conflits moyen-orientaux, qu’ils opposent Israéliens et Palestiniens, sunnites et chiites, sécularistes et islamistes, Saoudiens et Iraniens, ou à l’importance qu’ils attachent à la promotion des droits de l’homme. Je pense aussi à leurs intérêts et leurs implications dans les affaires commerciales et dans la négociation de contrats importants, qui sont souvent, mais pas toujours productifs. Ne serait-ce pas lié aux négociations qui n’aboutissent pas toujours ?
Les prochaines présidentielles françaises sont très indécises, ne serait-ce que parce qu’on est confronté à une nouvelle donne et qu’il est difficile de prévoir l’issue des recompositions en cours au centre et à gauche, ou encore d’évaluer l’importance des « enjeux de société », notamment du « mariage pour tous ». On ne peut pas prévoir, par exemple, si les positions très tranchées de Fillon seront pour lui un plus ou un moins. On ne sait pas non plus si le candidat socialiste réussira à prendre des voix à droite et/ou à gauche, ou si au contraire, il sera phagocyté par Macron et Mélenchon.
Au Caire, on connaît plutôt bien Fillon, Valls et Marine Le Pen. Les trois candidats ont en commun une attitude très ferme vis-à-vis de l’islamisme politique, malgré leurs positions idéologiques très différentes. L’éventuelle victoire d’un de ces trois ne devrait pas remettre en cause les relations entre la France et l’Egypte. Macron et Mélenchon, quant à eux, ne sont pas très connus. Le Caire regrettera probablement le président Hollande, mais est relativement soulagé par l’élimination de Juppé et Sarkozy.
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