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Le livre coûte que coûte

Dina Kabil, Rasha Hanafy, Mardi, 03 janvier 2017

Les récentes mesures économiques menacent l’industrie du livre en Egypte. Certains éditeurs envisagent de réduire leurs éditions, d’autres cherchent des alternatives pour des publications au moindre coût. Différentes solutions face à une situation difficile.

Le livre coûte que coûte
(Photo : Ahmad Aref)

La nouvelle année s’annonce difficile pour le marché du livre en Egypte. Les mesures économiques et monétaires du second semestre de 2016 affectent considérablement l’industrie de l’édi­tion et l’accès au livre. Celle-ci doit faire face à une augmentation du prix des matières premières, du loyer des pavillons dans les salons du livre, et souffre du manque de devises étran­gères pour l’importation et l’exportation des livres. Cette conjoncture écono­mique pousse petits et grands éditeurs égyptiens à prendre des mesures fortes pour survivre. « Les dépenses dans l’in­dustrie du livre ont doublé. J’ai donc décidé de diminuer les éditions annuelles de ma maison, tout en préser­vant la qualité du contenu. Au lieu de publier 70 à 80 ouvrages par an, on doit aujourd’hui se contenter d’en publier seulement 15 à 20 », déclare Fatma Al-Boudi, propriétaire et directrice de la maison d’édition Al-Aïn. Celle-ci compte parmi les plus grands éditeurs en Egypte et publie les ouvrages de grands penseurs et de jeunes romanciers et écrivains prometteurs comme Wagdi Al-Komi et Alaa Farghali. Elle ajoute : « Notre série de livres, Le Premier ouvrage, entamée il y a quelques années, ne va pas s’arrêter, mais nous allons devoir être plus minutieux dans la sélection des travaux de jeunes écri­vains. Malgré la situation, j’ai décidé d’entamer une nouvelle série qui s’ap­pellera Ouvrages classiques. L’idée est de publier les anciens travaux de grands penseurs égyptiens et arabes comme Taha Hussein, Ali Abdel-Razeq et Hussein Amin. Nous sélectionnerons des ouvrages édités pour la première fois il y a plus de 50 ans, afin d’éviter les droits de la propriété intellectuelle ».

Parmi les nombreux problèmes qui affectent l’industrie du livre en Egypte, l’instabilité des prix compliquant les opérations des professionnels. La mai­son Al-Arabi pour l’édition et la distri­bution, qui publie une quarantaine de titres par an, principalement des romans traduits et des livres académiques sur la politique et les médias, en souffre égale­ment. « Le plus difficile dans cette crise économique c’est que non seulement les prix des produits importés, comme le papier et les outils d’impres­sion, augmentent mais ceux-ci changent constamment. Nous sommes à la merci de l’exportateur et nous devons nous adapter, soit face à une pénurie de papiers et d’encres, soit à une instabi­lité des prix », explique Chérif Bakr, directeur d’Al-Arabi.

Hormis cette instabilité, l’industrie du livre connaît des difficul­tés dans le transport des livres et l’im­portation d’ouvrages en provenance d’autres pays arabes. Avant la dévalua­tion de la monnaie égyptienne, un livre publié au Liban d’une valeur de 15 dol­lars était vendu à 150 L.E. en Egypte, alors qu’aujourd’hui, il coûte environ 300 L.E. Non seulement ces prix deviennent inabordables pour les Egyptiens, mais cette situation risque de freiner la participation d’éditeurs arabes à des événements majeurs comme le Salon international du livre du Caire, qui aura lieu fin janvier. L’écrivain Ibrahim Abdel-Méguid, propriétaire de la maison d’édition Beit Al-Yasmine, explique : « De nombreux éditeurs arabes ne veulent pas faire un aller-retour en vain au Salon du livre du Caire. Beaucoup de pays arabes ne seront donc pas représentés, mais ils tenteront sans doute de commercialiser leurs livres par l’intermédiaire de grands distributeurs au Caire ».

Pour certains jeunes éditeurs égyp­tiens, il devient également difficile de faire face à une augmentation des sommes demandées par les librairies pour exposer leurs publications. « Une grande part du prix total d’un livre cor­respond au pourcentage prélevé par les librairies pour exposer les publications des petits et moyens éditeurs. Certaines d’entre elles demandent 50 % du prix de vente. C’est exagéré, et ça vient de s’ajouter à une augmentation préalable d’au moins 20 à 25 % des coûts de publication de l’ou­vrage », indique Ahmad Saïd, directeur de la jeune maison d’édition Al-Rabei Al-Arabi. Malgré ces condi­tions, elle ne réduira pas le nombre de copies pour chaque publication, à savoir environ 1 000 à 2 000 copies par an. Elle essayera de négocier avec les libraires pour une réduction de leur pourcentage.

Des tentatives pour sauver l’industrie

Pour faire face à la situation, les édi­teurs en difficulté essaient de trouver de nouvelles solutions pour sauver le livre, qui est « devenu un produit de luxe », selon Al-Boudi.

« Je ne vais pas augmenter le prix de mes livres », affirme Chérif Bakr. Celui-ci explique que le lectorat de la maison Al-Arabi est âgé entre 18 et 35 ans et ne peut pas se permettre une hausse de 50 % du prix des livres. La maison veut garder des prix stables (entre 50 L.E. et 70 L.E., notamment pour les livres tra­duits), et pour éviter les pertes, elle élargira son cercle de ventes sur les marchés arabes. « Je vise le marché du livre dans les pays arabes. Al-Arabi est aujourd’hui présente sur le marché libyen, malgré la situation politique dans laquelle est plongé le pays. On est aussi actifs sur le marché de l’Arabie saoudite, où l’on trouve un lectorat avide de romans, sûrement en réaction à l’ambiance conservatrice du pays », explique Bakr. Le romancier Ibrahim Abdel-Méguid n’a trouvé, lui, que deux solutions, face à la crise de la produc­tion du livre. La première, comme la maison Al-Aïn, serait de sélectionner des ouvrages du patrimoine classique exemptés de droits de la propriété intel­lectuelle. La deuxième consiste à solli­citer une participation financière des jeunes auteurs pour l’édition de leurs ouvrages. Cette solution existe déjà sur le marché égyptien. En effet, de nom­breuses maisons d’édition et de distribu­tion demandent aux écrivains de finan­cer une partie des coûts de publication de leurs ouvrages.

L’impopularité du livre électronique

Bien qu’il puisse constituer une solu­tion, le livre électronique reste encore rare en Egypte et dans la plupart des pays arabes. La lecture d’un ouvrage sur un écran ne connaît pas un grand suc­cès. « Le livre électronique n’est pas encore réglementé en Egypte. Certains de mes ouvrages sont disponibles en ligne, mais je n’ai pas encore reçu ma part stipulée dans le contrat avec la plateforme de lecture concernée », sou­ligne Al-Boudi, directrice de la maison Al-Aïn. Alors que la maison Beit Al-Yasmine estime que le livre électro­nique serait plus coûteux et demanderait plus de travail, Al-Arabi s’est lancée dans l’e-book il y a un an. Al-Arabi note tout de même que le livre électronique en Egypte est encore « un nouveau venu » et que les lecteurs qui se sont précipités sur leurs e-books sont Américains et Saoudiens. La réaction est la même pour la maison Al-Rabei Al-Arabi, qui pense que le lecteur égyp­tien préfère tenir dans ses mains un livre en papier.

L’industrie du livre fait face à de réels obstacles qui s’annoncent déjà au Salon du livre, prévu fin janvier 2017.

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