La semaine passée, le dollar a atteint pour la première fois les 19 L.E. Vers la fin de la semaine, son prix sur le site de la Banque Centrale d’Egypte (BCE) s’est élevé à 19,21 L.E. Dans les banques commerciales et les bureaux de change, il se rapproche des 20 L.E.
La pénurie du dollar est une des causes principales de la crise économique de l’Egypte; le marché noir des devises, disparu depuis de longues années, a prospéré au cours des deux dernières années, et le fossé entre le prix officiel et celui du marché noir n’arrêtait pas de croître. Le 3 novembre dernier, le gouverneur de la Banque Centrale, Tareq Amer, a pris la décision du flottement de la livre égyptienne, le dollar a été fixé à 13 L.E., un prix qui reflétait, selon le gouvernement, sa « juste valeur ». Depuis, la valeur de la monnaie locale n’arrête de couler dépassant les prévisions les plus sombres.
Le choix du flottement fait partie d’un plan de réforme économique soutenu par un accord de financement de 12 milliards de dollars avec le FMI (Fonds Monétaire International). L’arrivée de la première tranche n’a pas longtemps soutenu la monnaie locale. Mohamad Abou-Bacha, économiste en chef auprès de la banque d’investissement EFG-Hermes, prévoit un dollar à 15 L.E. vers la fin de 2017. « La hausse des deux dernières semaines est normale en fin d’année », estime-t-il, ajoutant que la volatilité du taux de change va continuer pour les quelques premiers mois qui suivent le flottement. « Le dollar fait l’objet d’une très forte demande qu’il faudrait d’abord satisfaire », élabore-t-il. L’avenir du taux de change en 2017 dépendra de plusieurs facteurs, comme la reprise du tourisme, la balance commerciale, l’investissement et les découvertes gazières, en plus des revenus du Canal de Suez et des virements bancaires des Egyptiens à l’étranger.

La production du gisement Zohr d'Eni débutera en octobre prochain. (Photo : AFP)
La réalisation en 2017 de plusieurs projets de gaz naturel en Egypte est susceptible de limiter les recettes de l’importation du gaz liquéfié. C’est ce qu’affirme Medhat Youssef, ancien vice-président de l’Organisme général du pétrole.
Les recettes des importations du gaz naturel devraient augmenter en 2017 comme un résultat de la hausse des prix internationaux du Brent, mais les nouveaux projets répondront à une partie des besoins du marché local et aideront ainsi à limiter le coût des importations, toujours selon Youssef.
Le coût de l’importation du gaz liquéfié a enregistré 3 milliards de dollars pendant l’exercice fiscal en cours.
Le ministère du Pétrole a réalisé 18 projets de développement des champs de gaz naturel à un coût de 4,5 milliards de dollars, en plus de 33 milliards investis dans 12 autres projets dont la mise en production est prévue d’ici 2021.
Parmi les projets en cours figure l’exploitation du gisement Zohr par le groupe italien Eni avec des investissements de 15,6 milliards de dollars. La production de Zohr débutera en octobre prochain. Le champ gazier de l’ouest du Delta est un autre grand projet où le géant pétrolier britannique BP investit près de 12 milliards de dollars, il pourrait commencer la production dès mi-2017.
Le ministère du Pétrole et des Ressources minérales, à travers sa coopération avec des entreprises étrangères, vise à faire passer la production du gaz naturel de 5,5 à 6 milliards de pieds cubes d’ici 2019.
Youssef note que les nouveaux projets de gaz naturel ont été en partie derrière la décision d’annuler le contrat d’exploitation d’une troisième usine de gazéification, du fait que la production des gisements de Zohr et de Nawras a assuré les quantités de gaz que l’Egypte allait importer en 2017.
Le ministre du Pétrole, Tareq Al-Molla, a, lui, affirmé que la compagnie holding des gaz naturels Egas procède actuellement à une réévaluation des besoins de l’Egypte en gaz naturel dans les quelques années à venir.
Cette troisième usine de gazéification était destinée à assurer les besoins de la compagnie Siemens en électricité.
La production quotidienne de l’Egypte en gaz naturel s’élève à près de 4,25 milliards de pieds cubes, dont 300 millions sont utilisés dans les opérations de forage, alors que le reste est destiné à la consommation locale, d’après les chiffres du ministère.
Selon l’ancien directeur adjoint de l’Organisme du pétrole, les recettes des importations des produits pétroliers subiront une augmentation au cours de la prochaine période, résultant de la hausse des cours de pétrole internationaux.
Le prix du baril a commencé à grimper depuis le début du mois de décembre pour dépasser les 60 dollars, après la décision de l’Opep de réduire la production.
Le coût de l’importation des produits pétroliers et du gaz naturel liquéfié s’élève à quelque 800 millions de dollars par mois, d’après les chiffres fournis par le ministre Tareq Al-Molla.
Canal de Suez et rémittances, deux facteurs incontrôlables
Les revenus du Canal de Suez et ceux des rémittances (argent transféré) des Egyptiens à l’étranger, deux des quatre principales sources de devises du pays, sont en baisse, et il s’agit de sources difficiles à contrôler. Les revenus du canal ont atteint leur niveau le plus bas en 21 mois en novembre 2016, générant 389,2 millions de dollars, en baisse de près de 5 % par rapport au même mois de l’année dernière, selon des données de l’Autorité du Canal de Suez. Il s’agit des recettes les plus faibles depuis février 2015. Le canal est la voie maritime la plus rapide entre l’Europe et l’Asie et est l’une des principales sources de devises du pays. Or, cela fait quelques mois que les revenus sont en baisse en conséquence de ralentissement du commerce international. L’Autorité du Canal envisage une nouvelle initiative qui exigerait que les principaux expéditeurs de conteneurs du monde paient des péages en avance en échange d’une réduction de facture. Les paiements seraient probablement effectués trois ans à l’avance.
Les rémittances sont également en baisse, avec 17 milliards de dollars en 2015/16 contre 19,3 milliards de dollars l’année précédente. « Il serait difficile en 2017 que les rémittances atteignent les anciens niveaux où ils dépassaient les 20 milliards, surtout avec les difficultés économiques dans les pays du Golfe », prévoit Mohamad Abou-Bacha. Cependant, il prévoit une amélioration relative par rapport à la régression récente qui a précédé le flottement de la livre et qui était le résultat de la faiblesse du taux de change officiel.
Les investissements attendus dans le moyen terme..

(Photo : Al-Ahram)
Les Investissements Etrangers Directs (IED) ont toujours été une source importante de devises et un facteur qui influence le taux de change, voire la croissance économique du pays. Selon le dernier rapport de la Banque Centrale, les IED ont fortement baissé au cours du dernier trimestre de 2015/2016. Ils sont passés à 992,9 millions de dollars contre 1,35 milliard de dollars à la même période de l’année précédente. Cette chute est supérieure à celle du trimestre précédent, lorsque les IED avaient atteint 2,7 milliards de dollars. Une grande part de ces investissements dans la période mentionnée (214,7 millions de dollars) n'est pas versée directement dans la production mais dans les portefeuilles comme des bons de Trésor. A court terme, les investissements dans la Bourse et les bons de Trésor devraient se redresser alors que les investissements dans la production risquent de prendre plus de temps. « Déjà 700 millions de dollars de flux de bons de Trésor ont été investis au cours du mois qui a suivi le flottement », explique Mohamad Abou-Bacha, économiste en chef auprès de EFG-Hermes. Selon les déclarations du ministre des Finances, le gouvernement devrait émettre des « euro bons » en euros d’un montant de 2,5 à 3 milliards de dollars en janvier. Ceux-ci étaient initialement prévus pour le mois de novembre, mais ont été reportés suite à « la perturbation des marchés financiers mondiaux provoquée par les résultats des élections présidentielles américaines », selon un communiqué du ministère des Finances. Un autre lot d’euros bons libellés en dollars sera émis au second semestre de 2017.
En plus des bons de Trésor, la privatisation en Bourse pourrait devenir une source intéressante de devises en 2017 selon l’économiste Abou-Bacha. Le gouvernement a déjà annoncé son intention de lancer en Bourse trois banques publiques, ainsi que des entreprises dans le secteur du pétrole. Cela dit, Abou-Bacha ne prévoit pas une reprise des IED avant la deuxième moitié de 2017. « Les investisseurs qui s’installent ou créent une ligne de production vont devoir patienter et vérifier les taux d’intérêt et l’inflation avant de se décider », explique-t-il. Il appelle le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour encourager l’investissement et la production industrielle. L’une des principales défaillances structurelles de l’économie égyptienne est sa production industrielle, puisque l’Egypte dépend plus de l’importation plus que de la production locale. Malgré tout, investir, produire et exporter permettraient de soutenir la monnaie locale, voire l’économie générale du pays. « C’est un problème structurel qui ne sera pas résolu sur le court terme et qui prendra du temps », dit Abou-Bacha.
Selon le baromètre des affaires du Centre égyptien pour les études économiques (ECES), un sondage réalisé auprès des entreprises privées en Egypte prévoit des taux de croissance plus faibles pour le trimestre en cours. Cela serait lié à une baisse des ressources en dollars, à des coûts d’exploitation élevés et à la forte inflation. En conséquence.
Les entreprises sont donc prudentes face à l’avenir incertain de la croissance économique d’autant plus que les récentes mesures prises par le gouvernement pour stimuler l’économie sont encore insuffisantes. Plus précisément, l’indice des perspectives du baromètre qui reflète la vision future des entreprises a enregistré 49 points, son niveau le plus bas en deux ans. Cependant, les entreprises consultées dans le sondage sont plus optimistes des avancées de moyen à long terme. Ainsi, l’indice des IED a connu la plus forte hausse trimestrielle en deux ans avec 51 points, reflétant la perspective stable des entreprises dans le moyen et le long terme. « L’indice est encore en dessous de son meilleur chiffre enregistré au troisième trimestre de 2014 (56 points). Il faut donc que le gouvernement accélère les mesures de relance, notamment la modification des législations liées à l’environnement d’investissement et ses procédures », souligne les auteurs du rapport. Les investisseurs attendent depuis plus d’un an la nouvelle loi sur l’investissement prévue faciliter les affaires en Egypte. Le gouvernement discute actuellement une deuxième version du projet de loi.
Pas d'exportations possibles sans industrialization

Le modèle d'exportation égyptien démarre avec une importation dense. (Photo : Al-Ahram)
Etablir un équilibre entre les exportations et les importations permettrait de soutenir la livre égyptienne. Seulement, il est presque impossible d’y parvenir sans produire davantage. En effet, plus de production entraînerait d’une part une réduction des importations et de l’autre une exportation de certaines marchandises sur le marché international. Actuellement, hormis le pétrole, les exportations de l’Egypte constituent environ 5 % du Produit Intérieur Brut (PIB) contre des taux de 20 à 30 % pour d’autres pays du même niveau de revenu, selon l’économiste Mohamad Abou-Bacha. Pour changer cette donne, l’Egypte doit mettre en place une stratégie de production et d’exportation. « En moins de 10 ans, les secteurs automobiles marocains et turcs ont augmenté le pourcentage de composants locaux des véhicules et ainsi réduit les quantités de pièces importées. Le Maroc est devenu, en quelques années, exportateur d’automobiles après que les usines Renault se furent installées en 2008/2009 », raconte Abou-Bacha. Selon Amr Adli, chercheur non résident au Centre Carnegie Moyen-Orient, le problème est que le modèle d’exportation égyptien démarre avec une importation dense.
En d’autres termes, on importe d’abord un certain nombre de composants afin de produire des marchandises destinées à l’exportation. Conséquence : aujourd’hui les importations représentent le double des exportations. Or, « le gouvernement et la BCE ont découvert que le seul moyen de sauver la monnaie, tout en sécurisant l’importation des produits essentiels, est de réduire les importations », ajoute Adli.
Pour limiter le déficit commercial du pays, le gouvernement a voulu limiter les importations du pays en 2016. Au début de l’année, il a imposé des mesures administratives qui ont rendu l’importation plus difficile. Il a ainsi interdit aux importateurs égyptiens d’importer 23 catégories de produits si les sociétés étrangères qui les vendent ne possèdent pas de registre auprès de l’Autorité de contrôle des importations et exportations. Fin 2015, la Banque Centrale avait également réclamé que les importateurs placent dans les banques un dépôt en espèces équivalant à 100 % du montant de la facture, contre 50 % auparavant. Finalement, le gouvernement vient d’augmenter en décembre, pour la deuxième fois, les droits de douane sur plus de 300 produits, ce qui a amené les tarifs douaniers sur nombreux produits à passer à 60 %. Selon les derniers chiffres sur le commerce extérieur, le déficit de la balance commerciale en septembre dernier a baissé par 27 % par rapport au même mois de 2015. L’Organisme central de mobilisation et des statistiques (CAPMAS) a noté que la valeur des importations a diminué de 14,5 % en septembre, alors que les exportations ont augmenté par environ 20 % au cours de la même période. Cette hausse est surtout due à une hausse des prix de certains produits selon le CAPMAS l
Les dollars du tourisme ne sont pas pour demain
Le tourisme représente une source principale de devises étrangères pour l’Egypte. En 2010, plus de 14,7 millions de touristes se sont rendus en Egypte rapportant 12 milliards de dollars. En temps normal, le tourisme est un pivot de l’économie égyptienne avec environ 11,3 % du PIB. Toutefois, les instabilités politiques et économiques et les attentats terroristes depuis 2011 ont changé la donne. D’après la Banque Centrale, les revenus du tourisme au cours de l’année fiscale 2015-2016 ont reculé de 48 % pour atteindre 3,8 milliards de dollars. Le nombre des nuits touristiques n’a atteint en 2015/2016 que 51,8 millions contre 147,385 millions de nuits en 2010.
Si ce secteur réussit l’année prochaine à se rattraper, il pourrait sauver la livre égyptienne de sa chute libre face au dollar. Des experts économiques et touristiques restent cependant sceptiques en ce qui concerne la possibilité du redressement de ce secteur en 2017 et, par conséquent, sa capacité à freiner la hausse du dollar.
Selon Moustapha Kamel Al-Sayed, professeur d’économie à l’Université du Caire, l’Egypte souffre d’un grand déficit commercial. « Le gouvernement fait face à un grand défi parce que la balance des paiements a enregistré un déficit historique en dépassant cette année les 52 milliards de dollars. Je pense que le secteur du tourisme ne pourra pas combler ce fossé », explique- il.
Selon les récents chiffres de l’Organisme des statistiques (CAPMAS), le nombre de touristes venus en Egypte pendant les dix premiers mois de 2016 a chuté de 42 %, par rapport à la même période de 2015. Le tourisme égyptien subit les conséquences de la décision des autorités russes de suspendre leurs vols à destination de l’Egypte, ainsi que de la Grande-Bretagne de suspendre les vols à Charm Al-Cheikh après le crash de l’avion russe au-dessus du Sinaï le 31 octobre 2015. Ces deux pays ont toujours représenté une part importante des touristes. Nagui Al-Erian, membre de la Fédération des Chambres du tourisme, dit que l’Egypte ne peut pas trop compter sur le tourisme pour relancer l’économie, parce que la voie de la récupération reste longue.
« J’espère que l’industrie touristique s’améliorera un peu en 2017, notamment après l’annonce du président russe, Vladimir Poutine, de reprendre les vols vers l’Egypte. Mais restaurer la confiance prend du temps », souligne-t-il. De son côté, Rashad Abdou, économiste, pense que le problème réside dans la volatilité du secteur du tourisme, qui, depuis 2011, n’est plus une source de revenu fiable pour l’Egypte. « Au début de chaque saison, on se dit que ce sera la relance, mais un attentat intervient et ça repart à zéro », regrette-t-il.