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L’Amérique « new look »

Abir Taleb, Lundi, 02 janvier 2017

Avec une équipe aussi insolite qu’hé­téroclite, le futur président américain, Donald Trump, annonce une nouvelle poli­tique confuse, avec pour seule ligne conduc­trice le slogan « l’Amérique d’abord ».

L’Amérique « new look »
Fin 2016, l'élection de Trump a été vécue comme un séisme. Ses vraies répliques se feront sentir en 2017.

On le dit imprévisible, extravagant, voire incohé­rent, Donald Trump, le président américain élu, ne cesse de créer la surprise. Depuis son élection ayant provoqué une onde de choc, c’est l’expectative. Et pour l’heure, seuls quelques indices don­nent le ton. D’abord, il y a les déclara­tions rocambolesques du président élu lors de sa campagne, mais celles-ci ne déterminent pas forcément sa future politique. Ensuite et surtout, il y a son équipe. Et là, justement, les plus opti­mistes, qui misaient sur le fait que Donald Trump rentrerait dans le moule, une fois à la Maison Blanche, ne savent plus quoi penser : Trump a cassé les us de la politique américaine, il a choisi une équipe à son image, c’est-à-dire insolite. Il s’est ainsi entouré de milliardaires, de patrons de multinationales, d’anciens banquiers, et de … généraux. Et les talents rete­nus dans les critères de choix ne sont ni politiques, ni idéologiques, mais ceux de praticiens et d’hommes d’af­faires, tout comme lui.

Des choix qui donnent une idée de la méthode désordonnée et imprévisible de Trump en politique. Et pour cause, c’est un novice en politique, comme l’explique l’expert Hicham Ahmad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. « D’abord, il faut savoir que Trump a peu d’expé­riences politiques, pour ne pas dire qu’il n’en a pas du tout. Il est arrivé au pouvoir grâce à un concours de cir­constances : une crise qui a permis à un démagogue comme lui de conquérir l’électorat en jouant sur la fibre émo­tionnelle. La première conséquence de son manque d’expériences est le choix de son équipe, la plus insolite de l’his­toire des Etats-Unis, une équipe qui renvoie à son slogan : l’Amérique d’abord », affirme Dr Hicham Ahmed.

Isolationnisme et désengagement

En effet, que ce soit sur le nucléaire iranien, sur le changement climatique ou sur le commerce mondial, aucune ligne politique directrice, sinon la ligne « America First ». Mais, ajoute le politologue, « concrètement parlant, il risque d’être confronté aux contraintes réelles de l’exercice du pouvoir, et du coup, mettre de l’eau dans son vin. Tout sera finalement décidé au cas par cas, vu l’absence de politique claire ». Et d’ajouter : « La seule chose vraiment évidente, c’est l’isolationnisme prôné par le prochain président américain ». Un isolation­nisme toutefois incohérent sur de nom­breux plans : « Trump est contre la mondialisation, ce qui va à l’encontre de la marche de l’économie mondiale ; il ne veut pas trop s’investir dans l’Otan, ce qui va à l’encontre des inté­rêts américains ».

En politique extérieure, deux orien­tations se dessinent : une ligne dure avec la Chine et un assouplissement probable à l’égard de la Russie. « Ce qui est sûr, c’est qu’il va réduire l’in­tervention politique américaine dans le monde. Et que cela se fera en faveur de la Russie, explique l’expert. Sous Barack Obama, les Etats-Unis com­mençaient déjà à se désengager, mais il y a tout de même une différence de taille : Obama était ouvertement anti-russe, alors que Trump va sans doute coordonner davantage avec la Russie, notamment dans la lutte antiterroriste. Mais cette coordination avec Moscou se fera au détriment des Etats-Unis et tout en faveur de la Russie. D’ailleurs, il va probablement lâcher du lest en ce qui concerne la Crimée, ce qui sera pourtant une erreur stratégique ». Et, même en ce qui concerne la lutte anti­terroriste, sa priorité, « son manque d’expérience est visible, il s’affiche hostile à Daech, à l’islam radical en général, mais ce qu’il dit (détruire Daech en 30 jours) est invraisem­blable d’autant plus qu’il n’a pas de vision claire sur les moyens de mener cette guerre contre le terrorisme ».

Or, face aux incohérences de Trump, une certaine constance est tout de même affichée, toujours sous le slogan « America First » : d’abord, réduire le coût qu’il juge trop élevé pour les Etats-Unis de ses alliances de sécurité, qu’il s’agisse de l’Otan en baissant les contributions financières ou en limitant le champ d’action de l’alliance, comme le pense Dr Hicham, ou des pays du Golfe. « Trump gardera l’alliance avec l’Arabie saoudite, mais en contrepartie d’avantages financiers, contrats de ventes d’armes, etc. », dit-il. Ensuite, il se montre hostile aux accords de libre-échange et peut tout à fait recourir aux tarifs douaniers face à des pays comme la Chine. Enfin, il montre une admira­tion pour les hommes forts et les régimes autoritaires, en particulier pour le modèle russe et Vladimir Poutine. « Si cela profite à l’Amérique, très bien. Sinon, on laisse tomber », résume Roger Cohen, chroniqueur au New York Times.

Difficile donc, à ce stade, de prédire dans quelle mesure ces idées se tradui­ront dans les politiques mises en oeuvre par la nouvelle administration. Ce qui semble clair, c’est que Trump va gérer les Etats-Unis comme on gère une entreprise, en pensant d’abord aux bénéfices matériels. « Or, la politique, c’est une autre paire de manche, il y a des alliances, des équilibres, des jeux, de la géopolitique, etc. », conclut Hicham Mourad .

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