La crise économique a incité de nombreux journaux à passer au numérique.
La presse numérique porterait-elle un coup fatal à la presse écrite ? Une interrogation qui n’est certainement pas nouvelle, puisque les prévisions, même au niveau mondial, s’attendent depuis des années à une disparition pure et simple des journaux. Cette interrogation anime fortement la scène en ce moment, et beaucoup d'analystes prévoient que le processus de cette disparition se passe avec un rythme plutôt accéléré en Egypte. Safwat Al-Alam, professeur à la faculté de communication de l’Université du Caire, estime que la presse numérique est le grand gagnant de la crise économique qui menace la presse écrite.
« La presse numérique continue à se développer rapidement alors que les journaux imprimés poursuivent leur déclin avec plus de rapidité en perdant davantage de lecteurs qui optent pour la lecture en ligne. Les récentes décisions économiques et la hausse des prix qui s’ensuivit ont mené à une augmentation du coût d’impression. En même temps, cette hausse est doublée d’une baisse des ventes des journaux imprimés », dit Al-Alam, avant d’ajouter : « Le fossé entre la presse écrite et celle numérique reste profond. Cette dernière a de nombreux avantages, elle présente l’information en s’appuyant sur le multimédia, l’interactivité. Et, la multiplication des applications lecture de presse disponibles sur mobiles et tablettes consacre davantage cette croissance ».
Avis partagé par Khaled Al-Baramawy, expert dans la presse digitale, qui voit que la question qui se pose aujourd’hui n’est plus la presse numérique versus la presse écrite, mais plutôt qui va prédominer le plus. « L’apparition du numérique a ébranlé depuis longtemps le modèle traditionnel de la presse dans le monde. En Egypte, le rythme de la disparition des journaux traditionnels est plus rapide que dans d’autres pays du monde. La presse écrite en Egypte a enregistré cette année une chute de 15 % par an, alors que les Etats-Unis ont enregistré un baisse de 7,5 %, et 3 % au Japon ».
Une crise généralisée
Toutefois, selon Mohamad Saadeddine, rédacteur en chef du site électronique « Parlamani », « la presse numérique n’est pas du tout loin du danger. Elle affronte ces jours-ci de nombreux défis qui menacent son expansion sur la toile », dit Saadeddine. Du point de vue économique, les dépenses publicitaires qui ont chuté de 30 % à la fin de l’année 2016 en Egypte ont touché tous les domaines des médias sans distinction, imprimés, audiovisuels et numériques. « Vérifier la crédibilité en diffusant l’information avec la multiplication des fake news (fausses nouvelles) est un autre défi pour la presse digitale » comme le précise Saadeddine. Mais « le grand fantôme », ou « le grand défi », comme le désigne Al-Baramawy, « c’est la concurrence féroce qu’affronte la presse numérique sur la toile par les réseaux sociaux ». Ces réseaux, selon Saadeddine, postent avec toute simplicité les liens des informations attirantes et c’est à travers ce lien que les lecteurs prennent la démarche de surfer les sites d’information. « Si l’internaute n’a pas de conscience électronique en maîtrisant les mécanismes de recherche, ou une relation stable avec les sites d’information à travers par exemple les abonnements, les sites de la presse numérique se font perdre », dit Al-Alam. Pour attirer et conserver plus de lecteurs, les sites d’informations devraient adopter un nouveau modèle, comme propose Saadeddine, c’est de présenter des services différents aux côtés de l’information de sorte de devenir une référence principale pour les lecteurs. « On remarque que les sites qui enregistrent plus de visiteurs et de commentaires sont ceux qui offrent des services comme les horaires des trains ou la météorologie, les recettes de cuisine ... », explique Saadeddine.
Aucun cadre
Sans loi qui la régit, ni syndicat, un statut chaotique plane sur la presse numérique aujourd’hui en Egypte, déplore Moustapha Eid, journaliste du site Masrawy. La nécessité de fournir un cadre juridique pour organiser le travail de la presse numérique est stipulée clairement par l’article 70 de la Constitution 2014 qui assure que « la liberté de la presse et de l’édition sur papier, audiovisuelle ou électronique est garantie. Et que les personnes ont le droit de posséder et de publier des journaux ainsi que de créer des médias audiovisuels et numériques ». Or, Al-Alam craint que cette liberté stipulée par la Constitution ne soit pas garantie. Le politologue prévoit une tendance de la part du gouvernement d’apporter plus de restrictions à la presse numérique en essayant de faire passer la loi sur la presse numérique dans la foulée des discussions autour des lois sur la presse écrite et les médias audiovisuels qui font toujours défaut. « Légaliser la presse numérique est une affaire tellement difficile même à l’échelle mondiale. Aucun pays n’a pu encore parvenir à un modèle qu’on peut désigner comme intact pour organiser le travail de la presse numérique », estime Al-Faramawy.
Se doter d’un syndicat officiel pour les journalistes de la presse numérique est un autre sujet problématique. « Des formations syndicales se propagent rendant la scène encore plus chaotique. Définir le journaliste de la presse numérique est aussi une tâche tellement difficile puisque la sphère de la toile est tellement large et l’on ne peut pas considérer n’importe qui écrivant sur le Web comme un journaliste ». Toutefois, la nouvelle loi devrait trancher vite cette affaire, espère Eid, puisque les journalistes de la presse numérique qui sont effectivement sur le terrain travaillent dans des conditions professionnelles et financières amères.
Lien court: